En conférant pour la première fois à des accords collectifs conclus au sein des trois fonctions publiques une portée juridique contraignante, l’ordonnance n°2021-174 du 17 février 2021 prise en application de l’art. 14 de la loi n°2019-828 de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 confirme le rapprochement des règles applicables aux agents publics de celles des salariés relevant du Code du travail. Par Stéphane Bloch, avocat associé Flichy Grangé avocats et Franck Morel, avocat associé, Flichy Grangé avocats, ancien conseil du Premier ministre.
En conférant pour la première fois à des accords collectifs conclus au sein des trois fonctions publiques une portée juridique contraignante, l’ordonnance n°2021-174 du 17 février 2021 prise en application de l’art. 14 de la loi n°2019-828 de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 confirme le rapprochement des règles applicables aux agents publics de celles des salariés relevant du Code du travail. Le mouvement de développement massif de la négociation collective organisé dans le secteur privé par les lois Bertrand du 20 août 2008 et El Khomri du 8 août 2016 et par les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 inspire désormais aussi le secteur public. La distinction public/privé s’estompe et c’est une nouvelle porteuse de changements positifs.
La négociation dans le droit de la fonction publique est-ce vraiment nouveau ?
Dans le sillage des accords de Grenelle de 1968, il est déjà question dans le protocole dit Oudinot de concertation collective réservée à la rémunération des agents publics, mais pas de négociation qui préside en général à la conclusion d’un accord.
Dans les années 2000, alors que les règles de droit privé infusent le droit de la fonction publique en raison d’une présence accrue de contractuels de droit privé dans les différentes administrations et entités publiques, les accords de Bercy de 2008 sur le renouveau du dialogue social conduisent à la loi éponyme du 5 juillet 2010.
Son ambition est justement de donner un cadre juridique à des pratiques innommées de négociation collective au sein des trois versants. Tous les sujets concernant la vie professionnelle et sociale de l’agent sont ainsi à partir de 2010 ouverts en principe à la négociation collective, le législateur identifiant 8 thématiques « officielles » parmi lesquelles l’hygiène et la sécurité, l’égalité professionnelle ou encore la formation professionnelle.
Cependant les accords qui pouvaient résulter de ces négociations même s’ils reflétaient un dialogue social actif comme l’avait souligné plusieurs fois le Conseil d’Etat étaient dépourvus de toute valeur juridique et de force contraignante (CE, 15 octobre 1971, n°78788, 22 mai 2013, n°356903, 1er février 1999 n° 197516).
Ce qui est donc nouveau avec l’ordonnance du 17 février 2021, cc’est le fait fondamental que la négociation peut donner lieu à des accords qui s’imposent en principe à leurs signataires, sauf exceptions permettant à l’autorité administrative ou territoriale signataire de suspendre leur application dans des conditions encadrées par voie réglementaire en cas de circonstances exceptionnelles.. Ces accords continuent ainsi à conserver certaines spécificités, témoignage de leur ancrage dans le droit administratif et reflet des privilèges dont jouit l’Administration.
Un nouveau mouvement de négociation va s’enclencher ?
L’autorité compétente pour signer l’accord est celle qui l’est pour s’engager soit à prendre les mesures réglementaires que comporte le cas échéant l’accord soit pour entreprendre des actions déterminées qu’il prévoit.
L’ordonnance organise les règles de représentativité des syndicats signataires et de mesure de la validité des accords conclus au regard des suffrages majoritaires qu’ils auront recueillis aux élections professionnelles. Ce sont des décrets, dont on attend avec impatience le contenu, qui préciseront les modalités de modification, de révision et de dénonciation des accords mais il est déjà prévu, en cohérence avec le droit du travail, que les clauses règlementaires de l’accord dénoncé resteront en vigueur jusqu’à ce qu’un nouvel accord les modifie ou, spécificité du droit administratif, jusqu’à leur modification ou abrogation par l’autorité compétente. A ce stade cependant rien n’est indiqué sur le délai de survie et le sort des dispositions de l’accord au-delà, à défaut d’accord. C’est donc un véritable droit de la négociation collective dans le public, fruit d’une importation de celui du code du travail avec des spécificités liées au droit public, qui s’organise. L’évolution depuis un demi-siècle dans le privé d’une négociation de partage des fruits de la croissance vers une négociation d’équilibre, a marqué l’émergence d’une véritable technique de gestion par la négociation collective, facteur de croissance et de meilleur climat social. On peut estimer que dans le secteur public, dans les collectivités locales, la mobilisation des agents et leur reconnaissance passera aussi par de telles méthodes modernes fondées sur le dialogue avec ces nouveaux outils qui pourront inspirer les arbitrages stratégiques, voire aider à des expérimentations. Les collectivités auront intérêt à faire ce pari de Pascal.
Venons-en à présent au champ de la négociation. Sur quels thèmes les partenaires sociaux peuvent-ils désormais conclure des accords ayant force normative ?
Aux huit thématiques ouvertes officiellement à la négociation collective dans la fonction publique par la loi de 2010, l’ordonnance du 17 février 2021 ajoute 6 sujets de négociation:
- Le temps de travail, le télétravail, la qualité de vie au travail, les modalités des déplacements entre le domicile et le travail ainsi que les impacts de la numérisation sur l’organisation et les conditions de travail :
- L’accompagnement social des mesures de réorganisation des services ;
- La mise en œuvre d’actions en faveur de la lutte contre le changement climatique, de la préservation des ressources et de l’environnement et de la responsabilité sociale des organisations
- L’évolution des métiers et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences
A la condition que les accords négociés portent sur ces thèmes de même que sur les 8 autres thèmes issus de la loi du 5 juillet 2010, ils seront revêtus d’une force juridique contraignante.
Cela ne signifie pas que les administrations concernées et leurs organisations syndicales ne pourront pas négocier sur d’autres thématiques mais les accords qui en résulteront n’auront alors qu’une valeur incitative, sans engagement de la personne publique.
Le mot de la fin ?
Le bilan de la loi du 5 juillet 2010 s’est révélé très maigre avec 29 accords seulement conclus dans la fonction publique d’Etat entre 2010 et 2019. Gageons que la force normative des nouveaux accords issus de l’ordonnance du 21 février 2021 contribuera au succès du dispositif. Aux organisations syndicales, aux administrations à présent de se former et aux Tribunaux de se préparer à accueillir les contentieux que ne manqueront pas de susciter cette révolution qui annonce peut-être en germe une profonde novation du Statut.