"L’enjeu pour les villes c’est de proposer une multitude d’usages possibles en matière de mobilité"

Poussés par de nombreuses politiques publiques favorables à leur développement, les vélos, trottinettes, scooters et voitures électriques investissent les centres-villes. Comment ces solutions urbaines peuvent-elles répondre aux enjeux de mobilité ? Decryptage avec Thomas Verstrepen, consultant chez Wavestone.

RCL: Quels sont les nouveaux usages de la mobilité en ville ?

Thomas Verstrepen : Nous constatons une progression de l’usage du vélo en ville, un mouvement lancé depuis quelques années qui s’est fortement accéléré comme à Lyon où ces déplacements ont bondi de 25 % en un an. Preuve de cet engouement, 514 000 vélos à assistance électrique (VAE) ont été vendus en France en 2020, soit 120 000 de plus qu’en 2019. Ce mouvement de fond est aussi poussé par de nombreuses politiques publiques favorables comme le Fonds Mobilités Actives, le coup de pouce vélo ou les subventions des régions et des villes à l’achat d’un VAE. Apparues plus récemment dans les centres-villes, les trottinettes électriques ne sont pas en reste. Il s’en est vendu 640 000 l’an dernier. En parallèle, se déploient de nouveaux modèles de véhicules et deux-roues spécialement conçus pour des usages très urbains et fréquemment associés à des services d’autopartage. Le point commun de tous ces modes : ils sont électriques. Leur développement est porté par un réseau de bornes de recharge qui se complète d’année en année.

Comment les villes accompagnent-elles ces évolutions ?

T.V. : Elles ont engagé un véritable mouvement de transformation urbaine avec pour certaines la piétonnisation de leurs centres urbains et surtout avec l’aménagement des coronapistes à l’issue du premier confinement. Plus de 1 000 km de pistes cyclables temporaires ont ainsi été créées afin de redonner rapidement une place plus importante au vélo et fluidifier la circulation urbaine. On assiste désormais à la pérennisation de ces pistes mais aussi à la création de réseaux structurants principalement dans les grandes villes. Par ailleurs, les gares sont devenues de véritables pôles multimodaux permettant de faciliter le passage d’un mode de mobilité à un autre et notamment l’accès aux micro-mobilités. L’appétence des citadins notamment pour ces nouvelles mobilités a conduit les villes à s’adapter à ces nouveaux modes en réglementant leur usage. De même, l’arrivée de batteries amovibles pour les vélos et trottinettes permet aujourd’hui aux opérateurs de ces mobilités d’améliorer la maintenance de leurs engins et de gagner en efficacité.

Vitesse de circulation automobile limitée, pérennisation des pistes cyclables, création de ZFE. Ces mesures vont-elles avoir un impact sur le développement de ces mobilités ?

T.V. : Les mesures visant à réduire la pollution et la place de la voiture en ville vont probablement accélérer les changements. La ville de Paris prévoit de supprimer une place de stationnement sur deux d’ici la fin de la mandature principalement au profit des pistes cyclables. Grenoble a été l’une des premières métropoles à réduire la vitesse de la voiture en ville à 30 km/h, visant entre autres à inciter des usages différents de la mobilité comme le vélo assistance électrique. Aujourd’hui, de grandes villes françaises et européennes se dirigent vers une réduction de la vitesse et donc une transformation des usages qui va s’accélérer. Quant à la loi Climat et résilience votée en août 2021, elle impose la mise en place à partir de 2025 de zones à faible émission dans toutes les villes de plus de 150 000 habitants. Les véhicules diesel ne pourront plus y circuler dans moins de trois ans, puis ce sera le tour des véhicules essence en 2030. Les possesseurs de ces véhicules devront envisager de nouvelles solutions pour leurs déplacements. Et choisir pourquoi pas un modèle électrique, un VAE ou peut-être en utilisant un service d’autopartage ou de covoiturage pour les déplacements domicile-travail. Ces deux derniers services font parti des offres multimodales proposées dans les villes les plus avancées sur le MaaS (mobility as a service), une offre de services de mobilité qui permet aux voyageurs d’utiliser tous les modes de transport disponibles dans leur zone de déplacement, depuis leur smartphone. L’enjeu étant de proposer une multitude de choix.

