TENDANCES. La crise du Covid-19 a imposé une gestion locale au plus près du terrain et une collaboration interrégionale et nationale plutôt réussie grâce aux outils numériques mais qui suppose une volonté politique forte de les faire fonctionner
et une organisation décentralisée et collaborative. Explications.
La France a bâti sa puissance sur la construction d’un modèle centralisateur depuis la bataille (perdue pendant la guerre de Cent Ans) d’Azincourt, avec des administrations fortes attirant les ambitieux vers la capitale, lieu de concentration de tous les pouvoirs. La Révolution française n’a fait, depuis, qu’amplifier le phénomène par un « darwinisme républicain », le mouvement de décentralisation « à la française » de la fin du XXe siècle restant très loin des modèles de nos voisins européens.
Dans les années 1980 commence à émerger le protocole HTML, qui per- mettra la création de l’Internet, système global décentralisé et collaboratif. Mais la France s’en méfiera et perdra au pas- sage dix ans à mener la bataille du Minitel comme standard mondial contrôlable par France Telecom qui appartient... à l’État (pour les rattraper dans la décennie suivante, la centralisation n’a pas que des défauts !).
L’appropriation par les collectivités de ces outils numériques, simples ou sophistiqués, par définition matriciels, permet aujourd’hui l’émergence d’un modèle hybride, encore à bâtir, où girondisme et jacobinisme s’optimisent par une meilleure efficacité des pouvoirs et des services publics.
Le système collaboratif et décentralisé d’Internet donne aux acteurs locaux une nouvelle capacité d’action tout en déployant relativement simplement des services performants, en parallèle d’une meilleure coordination nationale et européenne.
L’action concrète déployée au niveau des bassins d’emplois et de vie, donc locale, peut s’appuyer, grâce aux outils numériques, sur des collectes de données sanitaires ou économiques et leur traitement en fonction des objectifs de la puissance publique locale et nationale, afin de gérer dans la finesse les moyens et les besoins. Ces outils très performants, (certains développés par des entreprises françaises) sont déjà au service des acteurs pour au- tant que ces derniers le souhaitent et s’y forment.
Ainsi, la crise du Covid-19, internationale par nature, a imposé une gestion locale au plus près du terrain, plutôt réussie dans le contexte, et une collaboration interrégionale et nationale. La mesure rapide des taux d’occupation des hôpitaux, remontés directement du terrain, et la communication numérique simple entre des acteurs divers géographiquement éloignés, confinés ou non, a permis d’organiser au niveau national (et européen) des transferts de patients.
DES OUTILS POUR MIEUX GÉRER LA COMPLEXITÉ DE LA COLLECTIVITÉ
Une collectivité, ce sont des activités humaines impliquant des transports, des établissements scolaires, du ramassage de déchets, des réseaux de télécommunication et d’énergies... fondamentales et interdépendantes les unes des autres. On peut déjà citer quelques exemples des outils numériques investis sur ces champs.
L’optimisation des investissements. Certaines plateformes (dont des françaises) combinent algorithmes et intelligence artificielle, et permettent de rentrer les données de tous les acteurs impliqués dans un problème pour trouver des solutions intelligentes (et pas forcément numérique d’ailleurs) rapidement. Ainsi cette grande collectivité locale qui s’apprêtait à investir plusieurs millions dans un métro pour limiter les embouteillages du matin, qu’une plateforme numérique a permis d’économiser en montrant qu’un décalage de l’ouverture des cours des universités et des bureaux permet- tait d’alléger suffisamment la circulation.
La mesure de la performance et le contrôle des processus publics et privés. La généralisation d’outils comme la maquette numérique (BIM) dans le monde de la construction par exemple, permet déjà de gagner en efficacité-coût, mais aussi en transparence, vis-à-vis des maîtres d’œuvre que sont les collectivités et de leurs administrés.
La dématérialisation des procédures et la simplification de la relation avec les administrés. Déjà largement engagée avant le confinement, elle a permis aux collectivités locales de continuer à fonctionner pendant la période de confinement, tout en protégeant leurs agents publics.
Les outils d’information sur la vie locale et sur le fonctionnement des services publics optimisent le dialogue avec la population. Ils ont aussi montré l’appétence à la citoyenneté, et la collaboration solidaire parfois organisée en dehors, mais rarement contre les élus, qui s’est accélérée avec la crise.
La crise du Covid-19 a aussi imposé une adoption massive du télétravail ce qui permet d’en tirer quelques enseignements. Pour beaucoup se structure, il a permis à la fois une meilleure efficacité de l’organisation du travail, a fait économiser du temps de transports, mais a aussi attiré de nouveaux talents désireux de demeurer dans un environnement agréable.
L’enclavement géographique, sous ré- serve d’une connectivité fonctionnelle, est devenu relatif : beaucoup de cadres confinés ont continué à avoir accès et rencontrer virtuellement des « gens pertinents » basés dans n’importe coin du monde, collègues, homologues, étrangers, prestataires... Tous ont appris à réfléchir, discuter, négocier à travers les écrans. Le monde de demain devra ainsi continuer à mélanger les rencontres physiques et virtuelles pour élargir les horizons de tous.
Enfin, au niveau des salariés, le « cadre de vie » s’est avéré déterminant dans la manière dont le confinement a été vécu. Ainsi, les villes moyennes ont su tirer leur épingle du jeu en proposant un environnement agréable et une forte connectivité numérique.
Les outils numériques peuvent donc permettre de mener de manière pragmatique et efficacement cette double approche, nationale et locale, chacun efficace dans son domaine, pour le bénéfice de nos concitoyens. Ils supposent néanmoins d’abord une volonté politique de les faire fonctionner et une organisation qui reflète leur réalité technique, donc décentralisée et collaborative.
Ils supposent également un vrai effort de formation, tant pour le personnel les utilisant, que les managers qui devront apprendre à déléguer, plutôt qu’à imposer.
Thaima Samman, avocate associée, fondatrice du cabinet Affaires publiques.
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