"Refaire la ville sur la ville est plus difficile que bétonner un espace naturel"

Territoires
27 octobre 2022

Dans l’interview accordée à RCL, Rollon MOUCHEL-BLAISOT, préfet et directeur du programme national Action Cœur de Ville (ACV), fait un point de situation après avoir remis au gouvernement en juillet dernier son rapport de préfiguration sur l’Acte 2 d’ACV 2023-2026.Il préconise notamment de faire de la lutte contre l’étalement urbain et de l’adaptation au changement climatique via la sobriété foncière et d’usages le fil conducteur de cette nouvelle étape. Rencontre.

 

RCL : Face à la dévitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, le dispositif « Action Cœur de ville » (ACV) a-t-il apporté des solutions pertinentes et efficaces ?

Rollon Mouchel-Blaisot : Nous avons volontairement consulté les maires des villes ACV mais aussi les associations nationales d’élus pour recueillir leurs avis sur ce qui avait bien marché depuis 2018, ce qui manquait ou devait être amélioré, etc. Nous avons fait de même avec les secteurs professionnels concernés. Enfin, nous avons développé une vraie stratégie d’évaluation. Tout ceci nous a permis de collecter des précieux retours d’expériences et ainsi de dresser un bilan documenté du dispositif quatre ans à peine après son lancement effectif. C’est une démarche assez inédite pour une politique publique. Depuis son lancement en 2018 par le ministre Jacques Mézard, « Action cœur de ville » a insufflé indéniablement une dynamique d’attractivité des villes moyennes. Au 30 juin 2022, 4,8 Md€ avaient été engagés par l’État et les partenaires financiers (Banque des Territoires / Action Logement / Anah) sur l’enveloppe totale de 5 Md€, permettant ainsi de soutenir 6500 actions concourant à la revitalisation des centres-villes. Cela veut dire par exemple 70 000 logements réhabilités, des restructurations de cellules commerciales, des requalifications d’espace ou d’équipements publics, des patrimoines remarquables rénovés et des investissements économiques innovants. Si les contraintes n’ont pas manqué (crise sanitaire, report des élections municipales puis la guerre en Ukraine), des moyens supplémentaires issus de France Relance (dotations déconcentrées pour l’investissement local, Fonds friches, Fonds restructuration des locaux d’activité, etc.) sont venus efficacement soutenir les pro- jets ACV. Globalement, le bilan est donc très positif. Mais, au-delà du bilan chiffré, l’impact positif du programme repose incontestablement sur la nouvelle image véhiculée par ces villes moyennes, je dirais plutôt à taille humaine, qui exercent une fonction irremplaçable de centralité pour tout leur territoire. C’est bien ce critère de centralité qui a présidé à la sélection des 222 villes de métropole et d’outre-mer (234 avec les binômes), de Chinon à Limoges, très majoritairement des villes préfecture et sous-préfecture. Et ce changement de regard des investisseurs, des observateurs et de nos concitoyens eux-mêmes a créé un effet d’attractivité formidable. Prenez par exemple le Baromètre de l’immobilier que nous construisons chaque année avec le Conseil supérieur du notariat : on constate une progression importante du nombre de transactions (+17 %) dans les villes ACV depuis 2018 et un prix de l’immobilier qui, tout en bénéficiant d’une revalorisation raisonnable, demeure très attractif en comparaison des métropoles. Ces villes qui étaient les grandes oubliées des politiques publiques ces dernières décennies renforcent leur rayonnement, amplifié par la crise sanitaire, et offrent un fort potentiel de croissance durable sur tout notre territoire, ce qui est stratégique en termes de cohésion. Enfin, la méthode globale, partant du projet local et faisant confiance aux élus et acteurs locaux, est plébiscitée par tous. En l’espèce, l’État a démontré une véritable capacité d’impulsion sur la base d’une gouvernance partenariale, dé- centralisée et déconcentrée. Par ailleurs, à l’occasion des Assises européennes des centres-villes à Strasbourg en juin dernier, le Baromètre des centres-villes établi par le CSA pour Centre-ville en mouvement affiche un taux de notoriété du pro- gramme dans la France entière d’environ 40 % et de positivité élevée pour ceux qui en ont entendu parler. Ce sont des chiffres rares pour une jeune politique publique et qui nous engagent à aller de l’avant.

