Le comportement des utilisateurs représente jusqu’à 20% de la consommation d’un bâtiment
Le décret tertiaire encadrant la rénovation énergétique du parc immobilier tertiaire, public et privé, détermine des objectifs de réduction de la consommation d’énergie finale pour les trois prochaines décennies. « C’est un enjeu majeur pour les collectivités locales qui détiennent une majorité de ces bâtiments », selon Jean-Pascal de Peretti, président du Serce, l’organisation professionnelle des entreprises de la transition énergétique et numérique.
RCL : Que pensez-vous de la mise en oeuvre du décret tertiaire de juillet 2019 ?
Jean-Pascal de Peretti : Nous abordons la mise en oeuvre de la première phase du décret tertiaire. Les assujettis doivent renseigner leurs données de consommation énergétique via la plateforme OPERAT, gérée par l’Ademe. La mise en route est lente au regard des enjeux climatiques qui appellent des réponses rapides. En témoigne un récent rapport sur le changement climatique qui laisse entendre qu’en 2025 tous les effets attendus en 2050 seront déjà présents. Pour accélérer la cadence, il faudrait à mon sens favoriser l’émergence d’initiatives locales et décentraliser certaines décisions. Les collectivités locales pourraient mieux se prendre en main si elles étaient moins encadrées par l’État. Prenons l’exemple des villes de Dijon et d’Angers qui mènent des initiatives ambitieuses sur la Smart City avec la performance énergétique comme élément central. Elles ont su exploiter les économies qu’elles vont faire sur l’éclairage public pour financer des projets comme la mise en place de plateformes qui vont leur permettre, demain, de mieux gérer l’énergie dans leur ville.
Les gestionnaires de bâtiments doivent déterminer une année de référence dans le cadre de la mise en conformité avec le décret tertiaire. Un choix déterminant ?
J.-P. P. : Ils doivent en effet choisir une année de référence située entre 2010 et 2019 et correspondant à une année pleine d’exploitation. Un choix primordial pour faciliter l’atteinte des objectifs fixés par le décret tertiaire. Pour la déterminer, Il faut connaître l’historique de consommation énergétique de chaque bâtiment concerné sur une année d’exploitation ajustée des variations climatiques et avoir la capacité d’interpréter ces données. Cette phase consiste à collecter les données sur plusieurs années puis à les analyser en utilisant les bons paramètres et les bons critères. Par exemple choisir une année plus froide qu’une autre, n’est pas forcément pertinent tandis que la prise en compte de travaux peut être judicieusement intégrée dans la réflexion en permettant d’estimer leur impact sur la consommation énergétique du bâtiment. Dans cette tâche qui peut s’avérer délicate à surmonter, les collectivités peuvent se faire accompagner par les entreprises qui travaillent pour elles dans l’entretien et dans l’exploitation de leurs bâtiments, dont elles ont une connaissance approfondie.
Quels sont les grands enjeux de l’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments tertiaires ?
J.-P. P. : Les bâtiments en France sont à l’origine de 40 % des émissions de CO2 et les bâtiments tertiaires, dont une grande partie appartient aux collectivités locales, représentent un tiers de ces émissions de carbone. S’attaquer aux bâtiments est un sujet clé pour la baisse des émissions de gaz à effet de serre et dans le même temps, un enjeu important pour les collectivités dont la facture énergétique constitue l’un des postes les plus importants. Pour un certain nombre d’entre elles, les bâtiments représentent près des 3/4 de la consommation d’énergie. L’amélioration des performances de ces bâtiments passe par une meilleure connaissance de leurs process, plus ou moins complexes, selon qu’il s’agit d’une piscine, d’un gymnase, d’un musée, d’un bâtiment scolaire ou administratif. Connaître son parc est primordial. L’enjeu étant de mieux consommer et optimiser la consommation par rapport à la production. Je pense également qu’il faudra, de plus en plus, travailler sur une vision territoriale du système énergétique.
Sur quels postes les collectivités doivent-elles travailler pour rendre leurs bâtiments moins énergivores ?
J.-P. P. : Il faut pour cela avoir une vision du bâtiment dans l’ensemble de son cycle de vie. Autrement dit se poser la question des usages actuels et futurs. Dès lors que l’usage change, il faut repenser la manière dont on exploite le bâtiment. Améliorer le comportement des utilisateurs puisqu’il représente jusqu’à 20 % de la consommation d’un bâtiment ou agir sur les systèmes actifs du bâtiment qui comptent pour 25 à 30 % de la consommation finale sont deux leviers essentiels qui permettront de générer des économies à court terme. Quant à l’isolation du bâtiment, c’est une solution efficace mais très coûteuse avec un temps de retour quasi inexistant.
Le décret tertiaire, défi ou opportunité ?
J.-P. P. : C’est une étape vers l’amélioration de la performance énergétique mais elle est notoirement insuffisante. Pour accélérer le mouvement, il faut redonner de la latitude aux collectivités, exploiter les compétences des entreprises qui savent définir et réaliser les travaux les plus pertinents, exploiter les bâtiments et s’engager sur la performance énergétique dans la durée, notamment via les Contrats de Performance Énergétique (CPE) ou des Contrats de Conception-Réalisation Exploitation Maintenance (CREM).
Propos recueillis par Blandine Klaas
POURQUOI : LE DÉCRET TERTIAIRE ?
Entré en vigueur le 1er octobre 2019, le décret tertiaire est issu de la loi ELAN (Évolution du Logement et Aménagement Numérique) et détermine des obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale des bâtiments à usage tertiaire d’une surface de plus de 1000 m2. Les objectifs : diminuer la consommation énergétique du parc tertiaire de 40 % en 2030, de 50 % en 2040 et de 60 % en 2050. Première étape de la démarche, la première déclaration des consommations énergétiques sur la plateforme Observatoire de la Performance Energétique, de la Rénovation et des Actions du Tertiaire (OPERAT). Les gestionnaires de bâtiments concernés, publics et privés, devront enregistrer l’activité tertiaire exercée ainsi que la superficie de chaque bâtiment ou partie de bâtiment concernés. Elles auront jusqu’au 30 septembre 2022, pour compléter la base en choisissant l’année de référence (entre 2010 et 2019) et les consommations associées. Ensuite, tous les ans, elles devront intégrer avant fin septembre leurs consommations annuelles d’énergie qui seront pondérées selon divers indicateurs, en fonction des activités hébergées. À partir d’aujourd’hui, les maîtres d’ouvrage concernés disposent d’un an pour définir leur stratégie.