TENDANCE. Loin d’être une question exclusivement tech-nique, la gestion des eaux pluviales relève d’une véritable stratégie d’aménagement du territoire, à envisager en amont. Entretien avec Élodie Brelot, directrice du Graie*.
RCL: De quelle manière les eaux pluviales sont-elles prises en compte dans l’aménagement des villes?
Élodie Brelot : La culture du « tout tuyau » n’est désormais plus la solution principale. Dans les nouveaux aména-gements, c’est aujourd’hui une pratique courante de concevoir la gestion des eaux pluviales avec des solutions à la source, sans tuyaux. C’est une démarche globale et multi-acteurs qui s’initie très en amont des projets, et ces solutions ont fait leurs preuves. L’enjeu, aujourd’hui, est de trouver des solutions pour les zones déjà urbanisées. Quand on reconstruit la ville sur la ville, se présente l’opportunité de déconnecter les eaux pluviales des réseaux et de dé-simperméabiliser les espaces. Mais cela nécessite des changements de pratiques importants.
Quelle est la stratégie la plus perti-nente pour aborder la ques-tion des eaux pluviales?
É.B. : La gestion traditionnelle des eaux pluviales par des réseaux génère deux risques concomitants: les inondations et la pollution. Les premières sont la conséquence de l’ac-célération du ruissellement sur les bassins-versants, et de la concentration des eaux vers les points bas, du fait de l’imperméabilisation des sols et de la canalisation des eaux, provoquant des débordements de réseaux. Dans le même temps, ces eaux nettoient les surfaces urbaines (toitures, voiries…) et concentrent les pollutions. Il faut vraiment changer de paradigme. Plus on gère l’eau de pluie près de là où elle tombe, moins elle concentre de pollution et moins elle gé-nère de risques d’inondations! Chercher systématiquement à ne pas concentrer les eaux, ralentir le ruissellement, fa-voriser l’infltration des eaux pluviales et enfn, si possible utiliser cette ressource pour le projet d’ensemble, sont certai-nement les orientations fon-damentales d’une bonne stratégie à l’échelle d’un aménagement.
Quel est le rôle de la désimper-méabilisation dans cette stratégie?
É.B. : Il convient d’aborder les ré-ponses techniques qui peuvent être apportées de manière im-médiate, à l’échelle des amé-nagements, mais aussi dans la durée pour remédier aux conséquences de près de deux siècles d’urbanisation avec une imperméabilisation systé-matique des surfaces urbaines et la canalisation des eaux pluviales, et ce en lien avec l’urbanisme et l’aménagement du territoire. Il est urgent de désimperméabiliser la ville pour limiter le ruissellement des eaux pluviales, selon le principe éviter, réduire et compenser. Certes, l’infltration profonde ne peut se faire partout. Mais il faut avoir à l’esprit que 80 % des événements pluvieux, sur une année, représentent des petites pluies de moins de 15 mm; et si on infltre directe-ment, ce n’est que cette lame d’eau que l’on doit gérer, il est alors possible de les stocker dans le sol de manière simple. Au-delà, il est important de mettre en place une gestion différenciée en fonc-tion des niveaux de pluie et des ni-veaux de service recherchés.
Quels sont les arguments pour changer les pratiques?
É. B. : Les réseaux d’eaux pluviales rendent un vrai ser vice dans les centres urbains denses. Il ne s’agit pas de concevoir une ville sans tuyau mais de s’adapter. Il existe des solutions alternatives qui ont fait leurs preuves et qu’il faut intégrer en amont dans l’aménagement ou le réamé-nagement d’un territoire, car elles évitent d’aggraver un certain nombre de risques. L’aménagement durable de nos terri-toires, la qualité du cadre de vie, l’adap-tation aux changements climatiques, le développement de la végétation et de la biodiversité, le besoin d’ombre en ville et la recharge des nappes phréatiques sont autant d’arguments qui convergent vers une bonne gestion des eaux pluviales. Ce n’est plus une problématique de techni-cien, mais une stratégie d’aménagement du territoire que les élus doivent s’ap-proprier. Les eaux pluviales sont poten-tiellement un problème, elles sont aussi une opportunité, parfois même une res-source.
Qui est en charge de la gestion des eaux pluviales?
É.B. : Là également, il faut changer de modèle: cette problématique pourrait être considérée comme relativement simple si les ouvrages n’étaient que techniques. Or comment qualifer un espace vert qui recueille temporairement des eaux pluviales? Qu’en est-il des aménagements réalisés sur les espaces privés qui contribuent aussi, localement, à la gestion durable des eaux pluviales, sans raccordement aux réseaux collectifs ? Acteurs privés et publics, services de l’eau et des espaces verts, chacun est responsable de la bonne gestion des eaux pluviales
qui tombent sur son fond. C’est une réalité. Aujourd’hui, doivent se mettre en place des services de gestion des eaux pluviales urbaines pour la partie collective, dont les contours restent à préciser.
Propos recueillis par Blandine Klaas
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