RCL : N’avez-vous pas identifié des faiblesses dans le dispositif ?


R.M.-B. :
Si, bien sûr, nous cherchons en permanence à faire plus et mieux. Quelques pistes de progrès sont poursuivies : tout d’abord, je citerais l’ingénierie. Le programme a vocation à accompagner les villes dans leur volonté de s’attaquer aux transformations les plus complexes. Refaire la ville sur la ville est plus difficile que bétonner un espace naturel comme on n’a cessé de le faire depuis des décennies. Il nous faut donc intensifier l’accompagnement en ingénierie opérationnelle et créer des outils adaptés (à l’instar du Fonds friches) pour résorber les verrues urbaines par exemple. On s’attaque à ce qui est le plus difficile désormais. Les maires nous ont également fait remonter leurs besoins financiers, notamment pour soutenir leurs investissements publics dont le nombre monte en puissance, et réclamé une visibilité pluriannuelle. Ces aides financières sont indispensables pour rendre la ville à nouveau désirable et répondre aux objectifs de maîtrise de l’étalement urbain en limitant la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Les friches, par exemple, représentent à cet égard un gisement foncier dont la mobilisation et la valorisation doivent désormais être préférées à l’artificialisation d’espaces naturels pour développer de nouveaux projets souvent transversaux. Ce n’est donc pas un hasard si le récent Fonds friches qui prend en charge les déficits d’opération a rencontré un succès considérable (140 villes ACV en ont déjà été bénéficiaires). Sa pérennisation, annoncée par le président de la République en clôturant la 4e Rencontre nationale ACV le 7 septembre 2021, a répondu à cette forte attente des élus. Autre point de vigilance, il serait nécessaire de mieux articuler les politiques publiques concernant les territoires avec un programme national comme ACV qui se propose d’en être le vecteur opérationnel. C’est d’ailleurs une des recommandations de la Cour des comptes qui vient de contrôler ACV et que nous faisons pleinement nôtre. C’est pour cela que nous souhaitons renforcer la dimension interministérielle du programme et que je préconise à titre personnel de confier aux préfets un pouvoir d’adaptation pour tenir compte des spécificités locales afin de mieux atteindre les objectifs nationaux.

RCL : Le rapport de la mission conjointe de contrôle sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs du Sénat sera rendu public prochainement ; il semblerait que certains élus caractérisent le programme ACV de « machine à frustrations »...


R.M.-B. :
Nous attachons bien évidemment la plus grande considération aux travaux du Sénat qui nous se- ront très utiles au moment où est en train de s’élaborer la maquette de la seconde phase du programme 2023- 2026. Nous devons à cet égard persévérer en matière de pédagogie sur le mode d’intervention d’ACV pour éviter tout malentendu. En effet, le paquet financier de 5 Md€ sanctuarisé par l’État et les partenaires financiers vise à soutenir les projets portés ou soutenus par les villes ACV. Par exemple, la rénovation ou la construction de logements a mobilisé plusieurs milliards qui vont directement aux opérateurs concernés et non aux collectivités. Cela aura pour résultat de (re)mettre des habitants en ville, ce qui est l’objectif des collectivités concernées. D’autre part, notre suivi financier est imparfait car nous ne comptabilisons pas encore des financements importants de l’État (friches, Ségur de la santé, etc.) qui vont contribuer à la redynamisation des centres-villes sans parler des outils fiscaux comme le « Denormandie ancien ». Il faut aussi souligner que les villes ACV sont les grandes bénéficiaires des relocalisations de services centraux de Berçy et de l’Intérieur. Quoi qu’il en soit, notre consultation des maires nous a confirmé que les actions portées directement par les villes (ou intercommunalités) nécessiteront des soutiens financiers importants ces prochaines années. Sans préjuger les arbitrages finaux du gouvernement et des partenaires financiers, l’an- nonce récente par la Première ministre Élisabeth Borne de la création d’un Fonds vert confirme, si besoin était, la détermination du gouvernement à accompagner dans la durée les villes ACV qui ont déjà de nombreux projets prêts à démarrer. Au-delà des seuls aspects financiers, nous constatons partout l’effet levier du programme avec le retour ou l’accroissement de l’investissement privé. Nous allons pouvoir l’évaluer à l’issue de cette première phase, la Cour des comptes le demande justement.

