Les transports publics d’Île-de-France : quelles solutions face aux défis urbains ?

L’Institut Montaigne a récemment publié le rapport « Mobilités en Île-de-France : ticket pour l’avenir ». Crise sanitaire, télétravail, impératif climatique, quête de qualité de vie... les nouveaux modes de vie transforment en profondeur les attentes des usagers de transports en commun. Rencontre avec Carole Pezzali, chargée d’étude à l’Institut Montaigne et rapporteuse principale du rapport et Partners chez Wavestone et Iona Lefebvre.

RCL : Quels sont les enjeux majeurs de mobilité en Ile-de-France ?

Les effets de la crise en Ile-de-France ont été particulièrement forts. L’usage des transports publics a directement subi les conséquences des confinements successifs et du changement des habitudes des usages. La démocratisation du télétravail pour bon nombre de salariés mais également le report modal vers d’autres modes de déplacement plus individuels, plus sûrs ont fait chuter la demande de transports. En crise aigüe de la covid, on a constaté à peine 5 % de fréquentation ! Pourtant l’offre s’est maintenue à un minimum de 30% afin de répondre aux besoins des travailleurs de première et deuxième ligne. Résultat : les recettes commerciales se sont effondrées, au point de déstabiliser tout le réseau de transports. Alors que nous traversons une 7ème vague, il est trop tôt pour tirer des conclusions sur les impacts à moyen-long termes de la crise sanitaire sur les modes de vie et donc sur la demande de transports publics, mais ce qui est certain, c’est que la crise sanitaire a fait émerger des changements de comportements qui vont à l’encontre du modèle de massification des trafics de voyageurs. Ce qui par conséquent remet en question les équilibres économiques.

RCL : Il se pose clairement un problème du financement…

Dans un rapport publié en juin 2020, la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France relevait le faible niveau de recettes par rapport aux dépenses en Ile-de-France. Plus concrètement, 2 869 M € de recettes versus 10 894 M € de dépenses de fonctionnement réparties entre la RATP (49 %), la SNCF (32 %), Ile-de-France Mobilités (IDFM) (5 %) et les autres opérateurs de transports (14 %) dont 543 M € d’investissement. Avec l’effondrement de la fréquentation lors du confinement des mois de mars et avril 2020, alors que l’offre de transports s’est maintenue à 30 %, a provoqué une chute des recettes provoquant une perte nette de 1,42 MD € par rapport à 2019, dont 1 MD €, dû à la seule chute de la fréquentation malgré les aides de l’État. Du coup, la capacité d’autofinancement d’IDFM s’est avérée insuffisante pour faire face aux investissements, rénovation, remplacement de matériels...Ce qui porte la dette de l’AOM à 7 626 M € fin 2021. On voit bien que la crise sanitaire a contribué à révéler les fragilités du modèle économique et pose clairement la question de sa soutenabilité.

RCL : Dans ce contexte dégradé, le risque n’est-il pas de voir le prix des transports augmenter pour les usagers ?

La nécessité de revenir à un ratio de couverture des dépenses beaucoup plus enlevé́ semble logique. Et dans un contexte de charges élevées liées à l’exploitation du réseau et à une offre de transports plus importante avec le Grand Paris Express (GPE), un objectif à moyen long terme de ratio de recettes sur dépenses (R/D) autour de 50 % permettrait un meilleur équilibre budgétaire pour l’AOM. Faut-il en passer par une hausse du prix des transports pour les usagers ? L’autorité́ organisatrice lyonnaise a, à titre d’exemple, procédé́ au rehaussement de ses tarifs de 1 % de plus que l’inflation tous les ans et a vu son ratio de R/D passer de 25 % en 2000 à 60 % aujourd’hui. Quoiqu’il en soit, La mise en service du GPE va très fortement augmenter la qualité́ de service de l’offre de transport (nouvelles lignes, amélioration de l’équipement en transport collectif de plusieurs communes, rapidité́ du déplacement permise par la technologie mise en œuvre sur les lignes automatiques, flexibilité́ de la fréquence...) en même temps les charges d’exploitation du réseau francilien, ce qui justifierait une augmentation des tarifs. D’ailleurs, dans nos préconisations, il nous apparaît opportun d’encourager IDFM à envisager dans la durée un redressement progressif et socialement modulé du poste des recettes tarifaires. Même si la question de la tarification reste un sujet sensible, et plus encore dans un contexte économique et social tendu. Pour autant, nous estimons que la période n’est pas la plus appropriée pour engager sans précaution des reformes. La hausse de la tarification doit s’effectuer dans un cadre qui permette de garder une bonne lisibilité́ des tarifs, de cibler les publics et les services concernés et de légitimer des aménagements tarifaires en rapport avec la qualité́ de service.

