Voulu par le président de la République, le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique apporte de nouveaux outils aux agriculteurs pour les aider à faire face aux aléas du changement climatique. Rencontre avec Tristan Mathieu, délégué général de la FP2E (Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau)
RCL : Comment les entreprises de l’eau peuvent-elles aider les collectivités à mieux anticiper et à atténuer les effets du changement climatique ?
Tristan Mathieu : Dans le domaine de l’eau, le change- ment climatique va intensifier les événements extrêmes. Il faudra désormais gérer, à la fois, des périodes de sécheresse intense et des précipitations extrêmes susceptibles d’engendrer des fortes inondations, soit par débordement de cours d’eau, soit par ruissellement, notamment dans les zones fortement imperméabilisées. Nos territoires sont devenus vulnérables au manque d’eau, aux risques et à d’autres bouleversements chroniques liés à l’eau (assèchement des cours d’eau, perte de biodiversité et d’attractivité des plans d’eau, baisse des rendements hydroélectriques et du potentiel de refroidissement, conflits d’usages, intrusions salines...). La question n’est plus de savoir s’il faut agir, mais agir maintenant en définissant la stratégie d’adaptation et les priorités d’actions. Les élus sont en première ligne pour mettre en place les actions nécessaires et les entreprises de l’eau sont à leur côté en construisant des schémas de sécurité de leur alimentation en eau po- table et l’efficacité des réseaux grâce au déploiement de technologies de pointe et de nouvelles solutions comme la recharge de nappes phréatiques ou la réutilisation des eaux usées.
RCL : Trois ans après les Assises de l’eau, quel bilan tirez-vous ?
T.M. : Les Assises de l’eau ont permis de faire émerger des solutions concrètes pour répondre aux défis de la gestion de l’eau face au changement climatique, autour de trois objectifs principaux : protéger les captages d’eau potable pour garantir une eau de qualité à la source, économiser l’eau pour préserver cette ressource vitale (objectif de réduction des prélèvements d’eau de 10 % en cinq ans et de 25 % en quinze ans) et préserver nos rivières et nos milieux humides. Ces assises ont abouti à un pacte pour faire face au changement climatique, comprenant 23 actions. Concernant, le diagnostic, je dirai qu’il a justement été posé, notamment pour ce qui est du sous-investissement des réseaux d’assainissement dont le montant engagé de l’ordre de 6 milliards d’euros aujourd’hui et devrait être porté à 8-10 milliards d’euros par an, pour couvrir tous les domaines : des canalisations, au pluvial en passant par le traitement des eaux usées ou la préservation des captages d’eau. Reste qu’après ce travail remarquable de concertation, unique en Europe, il plane un sentiment d’inachevé quant à sa mise en œuvre. L’investissement n’a pas ou peu redémarré et nous accumulons du retard, notamment en matière de traitement des eaux usées. Par ailleurs, force est de constater que le chèque eau qui devait être généralisé, ne l’est toujours pas.
RCL : Le Varenne agricole de l’eau s’est ouvert il y a quelques mois, qu’en attendez-vous ?
T.M. : Présenté comme un exercice de concertation, le Varenne agricole de l’eau et du changement climatique, devrait servir de cadre pour une réflexion décloisonnée et un dialogue constructif retranscrit dans une feuille de route de long terme. La réflexion pose clairement la question de la place de l’agriculture et permet d’aborder une approche agricole plus approfondie, qui prenne en compte les effets du changement climatique sur l’agriculture, son besoin d’adaptation, tout en conservant la volonté de maintenir une agriculture forte sur les territoires et de garantir notre souveraineté alimentaire. Pour la première fois, le monde de l’eau et celui de l’agriculture ont fait un pas de côté en s’adressant à l’autre. On devrait aller encore plus loin en organisant le ‘‘Varenne de l’eau, du tourisme, de l’industrie, de l’aménagement et de l’urbanisme’’ !
Il est important de mesurer toutes les externalités de la politique de l’eau, quand on sait que 1 euro investit dans l’univers de l’eau peut rapporter 3 ou 4
en d’autres domaines !
RCL : L’agriculture est le premier consommateur d’eau...
T.M. : Effectivement, mais le réchauffement climatique impose à tous de se remettre en cause. C’est pourquoi, les conclusions du Varenne devraient encourager l’action et la mobilisation des territoires autour d’une gestion globale, du partage et des économies d’eau. D’où l’importance de l’approche partenariale et concertée, car l’agriculture seule ne peut répondre aux enjeux de l’eau. La problématique est transversale.
RCL : La Commission européenne a récemment attaqué la France, car une centaine de villes françaises rejettent des eaux usées non conformes à la directive euro- péenne. Comment expliquez-vous que la France soit encore à la traîne ?
T.M. : La France a figuré longtemps parmi les meilleurs élèves de l’Europe. Sur le littoral, nous avons construit nos stations d’épuration, dix ou quinze ans avant nos voisins italiens. Mais le sous-investissement chronique a un coût environnemental. C’est ainsi que la France se retrouve reléguée dans la deuxième partie du classement européen de la qualité des eaux de baignade. Pourtant, nous sommes à la pointe de la technologie mondiale en matière de traitement des eaux usées et de gestion des eaux pluviales.
RCL : La réutilisation des eaux usées traitées (REUT) est une question que vous suivez avec attention à la FP2E. Pourquoi la France est-elle en retard ?
T.M. : Jusqu’à présent, l’urgence en France a été moindre qu’en Italie ou en Espagne, deux pays référents avec Israël en matière d’utilisation des eaux usées. En effet, La France reçoit à peu près 500 mil- liards de m3 d’eau chaque année. Ce qui est important par rapport à ses besoins. Pourtant, nous vivons, chaque année, des tensions de plus en plus pressantes sur la ressource. Certes, aujourd’hui nous traitons nos eaux usées afin de ne pas polluer le milieu naturel dans lequel nous les rejetons, mais désormais, il faudrait les réutiliser. Alors que l’Italie réutilise 9 % de ses eaux usées et l’Espagne 13 %, la France stagne à moins de 1 %. Il faut désormais passer à la vitesse supérieure.
Propos recueillis par Danièle Licata
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