RCL : Avez-vous constaté depuis 2018 une évolution dans les projets d’investissement ?


R.M.-B. :
Le programme est, en fait, très pragmatique, des avenants permettant de faire évoluer les projets locaux ACV au fur et à mesure. Après les élections municipales, il y a eu aussi des changements d’équipes qui portent d’autres ambitions et, même lorsque les équipes ont été reconduites, elles ont souhaité très souvent les adapter aux nouveaux enjeux social et environnemental. Par ailleurs, le programme s’est lui-même enrichi de mesures nouvelles (ORT, divers fonds, relocalisations de services, « Denormandie ancien », partenariats, etc.). Des initiatives sont aussi venues compléter l’offre du pro- gramme aux collectivités ACV volontaires. Ainsi, « Réinventons notre cœur de ville » a pour objectif de faciliter l’émergence de projets urbains innovants et de qualité en centre-ville, adaptés aux marchés et aux besoins locaux, et valorisant le patrimoine architectural, paysager et urbain. En parallèle, « Territoires pilotes de sobriété foncière » a pour but de les accompagner dans un processus de développement résidentiel et économique privilégiant la sobriété foncière (friches, dents creuses, démolition-reconstruction, diversité d’usages) à l’étalement urbain. La création du Fonds friches a apporté à cet égard une réponse déterminante pour réaliser ces opérations complexes en compensant les éventuels déficits d’opération. Son rapide succès a confirmé la pertinence de ce dispositif qui a été abondé.

RCL : Ces aménagements annoncent-ils les mesures d’ACV saison 2...


R.M.-B. :
Le rapport de préfiguration ACV 2023-2026 que j’ai eu l’honneur de remettre en juillet aux ministres Christophe Béchu et Caroline Cayeux, ainsi qu’à Matignon et aux autres ministères concernés, est issu des travaux d’une mission associant, aux côtés de l’ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoire), les partenaires financiers fondateurs et la DGALN (Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature). Nous avons également travaillé en étroite association avec Villes de France dans une démarche stimulante de coconstruction. Bien entendu, j’assume personnellement la responsabilité des propositions qu’il contient. Il appartient désormais au gouvernement de rendre ses arbitrages et d’arrêter avec les partenaires l’enveloppe financière qui sera dédiée à ACV2, ce que nous espérons pour cet automne. Sur le fond, mon rapport propose de faire de la lutte contre l’étalement urbain et de l’adaptation au changement climatique via notamment la sobriété foncière et d’usages le fil conducteur de cette seconde phase. En continuant à s’appuyer sur une gouvernance partenariale, décentralisée et déconcentrée, il préconise d’amplifier les axes fondateurs du programme (logement, commerce, patrimoine, etc.), de l’enrichir pour répondre aux défis des trois grandes transitions (démographique, économique et écologique) et d’en élargir le champ d’intervention sur les quartiers de gare et les entrées de ville suite à la préconisation du président de la République. Sur ces dernières, j’ai remis en juillet un rapport complémentaire sur la requalification des entrées de ville et d’agglomération, avec pour ambition de voir comment nous pourrions collectivement faire reculer cette « France moche » ou « défigurée » pour reprendre le titre d’une célèbre émission de télévision. Cet enjeu concerne toutes les strates de collectivités, des métropoles aux petites villes. En quelque sorte, ACV2 se propose d’être le vecteur de mise en œuvre des politiques publiques majeures sur ces grandes transitions, dans et avec les territoires concernés. Plus généralement, il nous faut retravailler complètement la ville sur la ville ; à l’inverse d’Alphonse Allais, ce ne sont pas les villes qu’il faut mettre à la campagne, ce qui favorise l’étalement urbain, mais la campagne dans la ville ! C’est un changement de paradigme radical. Cela veut dire, bien sûr, qu’il faut d’abord produire des types d’habitation qui correspondent aux aspirations contemporaines avec de la lumière, des nouvelles fonctionnalités mais également des espaces privatifs. En parallèle, il faut repenser les aménagements pour favoriser les mobilités actives : la marche et bien sûr le vélo. Car encore aujourd’hui, dans bon nombre de villes, se rendre à pied du centre à la gare par exemple relève du parcours du combattant. Il faut concevoir une ville véritablement servicielle qui puisse maintenir les seniors dans leur habitation, avec des logements qui s’adaptent au vieillissement et aux aléas de la vie, une mobilité repensée et des services et équipements plus facilement accessibles. Nous devons imaginer tout cela en accueillant aussi plus de familles, d’étudiants et d’actifs. Sans oublier la nature en ville qui doit être considérée comme une infrastructure à part entière. Bref, une ville apaisée, décarbonée, intergénérationnelle et désirable.

