DÉCRYPTAGE. Le 6 novembre 2018, 22 collectivités ont reçu le label « Territoire numérique libre » parmi lesquelles DR Nancy. En optant pour des logiciels « libres », la municipalité participe ainsi au développement des solutions qu'elle utilise. Une véritable philosophie que défend Romain Pierronnet, adjoint au maire, délégué à l'éducation, aux écoles et au numérique.
Qu'est-ce qui a motivé le choix de la ville de Nancy pour les solutions open source ?
Romain Perronnet : Dès 2014, la nouvelle équipe municipale a lancé une réflexion sur l'utilisation des logiciels libres. Il s'est ensuivi la migration de 700 postes informatiques vers la solution de bureautique Libre Office. Une opération qui représente pour la ville une économie de l'ordre de 100 000 € chaque année, une somme non négligeable compte tenu de la baisse des dotations aux collectivités engagée depuis plusieurs années. Toutefois, avant de prendre cette décision, nous avons mené une enquête d'usage pour nous assurer de la viabilité de cette opération. Il s'est avéré que seuls 20 % des agents ou collaborateurs, dont l'activité nécessite une interaction avec l'extérieur, pouvaient encore avoir besoin de certains logiciels propriétaires compte tenu de leurs missions. Nous avons donc franchi le pas pour 80 % des postes de travail. Mais avec le temps, nous avons constaté que l'aspect économique n'est pas le plus important dans cette démarche.
Quels bénéfices tirez-vous de l'utilisation de solutions libres ?
R.P.: Le sujet n'est pas tant les économies qui ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Les logiciels libres ont bien un coût, ne serait-ce que celui lié à leur déploiement et à la formation des agents. Il s'agit surtout d'investir différemment. Le logiciel libre est une autre façon de conduire le changement au sein d'une collectivité. C'est une manière différente d'investir les moyens, de produire du sens auprès des agents dans le cadre de la digitalisation du service public territorial. Avec, au final, un processus plus apaisé dans lequel les outils sont coconstruits directement avec les agents, car ce sont d'abord eux les utilisateurs, plus que l'élu.
De quelle manière les agents prennent-ils part à l'évolution de leurs propres outils ?
R.P.: La liberté, c'est l'essence même des logiciels libres, dont les sources sont accessibles à tout le monde. Chacun peut donc, s'il le souhaite, en poursuivre le développement et imaginer de nouvelles fonctionnalités. Le libre change également la posture de l'éditeur vis-à-vis du commanditaire public et du travail qu'il effectue avec les agents. Il ne dispose pas d'une solution clé en main, mais d'un moteur libre qui va évoluer en fonction de nos besoins. Le logiciel libre procure une souplesse dans le développement comme dans la maintenance de l'outil qui, pour nous, est sécurisante. Et si demain nous souhaitons d'autres développements, nous pourrons nous tourner vers une autre entreprise sans aucun problème. Mais, surtout, nous pouvons partager ces logiciels avec d'autres collectivités. Un argument auquel je crois beaucoup.
C'est donc en quelque sorte un changement de philosophie
...
R.P.: En effet, tous les développements réalisés sont mutualisables avec les autres utilisateurs de logiciels libres. L'ensemble des collectivités peut bénéfi-cier, gratuitement, des développements que nous aurons réalisés et/ou financés. Un exemple, nous déployons en ce moment une gestion électronique du courrier avec le logiciel Maarch. La ville de Nancy a acheté le logiciel et financé une partie de son développement. Demain, cette solution disponible sur le site de l'éditeur pourra être utilisée par d'autres communes. Une belle manière de mutualiser l'argent public et permettre de créer une solidarité entre les collectivités en faveur du développement informatique. Plusieurs canaux, dont Adullact* et April**, permettent l'échange d'informations et de pratiques à ce sujet.
De même, la philosophie d'acquisition n'est plus la même. Faire élaborer des développements sur un logiciel libre par un éditeur a un coût, à la différence près que celui-ci porte sur l'humain et non pas sur l'achat des licences nécessaires à l'utilisation du logiciel. Nous investissons dans l'accompagnement managérial proposé dans le cadre du déploiement de l'outil. L'objectif étant, d'une part, que les agents s'en emparent pour rendre un meilleur service public à l'habitant et, d'autre part, leur permettre de travailler plus efficacement et plus simplement.
Quels sont les logiciels libres actuels et futurs utilisés par la ville ?
R.P.: Outre la solution de bureautique Libre Office, dont nous terminons actuellement le déploiement, nous utilisons Publik, un logiciel de gestion de la relation usager, Decidim, un logiciel de participation citoyenne déployé par la société parisienne Opensource Politics, ou encore la gestion électronique de courrier Maarch. Fin 2018, nous aurons terminé le déploiement de la dématérialisation du courrier. Grâce à cette opération, nous gagnerons quelques jours dans le délai de réponse aux habitants qui se situe aujourd'hui dans une moyenne de dix à treize jours. Nous réfléchissons également, pour l'avenir, à équiper les postes informatiques de nos écoles de logiciels libres.
22 COLLECTIVITÉS REÇOIVENT LE LABEL « TERRITOIRE NUMÉRIQUE LIBRE »
Le 6 novembre 2018, l'association Adullact a attribué 22 labels « Territoire numérique libre », récompensant les usages numériques libres, citoyens et collaboratifs dans les collectivités territoriales. « L'idée est d'encourager les collectivités à introduire des logiciels libres dans leurs métiers et dans leurs services d'information, explique Pascal Kuczynski, délégué général de l'association. D'autant plus que ces logiciels payés une seule fois profitent à tout le monde. »
Propos recueillis par Blandine Klaas
Inscrivez-vous dès maintenant sur le groupe Facebook Paroles de Maires pour obtenir des informations quotidiennes sur l'actualité de vos missions.