Une tribune de Mathieu Nohet, fondateur de Manty.
En France, la flambée des prix de l’énergie est surtout engendrée par la politique européenne d’ouverture à la concurrence (dispositif Arenh). Sur notre territoire, cette crise touche aussi bien les ménages que les entreprises et le secteur public. Ce dernier est d’autant plus impacté que seules les plus petites collectivités (moins de 10 employées) bénéficient, pour 2023, d’un bouclier tarifaire et d’un filet de sécurité limitant la hausse de l’électricité à 15%.
Même pour les collectivités dont l’énergie et les fluides ne représentaient pas une part importante de leur budget, la donne a aujourd’hui changé. D’ailleurs, dans un livre blanc consacré à ce sujet, Lefebvre-Dalloz révèle que « selon l'association des petites villes de France (APVF), les dépenses énergétiques de certaines communes ont déjà bondi de 50 % depuis début de 2022. Pour l'association des maires de France (AMF) et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), ces hausses varieraient entre 30 et 300 %. Pour sa part, Intercommunalités de France considère que la facture énergétique des trois-quarts des intercommunalités a doublé, voire triplé ou quadruplé. »
Face à ces hausses vertigineuses et aux incertitudes quant à leurs capacités de financement, sur quelles solutions les collectivités peuvent-elles s’appuyer pour limiter l’explosion de leur budget ? Des bonnes pratiques sont à mettre en œuvre, mais surtout, pour un effet sur le long terme et réellement impactant, les collectivités doivent miser sur le numérique.
Des bonnes pratiques à tirer du plan de sobriété énergétique du gouvernement
Le 6 octobre 2022, le gouvernement a publié un plan de sobriété énergétique destiné à l’ensemble des secteurs et acteurs français. En ce qui concerne les collectivités territoriales, celui-ci s’articule autour de 10 catégories d’actions applicables et efficaces dès à présent : identifier et cibler les bâtiments inefficaces, sensibiliser tous les agents, vérifier les systèmes de régulation de chauffage, réguler l’énergie, éteindre les éclairages publics la nuit, former les agents à l'écoconduite, couper l'eau chaude dans tous les bâtiments, réduire la saison de chauffe des bâtiments, interdire l'usage d'équipements de chauffe électrique, éteindre l'éclairage des monuments.
Pour les collectivités disposant d'un large patrimoine et notamment d'équipements très énergivores, la question de fermer temporairement, en tout ou partie peut se poser. D’autant plus que celles disposant d’infrastructures de plus de 1 000 m² sont soumises au dispositif Eco-Energie Tertiaire et doivent donc, de fait, réduire leur consommation d’énergie. Plusieurs collectivités ont, par exemple, choisi de fermer temporairement leur piscine ou de stopper les activités les plus consommatrices d’énergie comme celle des bébés nageurs qui nécessite une température de l’eau plus élevée. Ainsi, un mois avant les consignes gouvernementales, en Normandie, une trentaine de piscines avaient déjà dû fermer leurs portes. D’autres, comme le département de l’Yonne, ont décidé de réduire d’un degré le thermostat des bâtiments administratifs ou gérés par la collectivité, ce qui pour cette année doit lui permettre de réaliser 7% d’économies sur sa facture énergétique. Le Département de la Creuse, dont le chauffage de ses nombreux bâtiments administratifs anciens impactent significativement sa facture énergétique, se pose aussi la question de réduire ou non les températures. Par ailleurs, pour essayer de contrebalancer cette sur-dépense, des collectivités refacturent désormais la consommation énergétique des salles et infrastructures prêtées dans le cadre d’activités associatives. C’est notamment un sujet de réflexion au sein la ville de Maisons-Laffite qui doit faire face à une multiplication de 2,5 de sa facture d'électricité et une multiplication par 7 de sa facture liée à sa consommation de gaz.
La sobriété énergétique, loin des mesures « bateau », de véritables résultats éprouvés.
La sobriété énergétique fonctionne et a montré des résultats probants. Cela a été, entre autres, démontré, en septembre 2022, par l’ADEME avec la publication des résultats de collectivités déjà engagées dans une telle démarche. Citons ainsi l’intercommunalité Argentan Intercom. Celle-ci a observé, grâce à la rationalisation de ses bâtiments, une économie de surface immobilière de 599m² soit 2019 MWh d’énergie par an et l’extinction de l’éclairage public a permis de réduire la consommation énergétique associée à cet usage de 20% soit 523 082 kWh.
