Rendre la fonction publique territoriale plus attractive
Les collectivités territoriales ont de plus en plus de difficultés à recruter faute d’attractivité de bon nombre de métiers. C’est le constat que dressent Corinne Desforges, inspectrice générale de l’administration, Mathilde Icard, présidente de l’association des DRH de grandes collectivités et Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale dans le rapport « L’attractivité de la fonction publique territoriale » qu’ils ont remis à Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques. « Pourtant, il existe des pistes d’amélioration » certifie le maire de Sceaux (92). Rencontre.
RCL : Vous avez remis à Amélie de Montchalin, un rapport sur l’attractivité dans la fonction publique, pourquoi ce rapport ?
Philippe Laurent : Dans un contexte marqué par une nette baisse d’attractivité des métiers de la fonction publique, certes plus ou moins importante selon les métiers, Amélie de Montchalin, ministre en charge de la fonction publique a souhaité que soient analysées les causes pour en déterminer les pistes d’amélioration et définir ainsi une feuille de route. Pour poser un diagnostic précis, la mission que j’ai menée a procédé à l’audition de responsables politiques, de syndicaux et de professionnels des ressources humaines des collectivités territoriales, mais également d’acteurs publics et privés concernés par le sujet ainsi que de chercheurs intervenant dans le secteur public local. En complément, nous avons diffusé un questionnaire aux responsables des ressources humaines des collectivités territoriales et conduit des travaux avec la direction interministérielle de la transformation publique, via une enquête sur l’attractivité de la fonction publique territoriale auprès des personnes âgées de 18 à 30 ans. Enfin avec Pôle emploi, nous avons lancé une enquête sur les besoins en main-d’œuvre pour comparer les réponses des employeurs publics locaux avec celles des autres employeurs.
RCL : Quel constat dressez-vous ?
P.L. : Notre lettre de mission est partie du constat partagé par les élus locaux et les directeurs des ressources humaines, à savoir que la fonction publique territoriale attirait de moins en moins les Français. Et cette baisse n’est pas en lien avec la crise sanitaire puisque plusieurs études montrent qu’elle a débuté avant 2020. Bien sûr, le manque d’attractivité varie en fonction des collectivités, du cadre de travail, du métier ou encore de la situation géographique. Et parallèlement, la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) relève également une baisse de l’attrait pour les concours de la fonction publique de l’État et une baisse de la sélectivité, liée à une fuite des candidats. En effet, le nombre d’inscrits et de présents aux concours externes diminue depuis le milieu des années 1990.
RCL : Quels sont les métiers en tension ?
P.L. : La 10e édition du « Panorama de l’emploi territorial », établie par la FNCDG (Fédération Nationale des Centres de Gestion) et l’association nationale des directeurs et directeurs adjoints de centres de gestion de la FPT (fonction publique territoriale) listent les dix métiers les plus en tension en 2019, avec dans l’ordre : enseignant artistique, secrétaire de mairie, policier municipal, travailleur social, assistant de gestion de ressources humaines, chargé de propreté des locaux, animateur enfance-jeunesse, assistant de gestion administrative, agent de service polyvalent en milieu rural, assistant éducatif petite enfance. Ce sont les petites collectivités qui semblent rencontrer plus de difficultés de recrutement, notamment dans les territoires plus ruraux car elles offrent souvent moins de perspectives d’évolution de carrière. Le cas des secrétaires de mairie en est un exemple qui explique les situations actuelles difficiles dans certaines petites communes, accentuées par un fort sentiment de solitude.
RCL : Comment expliquez-vous ce manque d’attractivité ?
P.L. : Les raisons sont nombreuses et se cumulent souvent. D’abord la taille de l’agglomération ; la FNCDG en 2021 indique que les communes de moins de 1000 habitants créent moins de 16,5 % d’emplois (et 10,9 % pour les communes de 1 000 à 1 999 habitants). Car il est difficile de trouver un emploi dans une petite commune où le turnover est sou- vent faible alors que les agglomérations et moyennes communes offrent plus de diversité de parcours, mais également des conditions de vie plus attrayantes. À l’inverse, les grandes collectivités, chef- lieu de région, sont confrontées à la cherté de la vie, aux temps de déplacement souvent longs et du coup, elles sont sou- vent moins attractives notamment pour les familles. Elles permettent toutefois de dérouler plus facilement des carrières variées, y compris pour le conjoint, avec une pluralité d’employeurs accessibles. Autre explication : la zone géographique. On constate que certains territoires sont plus attractifs comme le sud et l’ouest du pays et d’autres où les conditions d’exercice peuvent être plus difficiles comme dans les territoires défavorisés, banlieues urbaines pauvres par exemple. D’autres facteurs se cumulent pour expliquer plus précisément la plus ou moins grande attractivité de certains territoires, comme l’offre de transports, de services universitaires ou médicaux... Celles à l’écart des réseaux ferroviaires, des autoroutes ou des routes nationales sont aussi moins attractives car les possibilités de mobilité sont réduites. Le caractère « enclavé » de certains territoires freine également leur développement et le choix pour des fonc- tionnaires, s’ils n’en sont pas originaires, de s’y installer.
RCL : N’y aurait-il pas des raisons propres à la fonction publique territoriale ?
P.L. : En effet bien qu’elle offre de multiples métiers, elle n’est souvent perçue qu’à travers les guichets d’une mairie ou l’action des agents qui agissent dans le domaine social. La cause essentielle est le déficit d’informations. Les campagnes de publicité pour des carrières de fonctionnaires, dans la presse ou les transports en commun, se limitent à celles de l’État : policiers, gardiens de prison ou militaires... Dans le même temps, il faut reconnaître que les collectivités locales sont souvent sur un schéma assez traditionnel d’offre de postes avec des descriptions peu attrayantes des fonctions à exercer qui sont souvent peu éclairantes pour le candidat. L’information est trop juridique pour être comprise. Et puis, il faut évoquer également la question de la rémunération qui est de loin la cause la plus citée comme explicative d’un manque d’attractivité, mais également la rigidité hiérarchique ou encore la forme des concours, la nature des épreuves et surtout la perte d’attrait de l’emploi à vie.
RCL : Quelles sont les pistes d’amélioration que vous préconisez ?
P.L. : Quelques collectivités ont décidé de valoriser leur impact public auprès des futurs candidats pour attirer leur attention : elles ont créé des marques employeurs, offert une autre image des métiers, beaucoup plus « parlante », mis en place un réseau d’influence, développé une politique de logement pour les agents ou encore fait de la promotion de leurs métiers auprès des jeunes. Toutes ces expériences vont dans le bon sens. À l’issue de notre en- quête, nous avons formulé vingt-sept propositions de nature et de tempora- lité différentes parmi lesquelles la mise en place d’une politique de rémunération plus attractive avec incitations et primes, une meilleure communication sur une marque « service public » propre aux métiers de la fonction publique, une réflexion sur l’évolution de certains concours, une amélioration des conditions de travail des agents territoriaux ou encore de responsabiliser davantage les exécutifs territoriaux de façon collective.
Propos recueillis par Danièle Licata