RCL : Au-delà des enjeux financiers pour l’AOM qu’elles sont vos pistes pour relever les défis de demain ?

Nous avons émis 16 propositions pour augmenter et diversifier l’offre même si elle est l’une des plus denses et plus efficaces au monde, mais également pour améliorer la fluidité des transports notamment durant les heures de pointe, avec une recommandation celle de relever les défis qui se situent désormais dans les zones excentrées et périurbaines notamment grande couronne. Autre préconisation : personnaliser davantage le voyage des usagers en fonction de leurs besoins, car depuis le début de la crise sanitaire, comme je le disais, les attentes ont changé car les modes de vie et de travail ont été bouleversés par le télétravail, la prise de conscience écologique, le besoin grandissant de sécurité, de propreté et de flexibilité. Avec le numérique, la mobilité́ devient de plus en plus servicielle, ce qui implique de davantage adapter l’offre des transports collectifs à une grande diversité́ de besoins et de demandes individualisées. Cela se traduit par la nécessité de développer des stratégies et des offres intermodales entre les transports collectifs « lourds » (Transilien, métro, tramway) et routiers (bus et cars) et les modes « doux » en plein essor avec la crise sanitaire (vélo, et particulièrement les vélos à Assistance &électrique) et partagés (autopartage, covoiturage). Cela doit également permettre de favoriser, lorsque cela est souhaitable, le rabattement de la voiture vers les transports collectifs dans la poursuite d’un enjeu crucial de transition écologique et d’amélioration de la qualité́ de vie.

Pour télécharger l’étude

http://www.institutmontaigne.org/publications/mobilites-en-ile-de-france-ticket-pour-lavenir

Quel modèle économique pour le financement des transports publics ?

Les transports collectifs font figure de grand perdant de la crise sanitaire avec une chute brutale de la fréquentation. Un constat que dresse Philippe Duron dans son rapport rendu en juillet au ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, qui appelle à un nouveau modèle économique du secteur en pleine transformation. Explications.

Philippe Duron a remis, le 13 juillet au ministre des Transports, son rapport sur le modèle économique des transports publics suite à la crise sanitaire. Jean-Baptiste Djebbari, avait en effet confié, fin 2020, à l’ancien maire socialiste de Caen et ancien président de la Basse-Normandie, qui a également été président de la Commission Mobilité 21, la mission d’étudier « comment consolider le modèle économique des transports publics du quotidien », durement touchés par la crise sanitaire, sous l’effet de la baisse des recettes, du maintien de l’offre indispensable pour la continuité de l’activité économique du pays, et des mesures sanitaires renforcées. Alors que la France traverse une crise sanitaire sans précédent, en 2020, l’État a mis en place des dispositifs de soutien financier conséquents en faveur des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) (versement d’aides compensatoires à la baisse du versement mobilité et avances remboursables pour atténuer la perte de recettes tarifaires) qui ont permis de diminuer l’impact conjoncturel.

