L’université d’été « Villes, Territoires & Vieillissement » afin de sortir du tabou du grand âge

L’Université d’Été « Villes, Territoires & Vieillissement » qui se déroulera cette année à Paris vendredi 30 septembre et samedi 1er octobre 2022 , dont RCL est partenaire, participe à mettre à l’agenda le grand âge, un sujet qui doit mobiliser la société toute entière pour prendre le virage domiciliaire. Rencontre avec Nassim Moussi, architecte et Fondateur Université d'été « Villes, Territoires et Vieillissement » et Hugo Christy, fondateur de Demain Matin et co-pilote de l’Université d’Été.

RCL : Vous organisez pour la deuxième année les Universités d’été Villes, Territoires & Vieillissement ; Pourquoi cet événement annuel dont RCL est partenaire ?

Nassim Moussi et Hugo Christy : La transition démographique est sans doute l’une des tendances lourdes qui modifie le plus en profondeur la société française. Or nos villes et nos territoires doivent être le reflet de cette société. Nous avons un immense travail devant nous pour mettre autour de la table des champs de compétences extrêmement divers, allant des professionnels de l’urbanisme et l’architecture, au monde du soin et du vieillissement, en passant par les élus et la société civile elle-même. Cette recherche de regards croisés est au cœur de l’Université d’Été Villes, Territoires & Vieillissement.

RCL : Dans une Europe de plus en plus âgée, la population vieillit moins vite en France mais de façon inégale selon les territoires. Comment l’expliquez-vous ?

NM & HC : Toute la population vieillit, quels que soient les territoires. Mais depuis plusieurs générations, les Français vivent de plus en plus déracinés : les parcours résidentiels se pensent désormais à l’échelle nationale. L’enfance, les études, la carrière, les divorces ou la retraite forment autant d’occasions de déménager, et s’implanter dans tel ou tel territoire, selon ses envies et ses besoins. C’est d’ailleurs une richesse nationale que d’offrir une telle diversité des modes d’habiter, de l’hyper-rural à l’hyper-urbain. Au-delà des phénomènes bien connus d’héliotropisme ou de recherche de nature des retraités, se jouent des mouvements bien plus complexes : territoires en déprise ou en croissance démographique, attractivité des bassins d’emplois pour les jeunes ménages, capacités des grandes villes à accueillir la dépendance... C’est la conjugaison de tous ces facteurs qui façonne la nouvelle géographie du vieillissement en France - avec quelques cas extrêmes, à l’instar de certains départements ruraux qui approcheront bientôt des 40% de retraités, et peut-être au-delà, au sein de leur population.

RCL : Pourquoi la population âgée s'accroît-elle fortement dans le périurbain et dans certaines métropoles comme Paris, Nantes ou Montpellier ?

NM & HC : Là encore, pour démêler ce paradoxe, il faut croiser vieillissement et gérontocroissance, c’est-à-dire prendre en compte les arrivées et les départs de toutes les classes d’âges. Certes, le vieillissement est rural. Mais le gros de la population âgée est majoritairement urbaine. Et ce qui est vrai aujourd’hui le sera encore plus demain, avec l’avancée en âge des générations du baby-boom. Le portrait-type du Français âgé n’est plus tout à fait celui de la veuve d’un agriculteur ou artisan-commerçant en milieu rural, dans une vieille maison héritée des parents. Il est plutôt celui d’un couple d’urbains, fonctionnaires ou salariés dans le privé, ayant vécu et vieilli ensemble, dans la maison qui fut la structure d'accueil de leur famille. C’est d’ailleurs l’un des enjeux : 70% des plus de 60 ans sont propriétaires de leur résidence principale. Cette classe d’âge est par ailleurs propriétaire de la majorité du parc immobilier résidentiel. Elle détient donc une bonne partie de la clé des grandes mutations urbaines à opérer dans les années à venir : la densification douce des tissus pavillonnaires, l’objectif zéro artificialisation nette, l’immense effort de rénovation énergétique…

RCL : Comment s’organise la prise en charge des populations âgées et quels enjeux pour les métropoles ?

