France Travail, l’un des gros chantiers du Gouvernement pour aller au plein emploi

Dans le prolongement des travaux du conseil national de la refondation (CNR) lancé le 8 septembre 2022, Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, a confié à Thibaut Guilluy, Haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, l’invité de RCL, la mission de concertation et de préfiguration France Travail. Objectif : transformer Pôle emploi et mobiliser l’ensemble des forces vives de l’insertion, la formation et l’emploi pour mieux répondre aux besoins de toutes les personnes dépourvues d’emploi comme aux besoins de recrutement de tous les employeurs de France. Rencontre.

RCL : France travail a été présenté par le Président de la République comme une transformation de Pôle emploi. Quelle est, selon vous, l’ambition de cette réorganisation du service public de l’emploi ?

Thibaut Guilluy : France Travail vise à répondre à une forme de paradoxe, ressenti de manière de plus en plus forte par les citoyens. Aujourd’hui, le marché de l’emploi n’a jamais été aussi dynamique et les entreprises ont de plus en plus de difficultés à recruter, quel que soit leur secteur, leur taille et le territoire dans lequel elles sont implantées. Par ailleurs, si le chômage a fortement baissé ces dernières années, et nous pouvons nous en féliciter, de nombreuses personnes connaissent des difficultés importantes à retrouver un emploi. Nous avons donc une marge de progression avant d’atteindre le plein emploi, à savoir 5 % de la population active d’ici la fin du quinquennat, un des objectifs prioritaires du Président de la République. La bonne nouvelle, c’est que la France ne manque pas de ressources et d’acteurs qui agissent. Notre pays consacre une part importante de son PIB à l’inclusion, à la formation et à l’emploi. C’est une véritable chance, mais les compétences sont émiettées. Si j’ai besoin d’insertion, ça va être au département. La formation, ça va être à la région, etc. Et la mobilité, ça dépend…Nous infligeons cette complexité administrative à l’usager et à l’entreprise. Les chefs d’entreprise sont perdus et les personnes le sont aussi. Or pour atteindre le plein emploi, nous devons à la fois accompagner les personnes qui n’ont pas d’emploi et améliorer les services rendus aux entreprises qui recrutent (de l’expression de leurs besoins au recrutement du bon profil). D’où l’urgence à mettre en place un guichet d’entrée unique évoqué par le Président. Il ne s’agit pas de fusion pour créer un seul acteur mais de transformer radicalement la façon dont nous pilotons les politiques d’emploi et d’insertion pour apporter la bonne solution au chef d’entreprise et à la personne sans emploi, au bon moment.

RCL : France Travail est donc une porte d’entrée unique ?

TG : Pôle emploi qui se transformera en France Travail organisera cette porte d’entrée unique vers les bonnes solutions au bon moment, portées par la grande diversité des acteurs de l’insertion, de la formation et de l’emploi. En effet, France Travail n’est ni un vaste exercice de fusion entre acteurs, ni un projet de régionalisation ou de départementalisation du service public de l’emploi mais une réponse au besoin de simplicité et de personnalisation des services pour chacun. Créer cette équipe de France de l’inclusion et de l’emploi, cela suppose de créer des conditions de travail communes entre tous les professionnels impliqués dans l’insertion sociale et professionnelle  (les conseillers Pôle emploi, les conseillers de la mission locale, les travailleurs sociaux…) ; concevoir par exemple un diagnostic partagé entre les professionnels pour favoriser l’orientation des personnes vers le bon interlocuteur au bon moment (formation, passage de permis…) ; favoriser le partage des informations entre les professionnels ou encore  encourager le travail d’équipe en se formant ensemble.

RCL : Pour les plus éloignés de l’emploi et notamment les allocataires du RSA, vous défendez également une attention particulière ?

TG : Un point d’attention majeur pour nous est de ne laisser personne sur le bord de la route. Or, d’après la Cour des comptes, après 7 ans, seuls 11 % des allocataires sont en emploi stable. C’est le signe de notre faillite collective.