Mais toutes ces mesures ne pourront être efficaces et n’auront un réel impact que si elles sont prises de manière éclairée. Dans ce contexte, comment ces arbitrages peuvent-ils se décider ? Avec une inflation indéniablement durable, savoir sur quels leviers agir pour réduire sa facture énergétique nécessite d’exploiter les données disponibles pour mettre en place une démarche de pilotage stratégique de la consommation d’énergie.
Aller plus loin en matière de sobriété énergétique en visant l’efficience : capitaliser sur les données disponibles pour mieux comprendre les postes les plus consommateurs et optimiser ses arbitrages.
Pour cela, les collectivités doivent se tourner vers leurs logiciels métier et bien analyser leurs données en vue de leur donner du sens et réaliser des prédictions. Abondant de diverses informations, les logiciels comptables, de services techniques ou encore RH peuvent alimenter des tableaux de bord et indicateurs, conçus pour l’occasion. Ils permettent d’avoir une vision globale ou détaillée des postes de dépenses, des recettes associées, du poids financier que représente, pour les collectivités, cette crise énergétique, et d’engager leur démarche en s’appuyant sur des données chiffrées.
Prenons pour exemple la Communauté d’Agglomération de Saintes. Celle-ci dispose de peu de patrimoines, mais d’équipements très consommateurs d’énergie, avec notamment un centre aquatique moderne construit il y a une dizaine d’années et une piscine plus ancienne utilisée principalement pour les activités scolaires. Dès avril 2022, la CDA de Saintes a observé, pour ses piscines, une augmentation de sa consommation d'énergie d'environ 600 % avec un prix du gaz au mètre cubes multiplié par 6 et même par 11 au mois de mai 2022. S’appuyant sur sa solution de visualisation décisionnelle, le Directeur Général Adjoint de cette collectivité a ainsi présenté la situation aux élus et les enjeux si les hausses se poursuivaient. L’explosion sans précédent de ces coûts impliquait de faire des arbitrages complexes. Alimentée par différentes sources d’énergie (gaz et bois), la CDA de Saintes a réussi à limiter ses dépenses en choisissant un mix énergétique, autrement dit les énergies à privilégier et comment réduire les niveaux de consommation pour impacter significativement la facture énergétique de ses infrastructures aquatiques : baisse des températures, arrêt temporaire de l’activité “bébés nageurs”, etc. L’outil a aussi permis à la CDA de Saintes de se rendre compte que contrairement aux idées reçues, fermer la piscine la plus vieillissante n’était pas le choix le plus optimal. Dans cette situation, fermer l’équipement et rediriger ses usagers vers un seul et unique centre aurait pu générer d’autres problèmes, notamment en matière d’occupation des bassins.
De la collectivité à la smart administration et à la smart city
Ces tableaux de bord sont une première piste, mais pas l’unique. Le déploiement du numérique dans les collectivités doit être pensé dans une logique d’innovation et d’amélioration continue et donc de Smart City. L’accès à la donnée, sa valorisation et la capacité à analyser son contenu sont les principaux moteurs de la smart administration dont le concept repose sur une connaissance fine qu’une mairie a de ses activités et des usagers de ses services.
Mais aujourd’hui, face aux défis auxquels elles sont confrontées, les collectivités doivent mettre en œuvre une stratégie de smart city pour mieux comprendre leur consommation de fluides mais également pour optimiser leurs factures, ou mettre en place des services aux usagers encore plus adaptés. Dans une crise telle que celle que nous connaissons actuellement et dont les effets perdureront sur le moyen-long terme, cette visibilité - facilitée par des capteurs de collecte et outils d’analyse de la donnée - apporte une valeur ajoutée aux collectivités aussi bien sur le plan politique en termes de décision stratégique et d’arbitrage, que sur le plan opérationnel et financier en permettant la mise en place et le suivi des mesures pouvant optimiser la consommation des fluides et donc, in fine, la facture énergétique.