CETTE ANNÉE, LE SOUTIEN PUBLIC SE POURSUIT

Dans le projet de loi de finances rectificative pour 2021 qui vient d’être adopté par le Sénat, les autorités organisatrices de la mobilité viennent de se voir attribuer 50 millions d’euros, pour le financement d’un programme d’investissements. Car, la fréquentation des transports publics, malgré une forte reprise ces derniers mois, ne devrait pas retrouver son niveau d’avant crise avant longtemps pour diverses raisons, en tête desquelles : la démocratisation du télétravail, l’installation de citadins à la campagne mais également le boom des mobilités douces. « Or, ces modes nouveaux de déplacement ont créé déjà de nouvelles habitudes qu’il ne faut pas déconsidérer, surtout pour une certaine catégorie de la population jeune et citadine », explique Fabien Leurent, directeur de la chaire mobilité territoriale à l’école des Ponts et chercheur au CIRED (Centre international de Recherche en économie et en développement). Une équation budgétaire difficile à boucler pour les collectivités. Fort de ce constat, la question est de savoir comment consolider le modèle économique des transports publics du quotidien mis à mal par la crise sanitaire avec en 2020 une baisse de 31 % de fréquentation des transports en commun urbains gérés par les autorités organisatrices de mobilité (AOM) et de plus de 40 % pour les AOP régionales (AOMR) qui gèrent les TER. Car qui dit baisse de la fréquentation dit baisse des recettes. Si les recettes tarifaires n’ont diminué que de 27 % et le produit du versement mobilité (VM) de moins de 5 %, les coûts diminuant peu avec une offre préservée à 90 %, les pertes se sont creusées. Mais l’impact financier a été tempéré par les aides de l’État (avances remboursables et compensation des pertes de VM), explique Philippe Duron dans son rapport. Les AOMR, quant à elles ont été encore plus affectées, avec une baisse en 2020 de 43 % des recettes commerciales, soit 550 M€, notamment sur le segment le plus rémunérateur (voyageurs occasionnels), mais avec la baisse des coûts étant plus faible du fait du maintien de la plus grande partie de l’offre, le solde affiche une perte de 300 M€.

LES TRANSPORTS COLLECTIFS ENCORE À LA PEINE EN 2021

Pour cette année, compte tenu du contexte sanitaire, les rapporteurs recommandent le maintien du dispositif de soutien de l’État, avec la poursuite du « filet de sécurité » aux collectivités en matière de ressources fiscales et domaniales. Ils appellent également au maintien du dispositif d’avances remboursables pour les pertes directes qui pourraient être éventuellement remplacées en partie par des aides directes. Pour ce qui est des AOMR, les prévisions pour 2021 restent pessimistes avec une baisse de 27 % des recettes commerciales et un important déficit d’exploitation à prévoir de l’ordre de 350 M€ pour les seuls TER et 60 M€ pour les transports interurbains et scolaires. « C’est pourquoi nous recommandons la mise en place d’un dispositif d’avances remboursables pour les AOM régionales, éventuellement mixées avec des aides directes, pour compenser la perte de recettes commerciales, sous réserve de l’engagement de maintenir un niveau d’investissements élevé », préconise Philippe Duron. Car avec la baisse des recettes, « c’est tout l’équilibre économique déjà fragile du transport public qui est chamboulé , et par ricochet les projets d’investissement pourraient être revus à la baisse », avertit Fabien Leurent.

RENFORCER LES INVESTISSEMENTS POUR LA DÉCARBONISATION

À plus long terme, pour pérenniser le modèle économique des transports publics, les rapporteurs recommandent en premier lieu un effort d’adaptation des autorités organisatrices aux nouveaux modes de transports plus durables, mais également une consolidation et une diversification de leurs ressources, au moment où elles devront mettre un coup d’accélérateur sur les investissements afin de renforcer leur attractivité, mais également sur la décarbonisation du secteur des transports. Car les besoins d’investissements restent très importants. Selon le rapport, ils ont été évalués à près de 20 Md€ pour 36 AOM représentant 25 % de la population citadine (dont les plus grandes agglomérations). Sans compter qu’une charge importante est à prévoir au cours des prochaines années au titre de la décarbonation des flottes d’autobus. Les besoins sont également considérables pour les AOMR qui auront notamment à se concerter avec SNCF Réseau sur l’indispensable remise en état et modernisation du réseau emprunté par les TER.

