Pour Brice Lalonde, président du think tank Équilibre des Énergies, il faut recourir aux énergies décarbonées, nucléaire et renouvelables, pour atteindre la neutralité carbone, mais également mettre l’efficacité énergétique au service de l’efficacité climatique. Rencontre avec l’ancien ministre de L’Environnement.
RCL : Le plan de la Commission européenne pour atteindre la neutralité carbone en 2030 vise à réduire les émissions de CO2 de plus de 55 % d’ici à 2030. Comment y parvenir ?
Brice Lalonde : Après de longues négociations, les discussions tripartites entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen ont abouti à un accord sur la loi climat pour laquelle l’Union européenne se fixe l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Nous saluons cet accord qui instaure pour 2030 un objectif de réduction de 55 %, contre un objectif auparavant fixé à 40 %. Mais pour atteindre cet objectif, il faut cesser d’envoyer du carbone fossile dans l’atmosphère et donc ne plus brûler de charbon, de pétrole ou de méthane extraits de l’écorce terrestre. Cela s’appelle décarboner l’économie. Mais pour faire fonctionner l’activité, cette décarbonation commande de substituer des formes d’énergie décarbonées aux combustibles fossiles ou, à la rigueur, de capturer et stocker le CO2 émis lors de leur combustion, voire d’utiliser ce CO2 comme une matière première.
RCL : Quelles sont les autres formes d’énergies décarbonées ?
B.L. : Les formes d’énergies décarbonées aujourd’hui disponibles sont l’électricité et la chaleur. L’hydraulique, le nucléaire, les énergies éolienne et photovoltaïque produisent de l’électricité décarbonée, de façon propre. L’électrification est donc le premier axe de la décarbonation. L’objectif étant d’accroître la part de l’électricité dans la consommation d’énergie en France de 25 % à 50 % en 2050. Dans le secteur des transports, on voit déjà s’accroître la part de l’électrique qui se substitue progressivement au thermique. Quant à la chaleur renouvelable, elle devrait représenter l’autre moitié de la consommation finale. Les sources peuvent être le soleil, la géothermie, un usage raisonné de la biomasse, la récupération de la chaleur fatale des industries ou des eaux usées, les réseaux de chaleur urbains approvisionnés par des sources renouvelables ou l’incinération des déchets, la capture des calories de l’environnement par les pompes à chaleur qui rendent trois à quatre fois plus d’énergie qu’elles n’en consomment.
RCL : Est-ce que la politique climatique de la France va dans ce sens ?
B.L. : Malheureusement la politique climatique de l’Europe, relayée en France par le ministère de l’Écologie, évoque l’hydrogène vert à base de renouvelables mais ne parle pas du tout d’hydrogène décarboné. Ce qui exclut d’emblée le nucléaire qui est une énergie sans CO2. C’est dommage car dans les années à venir, on consommera davantage d’énergies et on aura besoin du nucléaire. Dans son texte, la Commission ne mentionne d’ailleurs pas du tout le nucléaire. L’axe de la politique climatique reste celui de l’efficacité énergétique, c’est-à-dire de la réduction de la consommation d’énergie, toutes sources confondues, qu’elles soient carbonées ou décarbonées. Or, si la réduction de la consommation d’énergie fossile est cohérente, on ne voit pas en quoi cette obligation devrait concerner les énergies décarbonées. D’autant que le principe de l’efficacité énergétique tel qu’il est mis en œuvre en Europe et en France s’exerce au détriment de l’électricité qu’il faut au contraire encourager. Les règlements actuels du bâtiment continuent de pénaliser l’électricité au titre qu’il faut la produire. L’efficacité énergétique nuit à l’efficacité climatique. Bien qu’elle soit décarbonée, l’électricité d’origine nucléaire reste pénalisée en France, au titre que le rendement des centrales thermiques est médiocre. Mais ce n’est pas la chaleur perdue qui est responsable du dérèglement du climat, mais le manteau de gaz qui stagne dans l’atmosphère. Encore une fois ce qui compte n’est pas le rendement, mais la présence ou l’absence de CO2. Le rejet du nucléaire conduit à vanter l’électricité 100 % renouvelable ; des études l’estiment possible. Mais c’est à la condition que la France diminue sa consommation de moitié, se couvre d’éoliennes et accepte le renfort du gaz fossile les jours sans vent ni soleil.
RCL : Est-ce que la politique de réduction de la consommation d’énergie permet de combattre le changement climatique ?
B.L. : La politique de réduction de la consommation d’énergie, qui finit par coûter cher, ne permet pas de combattre le changement climatique à l’échelle nécessaire. Seul le recours aux énergies décarbonées, dont le nucléaire et les renouvelables, peut nous mettre sur la bonne voie. Evidemment l’efficacité énergétique est le complément utile de l’efficacité climatique, mais elle lui est seconde. Bien évidemment il ne s’agit pas de promouvoir le gaspillage. La sobriété est certainement une valeur écologique, mais surtout si elle accompagne la décarbonation.
RCL : Mais finalement, la nécessité de la décarbonation va demander encore plus d’énergie ?
B.L. : Il est un aspect négligé de la transition, c’est qu’elle réclame de l’énergie. S’il est bientôt interdit de larguer dans l’air du CO2, il faudra bien que les industries émettrices, les aciéries, les cimenteries, les usines chimiques, les raffineries, le capturent et l’envoient dans le sous-sol. L’obligation coûtera cher en énergie, les rendements chuteront. Si la production d’hydrogène est décarbonée, il faudra bien soit capturer le CO2 laissé par le reformage du gaz, soit alimenter des électrolyseurs pour casser la molécule d’eau. Si les avions volent avec des carburants synthétiques neutres en carbone, il faudra bien les produire à partir de CO2 recyclé, d’hydrogène et d’électricité. Et s’il faut un jour se résoudre à extraire le CO2 de l’air, il faudra y consacrer des moyens considérables.
Propos recueillis par Danièle Licata
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