RCL : Quel rôle le programme ACV joue-t-il dans la poli- tique des mobilités ?


R.M.-B. : La crise sanitaire a accéléré le développement des mobilités actives comme les pistes cyclables, par exemple, mais la marche ne doit pas être oubliée. ACV propose de mieux soutenir ces modes de transport avec la création d’infrastructures adaptées car il reste encore beaucoup à faire. Cependant, en matière de mobilité décarbonée, il faut trouver un juste équilibre. Nous sommes passés du « tout voiture » à, parfois, la difficulté d’accéder au centre ou d’y résider. Or, le cœur de ville redevient attrayant pour les populations qui souhaitent à nouveau y habiter ou le fréquenter, ce qui est une formidable nouvelle. Pour preuve, sept habitants sur dix d’une agglomération s’y rendent en moyenne au moins une fois par mois, selon l’Observatoire des mobilités que nous publions avec MyTraffic. Pour consolider cette fonction de centralité, il faut développer des solutions innovantes (navettes électriques à partir de zones relais à proximité, parkings intelligents, circulations plus apaisées, mobilités partagées, etc.). Au-delà de piétonniser leur centre, de nombreuses villes ACV ont requalifié les berges en zone de promenades, d’activités ou en parcours sportif par exemple. Le mouvement est massif et produit des résultats visibles. Une requalification gagnante pour les habitants qui retrouvent de la sérénité et du bien-être, mais également pour le territoire qui voit se développer les commerces, les animations et revenir les habitants en ville. Dans ce sens, les villes à taille humaine sont de véritables terrains d’expérimentations. Les offres de services de mobilité se multiplient, souvent sous l’impulsion de start-up locales. Quoi qu’il en soit, si l’on veut que des habitants et notamment les familles reviennent habiter en ville, il faut prévoir des modes de déplacement adaptés : transports collectifs, transports à la demande, modes actifs tout en prévoyant des solutions pour stationner à proximité les véhicules légers qui, même électriques ou hybrides, restent encore souvent nécessaires. Ce n’est pas toujours simple mais on trouve souvent des solutions. La logistique urbaine est aussi un en- jeu à traiter en amont de tout projet d’aménagement. Ma conviction, c’est qu’il nous faut collectivement œuvrer pour une ville vivante où les habitants se déplacent très facilement et se rencontrent et résister à l’« ubérisation » de l’espace public, avec toutes les nuisances urbaines et souffrances sociales qui en découlent. Mettre en quelque sorte de l’humanité dans nos relations, c’est retrouver l’esprit fondateur de la ville pour tous. C’est un choix de société.

Propos recueillis par Danièle Licata

 

 

 

Paroles de maires

RCL
Question :
Un maire, donc OPJ, peut-il l’être en dehors de sa commune ?
Réponses :
Non, il est élu OPJ sur sa commune.
Tous les pouvoirs du Maire en tant que représentant de l'Etat ne lui sont octroyés que sur son territoire.
Non uniquement dans la commune où il est élu maire.

Inscrivez-vous dès maintenant sur le groupe Facebook Paroles de Maires pour obtenir des informations quotidiennes sur l'actualité de vos missions.

Copyright © 2022 Link Media Group. Tous droits réservés.
arrow-right