QUID DES RESSOURCES ?

Le renforcement du modèle économique passe également par celui des ressources, tout d’abord celles apportées par les usagers eux-mêmes au moyen de la tarification en augmentant leur part au financement des transports publics, d’autant plus légitime que la qualité du service sera améliorée. Quant au versement mobilité qui apparaît comme une ressource stable, sa place doit rester équilibrée par rapport aux ressources tarifaires. Enfin, en matière de fiscalité la troisième source de financement, un certain nombre de pistes méritent d’être explorées : baisser la TVA à taux réduit de 5,5 % sur les services de transport conventionné régionaux et locaux sans exiger de contrepartie tarifaire, flécher une partie de la TICPE vers les AOM ou taxer les livraisons par exemple. Affaire à suivre, car les préconisations seront partagées avec les associations d’élus et les parties prenantes d’ici la fin de l’année.

Danièle Licata

Philippe Duron remet son rapport sur l'évolution du modèle économique des transports collectifs suite à la crise sanitaire

Ce rapport de 198 pages examine aussi précisément que possible les impacts à court terme (2020 et 2021) de l’épidémie, et vérifie le caractère approprié des mesures de soutien qui ont été prises.

Réfléchir sur la manière de consolider le modèle économique des transports publics du quotidien. C’est la mission confiée fin 2020 par Jean-Baptiste Djebbari à l’ancien député-maire de Caen Philippe Duron qui lui a remis son rapport le 13 juillet 2021. « La crise sanitaire a eu un impact très important sur le trafic en 2020, avec une baisse de 31% pour les Transports en commun urbains, gérés par les autorités organisatrices de mobilité (AOM) et de plus de 40% pour les AOM régionales (AOMR) qui gèrent les TER, cassant pour ces derniers une dynamique de forte croissance » constate ce rapport. Avec des conséquences significatives sur l’équilibre financier des transports publics, sous l'effet de la baisse des recettes, du maintien de l’offre indispensable pour le maintien de l’activité économique du pays, et des mesures sanitaires renforcées. Et malgré une forte reprise ces derniers mois, la fréquentation des transports publics, ne devrait pas retrouver son niveau d’avant crise avant un temps long et incertain pour diverses raisons comme le télétravail ou encore l’installation de citadins à la campagne.

Le rapport remis au ministre des Transports dresse une liste de 48 préconisations pour améliorer la soutenabilité des transports publics à long et moyen terme. Parmi les pistes avancées, la mission recommande notamment que les dispositifs de soutien de l’Etat en 2021 soient homogènes sur l’ensemble du territoire, l’élargissement du dispositif d’avancesremboursables s’agissant des pertes de 2020 aux AOM non propriétaires des recettes, la mise en œuvre d’une écotaxe poids lourds, comme la collectivité d’Alsace l’a déjà décidé, le redéployement d’une partie de l’offre de transport en commun des centres-villes vers la périphérie ou encore d’étudier une taxation des livraisons - 1 ,3 milliards de colis ont été distribués dans notre pays en 2020 - par le biais des plateformes de vente par internet pour financer les transports publics. Cette dernière solution « est souhaitable tout à la fois pour donner un signal prix sur une pratique très déstabilisante pour le commerce et l’attractivité des centres villes mais aussi pour intégrer dans le coût complet du colis une partie des externalités négatives qu’il génère » exlique la mission. Elle recommande qu’une telle taxe soit imputée aux plateformes qui sont les bénéficiaires de ces nouvelles pratiques commerciales et non aux entreprises de messagerie dont les prix et les salaires sont tirés vers le bas. Les préconisations seront partagées avec les associations d’élus et les parties prenantes d’ici la fin de l’année précise un communiqué du ministère.