"Nous avons besoin des maires pour dispenser la culture de l’égalité qui fait partie de nos principes républicains"

Deux ans après le Grenelle, Élisabeth Moreno, ministre déléguée, chargée de l’Égalité entre les hommes et les femmes, dresse le premier bilan pour RCL de la politique interministérielle engagée. Elle martèle cependant sa détermination à aller encore plus loin. Rencontre.

RCL : Égalité entre les hommes et les femmes, racisme, violences faites aux mène la France aujourd’hui pour lutter contre ces fléaux ?

Élisabeth Moreno : Le président de la République a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de son quinquennat. Dans ce contexte, depuis quatre ans, le gouvernement s’est pleinement engagé sur les questions de violences faites aux femmes et d’égalité. Concernant les violences faites aux femmes, les précédents gouvernements en ont parlé, des choses ont été faites, il faut le reconnaître, mais c’est la première fois que dans notre pays, quinze ministres et plus de 4 500 personnes se sont rassemblées dans un Grenelle des violences conjugales pour ne traiter que de ce sujet, avec des experts, des associations, des victimes, des familles de victimes et des professionnels de santé. C’est une solide chaîne de solidarité qui s’est mise en place. La lutte contre ces violences est le pilier de la grande cause du quinquennat pour l’égalité entre les femmes et les hommes que tous les ministres portent par des actions concrètes. C’est ainsi qu’avec Emmanuelle Wargon, nous avons augmenté de 60 % le nombre de places d’hébergement depuis 2017 ; un record. Avec Éric Dupond-Moretti, nous avons, en parallèle, multiplié les initiatives comme les bracelets anti-rapprochement et le téléphone grave danger. Avec le ministère de l’Intérieur, des mesures ont été prises pour améliorer l’accueil des femmes victimes dans les commissariats. Ce qui constitue aussi désormais une réelle avancée, c’est que, désormais, les victimes qui hésitent à aller déposer plainte à la police ou à la gendarmerie peuvent le faire aussi dans les hôpitaux. Et puis, jusqu’ici, nous nous étions peu occupés des auteurs de violence. C’est chose faite, avec la création de centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales. Nous en avons ouvert 27 depuis 2020 et atteindrons le nombre de 30 d’ici la fin del’année dans l’Hexagone et en Outre-mer. Par ailleurs, pour toutes ces femmes violentées, physiquement, sexuellement ou psychologiquement, elles peuvent désormais demander à être placées sous ordonnance de protection, une mesure d’urgence en cas de danger que le garde des Sceaux a fortement renforcée. Enfin, en lien avec l’association Solidarité Femmes qui porte le numéro national pour les violences faites aux femmes, nous avons soutenu l’extension des horaires du 3919 24 h/24 et 7j/7 permettant ainsi aux femmes partout sur notre territoire, dans l’Hexagone comme en Outre-mer, de disposer d’une écoute bienveillante et d’être orientées auprès des associations locales.

RCL : Et en matière de lutte contre les discriminations ?

E.M. : Les discriminations sont une réalité dans notre pays. Une réalité dont nous pouvons tous être victimes ou témoins Nous avons besoin des de l’égalité qui fait partie de au cours de notre vie et face auxquelles nous ne pouvons détourner le regard. En plus d’être des injustices individuelles qui blessent toujours et qui, parfois, peuvent briser des destins, ces discriminations minent notre cohésion sociale et constituent des entorses à nos valeurs républicaines. Ignorant les frontières géographiques, culturelles ou sociales, les discriminations se manifestent dans toutes les sphères de notre société – de manière insidieuse ou visible – ; à l’école, dans l’emploi, dans l’accès au logement, au financement bancaire, etc. Dans ce contexte, si notre pays s’est d’ores et déjà doté d’un arsenal juridique solide en la matière, force est de constater que nous devons encore aller plus loin pour enrayer ce fléau. À la suite de l’engagement pris par le président de la République le 4 décembre 2020, le gouvernement a dès lors créé le 12 février dernier une plateforme de lutte contre les discriminations, confiée au Défenseur des droits, et accessible via le numéro de téléphone 3928 et la plateforme www.antidiscriminations.fr. Plusieurs milliers de personnes ont déjà fait appel à cette plateforme depuis son lancement. Avec cette plateforme et cette ligne d’écoute, toute personne victime ou témoin d’une discrimination, quels qu’en soient le motif et le domaine, peut désormais contacter directement et en toute confidentialité les équipes juridiques du Défenseur des droits. Elle peut aussi être orientée vers l’association la plus proche de son domicile.

RCL : Le racisme est-il encore un combat difficile à mener en France ?

E.M. : C’est un combat difficile à mener partout dans le monde. Partout où se trouve un être humain, il existe cette re cherche de domination sur un autre que vous trouverez plus faible, plus minoritaire ou plus en difficulté. Cette lutte est, indéniablement, un travail de longue haleine et plus encore en période de crise. Nous avons pu observer par exemple, à la faveur de la pandémie, la résurgence du racisme anti-asiatique non seulement en France mais aussi à travers le monde. Par ailleurs, la haine se déploie également sur Internet de nos jours à travers les réseaux sociaux. C’est pourquoi, si la France est l’un des pays qui offre un arsenal législatif le plus complet pour mener le combat, nous lancerons prochainement un nouveau plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, coconstruit avec les associations...