NM & HC : La place des vieux en ville reste encore un choix politique. Pour parler franchement, certaines collectivités portent encore une vision négative du vieillissement, rarement perçu comme une opportunité. Pour d’autres, plus accueillantes, les personnes âgées sont pensées comme des cibles à conquérir pour telle ou telle raison liée à la fiscalité locale, à la demande d’équipements, ou à leurs dispositions électorales supposées. En résulte une approche sans doute insuffisamment participative et très centrée autour des spécialistes. Mais les politiques publiques locales, longtemps orientées vers la santé et la dépendance, évoluent vers davantage de transversalité. Nous le redisons : non seulement les personnes âgées sont un véritable gisement de vitalité urbaine, ils peuvent être le point de départ de projets territoriaux durables et partagés. Deux conditions sont à réunir : celle de la prise en compte de la parole des personnes elles-mêmes ; et celle des inégalités, inter- et intra-générationnelles qui maillent la société tout entière.

RCL : Quelles pistes pour une meilleure accessibilité des services ?

NM & HC : L’enjeu à terme serait de faire émerger un réel service universel, en dépassant les barrières d’âge, de revenus et de patrimoine. Les récentes réflexions sur l’émergence d’un service public territorial de l’autonomie vont dans ce sens. Elles impliquent une meilleure articulation des responsabilités opérationnelles entre échelons de l’action publique. Côté santé, nous devons également tirer toutes les conséquences des crises récentes (modèle EHPAD, Covid-19) en allant vers une métamorphose des métiers et des organisations.

RCL : Quid du financement du 4ème et 5ème âge ?

NM & HC : Les solutions sont déjà balisées, et pour certaines d’entre elles, sur la table du législateur. Pour l’heure, nous relevons que depuis sa création post-canicule de 2003, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) joue un rôle majeur, qui n’a eu de cesse de s’élargir. Elle gère depuis le 1er janvier 2021 la 5e branche de sécurité sociale dédiée au soutien à l’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap. Suite à ses récentes rencontres sur le thème « Vivre à domicile : des conditions à (re)penser ? Âge, handicap et autonomie », l’essentiel, de notre point de vue, est désormais de passer à la mise en œuvre, en identifiant des territoires pilotes dans toute la France pour engager concrètement ce virage domiciliaire.

Propos recueillis par Danièle Licata

 

 

 

Vieillissement et accès aux soins, des disparités territoriales coriaces

Avec l’accroissement massif de l’espérance de vie et l’arrivée au grand âge des premières cohortes du baby-boom, la question du « bien vieillir » est devenue un enjeu central des politiques publiques en France, d’autant que la dernière étude que vient de publier la Caisse des Dépôts « Les disparités territoriales en matière de vieillissement et d’accès aux soins » met en lumière les différences territoriales en matière de vieillissement tant entre les zones densément peuplées et les autres, mais aussi entre l’intérieur des terres et les littoraux atlantique et méditerranéen. Or « la répartition territoriale des personnes âgées n’est pas sans conséquence sur la prise en charge de la dépendance, laquelle suppose de mobiliser toute une palette d’intervenants des secteurs sanitaire et médico-social, selon notamment que les personnes concernées vivent à domicile ou en établissement », soulignent les auteures de l’étude, Nathalie Chataigner et Clémence Darrigade. Un constat qui, selon elles, interpelle les décideurs publics aussi bien au niveau national qu’au niveau local. « Départements et communes sont en effet aux premières loges pour la mise en œuvre effective des politiques du ‘bien vieillir’, notamment en ce qui concerne la prévention comme la prise en charge de la perte d’autonomie. »

Alors face aux enjeux, les auteures se sont penchées tout particulièrement sur l’accessibilité des services de santé les plus consommés par les personnes âgées médecins généralistes, infirmiers et masseurs-kinéthérapeutes), en commençant d’abord par caractériser sur le territoire les fragilités des personnes âgées en termes d’autonomie, mais aussi économiques et sociales, à savoir disparités de revenus et de patrimoine mobilisable, d’isolement et de capacité à se déplacer facilement, etc.

Alors que la population âgée (60 ans et plus) représente 25 % de la population totale, les auteures constatent une concentration dans les zones peu denses telles que la « diagonale du vide » qui s’étend du Sud-Ouest au Nord-Est, dans les zones de montagne, l’intérieur de la Bretagne, mais également dans les zones urbaines et sur les littoraux de la façade Atlantique, de la Bretagne au Pays basque et de la Méditerranée. Concernant l’autonomie, il existe également des inégalités territoriales. « Que l’on considère les 60-74 ans ou les 75 ans et plus, les situations de faible autonomie sont particulièrement répandues dans les Hauts-de-France, en Haute-Corse et en région Grand Est, tandis que l’Île-de-France mais aussi la Bretagne et les Pays-de-la-Loire présentent une situation plus favorable. »