Nous devons aujourd’hui mieux nous organiser pour assurer l’insertion durable de tous, dans l’emploi – surtout de ceux qui en sont le plus éloignés. Pour y arriver, nous devons tenir compte des freins périphériques, liés à la garde d’enfants, à la mobilité ou au logement, qui sont en réalité centraux : une personne en insertion sur deux déclare avoir déjà refusé un travail ou une formation à cause d’un problème de mobilité. France Travail propose donc de lever ces contraintes concomitamment à la recherche d’un emploi. C’est la dynamique portée avec les départements dans les pilotes territoriaux France Travail sur le RSA qu’Olivier Dussopt, le ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion a souhaité porter. L’ambition est simple : faire en sorte que tous les jours de la semaine, via 15 à 20 heures d’activité, chacun puisse avancer dans son projet et s’approcher de l’emploi. Le menu des activités est large et doit s’adapter à chacun : cela peut être de réaliser des démarches d’accès aux droits, passer son permis, faire une immersion en entreprise… Et si aux côtés des départements et des acteurs de l’insertion, nous investissons dans l’accompagnement renforcé, la résolution des problèmes de santé, de mobilité, etc. la contrepartie est que la personne suivie soit présente et s’implique dans son parcours – une responsabilité plus grande aussi.

RCL : En matière de gouvernance, quelle sera la place des collectivités ?

TG : La conviction de France Travail, c’est que pour agir efficacement pour le plein emploi au service des personnes et des entreprises, il faut agir de manière coordonnée et en proximité. Or aujourd’hui, et malgré les initiatives de certains territoires, les acteurs de l’emploi, de la formation, de l’insertion fonctionnent encore malgré tout de manière très silotée sur des champs de politiques publiques pas toujours connectés. Cette complexité se retrouve dans les nombreuses instances de gouvernance qui coexistent, on peut aller jusqu’à plus de 20 dans certains territoires, et qui viennent morceler la décision et finalement peuvent éparpiller les actions et les solutions pour l’usager. Ces constats sont partagés par tous les acteurs que j’ai pu rencontrer au cours des cinq derniers mois de consultation. Nous avons tous des briques de solutions au service de l’emploi et de l’insertion. L’enjeu de France Travail est donc de coordonner les objectifs et les actions des différents acteurs pour apporter les meilleures solutions aux besoins concrets des personnes et des entreprises, de manière simple et au plus près d’eux. Pour y répondre, les collectivités territoriales, avec leurs connaissances du marché du travail et des entreprises, leur proximité avec les besoins sociaux des personnes, leurs expertises et leurs réseaux partenariaux, ont donc ici un rôle essentiel à jouer. Ce rôle va se concrétiser par une place consolidée dans une gouvernance que nous voulons rénovée, et qui va fusionner les comités d’emploi dans 4 comités France Travail : un à chaque échelon (bassin de vie, département, région et niveau national). Ces comités seront co-présidés par l’Etat et les collectivités territoriales et auront pour but d’œuvrer conjointement, en concertation des parties prenantes, à l’élaboration et au suivi de plans d’actions adaptés à chaque territoire, respectant les compétences de chacun. Dans ce contexte, le comité France Travail local, au niveau du bassin de vie, jouera un rôle central, les communes seront à ce titre associées aux côtés des départements et des régions. C’est à ce niveau de proximité que nous pouvons lever les freins comme la mobilité, la garde d’enfants ou encore faciliter la rencontre des demandeurs d’emploi et des recruteurs.

RCL : France Travail sera opérationnel à quelle échéance ?

TG : France Travail se construit déjà sur le terrain. Nous nous appuierons sur les apprentissages issus des pilotes pour affiner la démarche et en assurer la généralisation progressive à l’ensemble du territoire dans le cadre de France Travail. Nous collaborons par ailleurs avec les conseils régionaux volontaires afin de préfigurer la gouvernance de France Travail en avance de phase. Après la remise du rapport, nous aurons l’étape d’un projet de loi qui permettra d’engager le déploiement opérationnel de France Travail et de son réseau. Mais cette transformation profonde et ambitieuse va nécessairement s’inscrire dans le temps. C’est pour cette raison que nous bâtissons une trajectoire jusqu’en 2027.

Un dernier mot ?

TG : La coopération des acteurs est un pari gagnant pour les personnes qui vont retrouver un emploi, une autonomie et une dignité par le travail. Gagnant pour les entreprises qui vont pouvoir recruter les talents et personnels dont elles ont besoin. Gagnant enfin pour l’Etat et les collectivités qui réduisent ainsi progressivement les dépenses d’allocations au bénéfice de l’insertion et de l’emploi du plus grand nombre.

Propos recueillis par Danièle Licata