Les solutions MaaS, sont-elles un accélérateur pour ces nouvelles formes de mobilité dans les villes ?

T.V. : Rappelons que la loi LOM entrée en vigueur voilà bientôt deux ans a apporté un cadre afin que les collectivités puissent déployer des solutions MaaS. L’article L 1 115 du Code des transports, notamment, stipule que les Autorités organisatrices de mobilité ( AOM) doivent garantir le partage des données statiques et dynamiques des différents acteurs. Les premières applications des villes ont pour objectif d’habituer les usagers à utiliser plusieurs modes de déplacement, comme à Mulhouse où le compte mobilité expérimenté depuis 2018 leur permet de consulter toutes les informations nécessaires pour faciliter leurs projets de mobilité et de privilégier des mobilités plus durables. À Saint-Etienne, l’application Moovizy couple à la fois des services comme l’autopartage, le covoiturage, ou l’achat d’une place de stationnement. En Île-de-France, la nouvelle application « Bonjour RATP » permet de recharger son titre de transport, de payer une trottinette ou un vélo électrique, de visualiser en temps réel les itinéraires multimodaux, ou encore de prendre son VTC directement dans l’application.

Quelles sont les limites au développement de ces nouveaux usages?

T.V. : Ces nouvelles mobilités ne sont pas vouées à devenir l’unique mode de déplacement. Elles viennent en complément des réseaux de transport en commun, très structurants et déjà très fréquentés. Ils vont continuer à l’être. Il y a cependant un enjeu dans les zones périurbaines et rurales où la voiture va rester importante pour les déplacements dans la mesure où les offres de mobilité y sont plus retreintes. Au-delà de ces usages nouveaux autour du vélo et de la trottinette, lorsqu’ils sont proposés en libre-service, se pose la question du modèle économique de ces modes de déplacement non subventionnés par les collectivités. Peut-être faudrait- il imaginer, à terme, une stratégie commune entre les collectivités et les acteurs privés de ces nouvelles mobilités pour garantir la viabilité des services proposés ? Les collectivités locales ont un rôle à jouer sur le choix des mobilités qui circulent aujourd’hui et circuleront demain sur leur territoire.

Propos recueillis par Blandine Klaas

La filière de recyclage de la micro-mobilité est lancée

Les éco-organismes Ecologic et Screlec se sont unis à la Fédération des Professionnels de la Micro-Mobilité (FPMM) pour accompagner le développement des nouvelles mobilités et donc les entreprises soumises aux obligations réglementaires relatives à la Responsabilité Élargie du Producteur. Car le secteur de la micro-mobilité aujourd’hui en plein développement se doit de capitaliser sur les expériences des filières de recyclage déjà existantes. C’est avec une logique de guichet unique qu’ils accompagneront les adhérents à la FPMM dans une approche globale de leurs produits, de la mise sur le marché de leurs produits avec une simplification des démarches administratives, jusqu’à la gestion de la fin de vie du produit. Par le biais de leur réseau d’opérateurs existants, les deux éco-organismes Ecologic et Screlec pourront proposer un service de collecte et de recyclage tout en garantissant leur traçabilité. Ce partenariat permet également de proposer aux entreprises une mutualisation des coûts.

Paris renforce la régulation des trottinettes en libre-service

Dans l’attente d’un cadre juridique national pour les trottinettes électriques en libre-service, la municipalité parisienne a décidé de mettre en place son propre dispositif de régulation, adopté voilà quelques jours par le Conseil de Paris. Les abus en tous genres seront désormais verbalisés, aussi bien les utilisateurs roulant sur les trottoirs comme le stationnement des trottinettes gênant la circulation des piétons. Cette régulation passe aussi par création de zones de stationnement pour les trottinettes ou encore la responsabilité des loueurs qui seront invités à signer une charte de bonnes pratiques d’ici la fin du mois de mai. Enfin, dernier point, une redevance de 50 à 65 euros par trottinette a été instaurée pour les entreprises afin de réguler la flotte de ces engins. Aujourd’hui, on estime leur nombre à 15.000 environ dans la capitale.