RCL : Vous avez également lancé en avril dernier une consultation citoyenne…

E.M. : C’était un engagement pris par le président de la République, Emmanuel Macron, à l’égard des Français. En leur donnant la parole, la consultation citoyenne sur les discriminations a vocation à apporter des réponses efficaces aux injustices individuelles qui minent notre cohésion sociale. L’objectif de cette consultation citoyenne est multiple. Elle a permis aux internautes de donner leurs avis sur l’efficacité des dispositifs existants, de signaler des dysfonctionnements, d’indiquer ce qui pourrait être amélioré, de se prononcer sur de nouvelles mesures en cours d’élaboration et enfin de proposer leurs propres solutions concrètes ou de partager les bonnes pratiques qu’ils appliquent déjà dans leur organisation. En deux mois, nous avons comptabilisé 135 000 participants, 50 % de femmes, 50 % d’hommes et énormément de jeunes. Les ministères se sont également mobilisés. De toutes ces propositions soumises aux votes, sur des thèmes du quotidien comme l’éducation, le travail, le logement, nous sortirons prochainement des mesures concrètes.

RCL : À la lecture des messages qui ressortent de cette consultation citoyenne, avez-vous été surprise par la tonalité de certains d’entre eux ?

E.M. : Non. Je reste persuadée que l’on s’en sortira par l’éducation et l‘apprentissage du respect de l’autre dès le plus jeune âge. D’ailleurs, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, s’est saisi de la question et notamment celle de l’égalité des chances, car il y va de notre cohésion nationale à l’heure où les bouleversements climatique et numérique risquent de mettre à terre les plus fragiles. J’ai travaillé vingt ans dans le monde des technologies, et j’étais convaincue que cette quatrième révolution industrielle réduirait les inégalités. Or, la crise sanitaire que nous traversons nous a démontré le contraire.

RCL : Revenons sur les violences faites aux femmes, toutes les mesures en place portent-elles leurs fruits ?

E.M. : Oui, même si tant qu’il y aura encore des féminicides, le combat doit continuer à être mené. Mais il faut reconnaître que la parole est plus libérée aujourd’hui qu’elle ne l’était auparavant. Et puis, le budget de notre ministère a augmenté de 40 % en 2020, il va augmenter encore de 25 % en 2022 ; il a quasiment doublé depuis 2017, illustration de l’engagement du gouvernement pour lutter contre ce fléau et des moyens mis en oeuvre par tous les acteurs sur le terrain avec qui nous travaillons main dans la main. Mais si les fruits de notre engagement sont mesurables, soyons lucides, le chemin est encore long car il nécessite un changement sociétal des mentalités.

RCL : L’Espagne est souvent citée en exemple dans la lutte contre les violences envers les femmes. Le taux de féminicides y est presque deux fois moins élevé qu’en France. Sur quels plans la France peut-elle s’inspirer de sa voisine ?

E.M. : L’Espagne est un modèle à suivre parce que depuis la loi de 2004, elle est le pays d’Europe qui a fait le plus en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et elle a connu un changement culturel et civilisationnel. En France, la décision du président de la République de faire de l’égalité une priorité, nous a permis d’avancer de manière très volontaire depuis 2017 et de voter quatre lois en quatre ans. Cependant, il faut aller encore plus loin. Il est utile de voir ce que l’Espagne a fait de bien, ce qu’elle a appris, ce qui a fonctionné ou pas. Le bracelet anti-rapprochement a par exemple contribué à faire baisser le nombre d’assassinats. Nous avons commencé à le mettre en place en France en décembre 2020, et 340 ont été prononcés par les juges à ce jour. Nous avons mis en marche une cellule interministérielle qui implique les associations pour que les informations dont celles-ci disposent soient partagées sur le terrain. Enfin, nous continuons à former les policiers, les gendarmes, les magistrats, les avocats et tous les personnels de santé qui sont en contact avec les femmes victimes de violences. Il est important de rappeler que les femmes qui ne veulent pas porter plainte, peuvent demander des ordonnances de protection. Encore une fois, la société est en pleine mutation et c’est un travail collectif qui permettra de prendre le virage de tous les bouleversements culturels à l’oeuvre. Nous nous y sommes engagés et le travail des élus locaux est très important.

RCL : Qu’attendez-vous des élus locaux et des maires notamment ? Et quel message souhaiteriez-vous leur adresser ?

E.M. : Le travail des élus locaux est essentiel et fondamental auprès des populations, et je crois profondément au travail partenarial entre l’État et les collectivités. C’est pourquoi, je leur dis merci, merci d’avoir été si responsables et si coopératifspendant cette crise sanitaire. Ils ont été remarquables de solidarité et de compétences pour gérer la pandémie. Ensuite, je souhaiterais remercier tout particulièrement les maires qui ont signé une tribune cet été, se soulevant contre les violences faites aux femmes. Car je le répète, ce fléau de notre société ne pourra se résoudre que s’il y a une chaîne de solidarité solide pour pouvoir mieux écouter ces femmes et mieux les protéger. Enfin, je leur dis que j’ai besoin d’eux pour dispenser sur tous les territoires cette culture de l’égalité qui fait partie de nos principes républicains.

Propos recueillis par Danièle Licata.