Avec l’accroissement massif de l’espérance de vie et l’arrivée au grand âge des premières cohortes du baby-boom, la question du « bien vieillir » est devenue un enjeu central des politiques publiques en France, d’autant que la dernière étude que vient de publier la Caisse des Dépôts « Les disparités territoriales en matière de vieillissement et d’accès aux soins » met en lumière les différences territoriales en matière de vieillissement tant entre les zones densément peuplées et les autres, mais aussi entre l’intérieur des terres et les littoraux atlantique et méditerranéen. Or « la répartition territoriale des personnes âgées n’est pas sans conséquence sur la prise en charge de la dépendance, laquelle suppose de mobiliser toute une palette d’intervenants des secteurs sanitaire et médico-social, selon notamment que les personnes concernées vivent à domicile ou en établissement », soulignent les auteures de l’étude, Nathalie Chataigner et Clémence Darrigade. Un constat qui, selon elles, interpelle les décideurs publics aussi bien au niveau national qu’au niveau local. « Départements et communes sont en effet aux premières loges pour la mise en œuvre effective des politiques du ‘bien vieillir’, notamment en ce qui concerne la prévention comme la prise en charge de la perte d’autonomie. »
Alors face aux enjeux, les auteures se sont penchées tout particulièrement sur l’accessibilité des services de santé les plus consommés par les personnes âgées médecins généralistes, infirmiers et masseurs-kinéthérapeutes), en commençant d’abord par caractériser sur le territoire les fragilités des personnes âgées en termes d’autonomie, mais aussi économiques et sociales, à savoir disparités de revenus et de patrimoine mobilisable, d’isolement et de capacité à se déplacer facilement, etc.
Alors que la population âgée (60 ans et plus) représente 25 % de la population totale, les auteures constatent une concentration dans les zones peu denses telles que la « diagonale du vide » qui s’étend du Sud-Ouest au Nord-Est, dans les zones de montagne, l’intérieur de la Bretagne, mais également dans les zones urbaines et sur les littoraux de la façade Atlantique, de la Bretagne au Pays basque et de la Méditerranée. Concernant l’autonomie, il existe également des inégalités territoriales. « Que l’on considère les 60-74 ans ou les 75 ans et plus, les situations de faible autonomie sont particulièrement répandues dans les Hauts-de-France, en Haute-Corse et en région Grand Est, tandis que l’Île-de-France mais aussi la Bretagne et les Pays-de-la-Loire présentent une situation plus favorable. »
UNE FRACTURE TERRITORIALE QUI A LA PEAU DURE
Le fait de disposer ou non d’un véhicule peut affecter l’accès des personnes âgées aux services (soins de santé, commerces...) dont elles ont besoin, et ce d’autant plus que ces personnes vivent dans des zones plus écartées des centres urbains. Quant à la détention de sa résidence principale, elle peut faciliter le financement d’une éventuelle prise en charge en Ehpad. À cet égard, l’enquête révèle que 31 % personnes âgées de 75 ans ne disposent d’aucun véhicule, un chiffre beaucoup plus élevé que pour les 60-74 ans (11 %). « Ce constat peut refléter le fait que certaines personnes renoncent à conduire avec l’avancée en âge, mais peut également résulter d’une proportion encore élevée, dans cette population, de femmes isolées appartenant à des générations anciennes et n’ayant pas le permis de conduire », souligne la Caisse des Dépôts. Concernant la propriété de la résidence principale, si les 75 ans et plus sont très souvent propriétaires, ayant pu bénéficier de prix de l’immobilier nettement plus bas et de conditions d’emprunt favorables dans les années 1970 et 1980, d’assez fortes disparités régionales émergent : ainsi les régions du Nord et de l’Est, déjà identifiées comme des territoires dans lesquels le degré d’autonomie des personnes âgées est plus faible, se singularisent par une plus faible part de personnes âgées propriétaires de leur résidence principale et une plus forte proportion de personnes vivant dans un ménage dépourvu de véhicule. « Ces indicateurs suggèrent que les personnes âgées faiblement autonomes, nombreuses dans ces régions, risquent d’être plus souvent confrontées à des difficultés économiques qui compliquent leur prise en charge. A contrario, dans les départements du sud- ouest où la part des personnes de 75 ans et plus faiblement autonomes est relativement élevée, les personnes âgées sont plus souvent propriétaires de leur résidence principale et vivent moins souvent dans un ménage dépourvu de véhicule. »
DES SPÉCIFICITÉS GÉOGRAPHIQUES
Une des conditions essentielles au « bien vieillir » est de bénéficier d’un accès facile aux services de santé. Pour la mesurer sur le territoire, les auteures ont analysé les disparités d’accès à trois types de professions médicales ou paramédicales : les médecins généralistes libéraux, les infirmiers libéraux et les masseurs-kinésithérapeutes. « Ces trois types d’intervenants jouant un rôle majeur pour le maintien à domicile des personnes âgées, aussi bien en termes de prévention de la dépendance que de prise en charge à domicile des personnes dépendantes dans des conditions satisfaisantes. » L’analyse de l’accessibilité des soins de santé, cruciale pour la prévention de la perte d’autonomie comme pour sa prise en charge, met également en évidence de fortes disparités en fonction de la densité de peuplement : l’accessibilité est globalement bien meilleure dans les zones denses ou de densité intermédiaire. Cette hétérogénéité est beaucoup plus marquée pour les soins d’infirmiers libéraux ou de masseurs-kinésithérapeutes que pour ceux de généralistes libéraux. Par ailleurs, dans les communes relativement denses, l’accessibilité des soins d’infirmiers libéraux, en tenant compte de façon fine de l’offre et de la demande locale de ce type de soins, tend à être meilleure dans les communes où le revenu médian est faible que dans celles où le revenu médian est élevé. L’accessibilité des soins présente, enfin, des spécificités géographiques que n’expliquent ni la densité de peuplement ni le revenu médian : en particulier, à densité de population et revenu communal médian donnés, l’accessibilité des soins d’infirmiers libéraux et des masseurs-kinésithérapeutes est bien meilleure sur les façades atlantique et méditerranéenne, ainsi qu’aux frontières nord du pays.
Danièle Licata