Objectif ZAN ou comment repenser le développement urbain
L’examen de la proposition de loi visant à limiter l’étalement urbain sur des zones agricoles ou naturelles a commencé ce mercredi 21 juin. Si un large consensus se dégage sur l’urgence de réduire l’artificialisation afin de préserver les sols et les ressources, la loi Climat et résilience qui fixe un objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) en 2050 doit se traduire par une réduction progressive des surfaces artificialisées. Une véritable révolution dans l’aménagement du territoire et l’urbanisme en France car elle impose de passer d’une logique de développement urbain par extension et consommation de terres naturelles ou agricoles à une logique de renouvellement et densification des terrains déjà urbanisés. Explications.
Avec la loi climat et résilience du 22 août 2021, le zéro artificialisation nette (ZAN) commence sérieusement à semer la zizanie. Et pour cause : Il faudra diviser par deux la consommation foncière d’ici 2031 et atteindre le ZAN à l’horizon 2050. Une véritable révolution dans la manière d’aménager le territoire comme dans les modes d’habiter et de construire » prévient Timothée Hubscher, directeur des opérations chez Citadia (conseil en, urbanisme et aménagement).
En réaction, la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du ZAN, présidée par la sénatrice du Nord Valérie Létard, a déposé, en décembre dernier une proposition législative visant à faciliter le déploiement des objectifs de ZAN au sein des territoires, qui devrait être débattue mi-mars. « L'objectif étant de « faciliter dès maintenant la mise en œuvre du ZAN, en vue de son examen rapide par le Parlement et favoriser un meilleur partage de l’effort de réduction de l’artificialisation entre l’État et collectivités : « le ZAN ne crée aujourd’hui des obligations que pour les collectivités. Pourtant, l’État, comme les collectivités, est aménageur et constructeur : il faut le mettre face à ses responsabilités fait remarquer » le Sénateur Jean-Baptiste Blanc, rapporteur du projet de loi.
Un dispositif mal défini, mal évalué et mal concerté
Il est vrai que les enjeux sont majeurs et pour bon nombre d’élus locaux, une préoccupation prioritaire. « C’est peut-être la préoccupation la plus importante des élus locaux en ce moment car elle impacte à la fois la question du logement, des infrastructures et des activités économiques. Du coup, le ZAN constitue un véritable défi pour l’aménagement et le développement territorial » décrypte Arnaud Le Lan, directeur aménagement et directeur territorial Hauts-de-France à la SCET (conseil aux collectivités et appui à l’économie mixte à travers son Réseau de 350 EPL).
Pour le cercle des élus locaux réunis le 7 février dernier, « sa mise en œuvre par les régions risque de semer la zizanie entre les communes et les intercommunalités, parce qu'il reviendra aux conseils régionaux, dans le cadre de leurs futurs schémas régionaux de développement durable et d’égalité́ des territoires (SRADDET), de répartir la rareté́ des espaces urbanisables. Certains parlent déjà̀ de nouvelle tutelle, d’autres d’ingérences et de favoritisme. C'est un vaste et difficile chantier qui augure de nombreuses négociations et autres passes d’armes ».
De son côté, Jean-Philippe Dugoin-Clément, Vice-Président de la région Ile-de-France et Maire de Mennecy, a relevé́ les injonctions contradictoires auxquelles doivent faire face les élus locaux, tétanisés par l’urgence climatique et l’impératif de transition écologique. « Comment concilier la pénurie foncière en gestation, une fois les friches et les zones d’activités reconverties, et le besoin de construire au moins 10 millions de logements pour répondre aux besoins de notre pays d’ici 2050 ? Et comment permettre aux entreprises de s’installer sur nos territoires si le foncier n’est plus disponible ? Et comment déployer les nouvelles installations requises par l’essor des énergies renouvelables si le foncier n’est plus disponible ? Comment réaliser les infrastructures de transport et de logistique dont notre pays aura besoin si le foncier n’est plus disponible » ?
Pour les experts de la SCET, le ZAN ne peut s’appliquer de manière uniforme et doit tenir compte des contingences géographiques, des dynamiques démographiques, des besoins d’équipement et de logements tout en prenant en compte les potentiels de réinvestissements comme les friches, les logements ou encore les commerces vacants. « Or, ces éléments varient selon la croissance démographique du territoire ou du lieu géographique. C’est pourquoi, les objectifs devront être fixés localement en fonction du contexte et des populations mais également du potentiel de développement » préconise Arnaud La Lan. Timothée Hubscher enfonce le clou : « n’oublions pas que le Zan va modifier le modèle économique de l’aménagement et la production urbaine, et faire émerger de nouveaux enjeux comme la maîtrise foncière, le surcoût des opérations de recyclage urbain ». En d’autres termes, le ZAN va créer et induire de repenser l’approche et le calcul de la valeur du foncier.
Réussir le ZAN : les nouveaux leviers
Les auteurs du guide « Objectif ZAN - Réarmer l’intervention publique face au défi du
Zéro Artificialisation Nette », que vient de publier le Groupe SCET, préconisent à l’échelon national que l’État propose des mesures d’accompagnement complémentaires, notamment des évolutions juridiques, règlementaires, financières et fiscales pour favoriser la faisabilité́ de la densification et encourager l’intensification du renouvellement urbain. « Par exemple, en exonérant totalement de taxe l’aménagement de projets qui ne changent pas l’emprise au sol du bâti » illustre Arnault Le Lan. De son côté, Timothée Hubscher, préconise qu’à l’échelon local, les collectivités compétentes créent des modèles d’aménagement qui favorisent la densification, l’optimisation et le recyclage urbain. Urbanistes, paysagistes, architectes se sont déjà penchés sur la question et proposent des solutions dont certaines sont déjà̀ à l’œuvre en planifiant par exemple à l’échelle de la ville l’intensification urbaine autour des pôles de transports collectifs, ou à l’échelle de la construction en proposant de nouvelles formes d’habitat individuel plus denses.
Reste qu’en terme de coût, le compte n’y est pas. « Nous savons déjà̀ que le coût brut de réalisation de logements en recyclage urbain est de 2 à 3 fois supérieur à celui de logements individuels en extension urbaine (hors coût de compensation et d’impact environnemental) avertit Arnault Le Lan. Demain les engagements plus contraignants qui devront s’imposer pour répondre aux enjeux d’une densité́ « acceptable » vont également générer un surcoût qu’il est encore difficile de mesurer. Nous estimons ce surcoût global de l’opération dans une première approche entre 20 % et 30 %, ce qui implique de trouver des mécanismes nouveaux garantissant la capacité des ménages à accéder aux marchés, le même raisonnement s’appliquant à l’immobilier d’activité́ ».
Quoiqu’il en soit, les acteurs et élus locaux doivent repenser leur vision et inventer un nouveau modèle pour répondre aux besoins de leur territoire.
Danièle Licata