UNE FRACTURE TERRITORIALE QUI A LA PEAU DURE

Le fait de disposer ou non d’un véhicule peut affecter l’accès des personnes âgées aux services (soins de santé, commerces...) dont elles ont besoin, et ce d’autant plus que ces personnes vivent dans des zones plus écartées des centres urbains. Quant à la détention de sa résidence principale, elle peut faciliter le financement d’une éventuelle prise en charge en Ehpad. À cet égard, l’enquête révèle que 31 % personnes âgées de 75 ans ne disposent d’aucun véhicule, un chiffre beaucoup plus élevé que pour les 60-74 ans (11 %). « Ce constat peut refléter le fait que certaines personnes renoncent à conduire avec l’avancée en âge, mais peut également résulter d’une proportion encore élevée, dans cette population, de femmes isolées appartenant à des générations anciennes et n’ayant pas le permis de conduire », souligne la Caisse des Dépôts. Concernant la propriété de la résidence principale, si les 75 ans et plus sont très souvent propriétaires, ayant pu bénéficier de prix de l’immobilier nettement plus bas et de conditions d’emprunt favorables dans les années 1970 et 1980, d’assez fortes disparités régionales émergent : ainsi les régions du Nord et de l’Est, déjà identifiées comme des territoires dans lesquels le degré d’autonomie des personnes âgées est plus faible, se singularisent par une plus faible part de personnes âgées propriétaires de leur résidence principale et une plus forte proportion de personnes vivant dans un ménage dépourvu de véhicule. « Ces indicateurs suggèrent que les personnes âgées faiblement autonomes, nombreuses dans ces régions, risquent d’être plus souvent confrontées à des difficultés économiques qui compliquent leur prise en charge. A contrario, dans les départements du sud- ouest où la part des personnes de 75 ans et plus faiblement autonomes est relativement élevée, les personnes âgées sont plus souvent propriétaires de leur résidence principale et vivent moins souvent dans un ménage dépourvu de véhicule. »

DES SPÉCIFICITÉS GÉOGRAPHIQUES

Une des conditions essentielles au « bien vieillir » est de bénéficier d’un accès facile aux services de santé. Pour la mesurer sur le territoire, les auteures ont analysé les disparités d’accès à trois types de professions médicales ou paramédicales : les médecins généralistes libéraux, les infirmiers libéraux et les masseurs-kinésithérapeutes. « Ces trois types d’intervenants jouant un rôle majeur pour le maintien à domicile des personnes âgées, aussi bien en termes de prévention de la dépendance que de prise en charge à domicile des personnes dépendantes dans des conditions satisfaisantes. » L’analyse de l’accessibilité des soins de santé, cruciale pour la prévention de la perte d’autonomie comme pour sa prise en charge, met également en évidence de fortes disparités en fonction de la densité de peuplement : l’accessibilité est globalement bien meilleure dans les zones denses ou de densité intermédiaire. Cette hétérogénéité est beaucoup plus marquée pour les soins d’infirmiers libéraux ou de masseurs-kinésithérapeutes que pour ceux de généralistes libéraux. Par ailleurs, dans les communes relativement denses, l’accessibilité des soins d’infirmiers libéraux, en tenant compte de façon fine de l’offre et de la demande locale de ce type de soins, tend à être meilleure dans les communes où le revenu médian est faible que dans celles où le revenu médian est élevé. L’accessibilité des soins présente, enfin, des spécificités géographiques que n’expliquent ni la densité de peuplement ni le revenu médian : en particulier, à densité de population et revenu communal médian donnés, l’accessibilité des soins d’infirmiers libéraux et des masseurs-kinésithérapeutes est bien meilleure sur les façades atlantique et méditerranéenne, ainsi qu’aux frontières nord du pays.

Danièle Licata

La Caisse des Dépôts publie sa base de données sur le vieillissement

La Caisse des Dépôts enrichit son portail Open data avec des données relatives au vieillissement produites principalement par l’Insee et la Drees, poursuivant ainsi son rôle d’acteur des politiques publiques en la matière. A quoi peuvent servir ces données ? « Concrètement, elles pourraient par exemple aider un élu local à améliorer le dimensionnement et l’organisation des aides à domicile pour des personnes âgées en perte d’autonomie, afin de retarder autant que possible leur départ en Ehpad (Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) » explique la Caisse des Dépôts dans un communiqué.

Au total, 4 jeux des données démographiques, économiques, sanitaires et sociales sont disponibles

Pour accéder à la base de données territoriale sur le vieillissement : https://opendata.caissedesdepots.fr/explore/?q=vieillissement&sort=modified