A Bordeaux, la construction bois gagne du terrain

Dix ans après sa création, l’opération d’intérêt national Bordeaux Euratlantique poursuit ses projets d’aménagement de part et d’autre de la Garonne, au sud de la Métropole. La stratégie de l’établissement public d’aménagement en charge du programme consiste à développer l’usage du bois structurel dans les constructions et pousser à la création d’une filière économique locale.

730 hectares sont en cours d’aménagement sur d’anciennes friches situées à Bordeaux (386 hectares), Bègles (217 hectares) et Floirac (135 hectares) où devraient se construire 2,5 millions de mètres carrés de logements, bureaux et équipements publics destinés à accueillir 40.000 nouveaux habitants et 30.000 emplois d’ici 2030. A mi-parcours de cette opération d’intérêt national (OIN) qui a notamment accompagné l’arrivée de la LGV Bordeaux-Paris dans la métropole en 2017, un bilan s’impose. « Nous tirons les enseignements de ce que nous avons réalisé pendant les dix premières années pour continuer à transformer le territoire tout en faisant évoluer notre manière de concevoir la ville dans le contexte actuel de changement climatique, explique Pauline Pradel, chargée de mission à l’EPA Bordeaux Euratlantique depuis 2019. Nous travaillons à la fois sur création d'espaces publics et d'espaces verts qualitatifs qui soient adaptés aux nouvelles mobilités. A l'échelle des projets immobiliers nous portons une attention particulière sur le choix des matériaux ». Depuis la construction en 2011 d’un bâtiment tertiaire de 30 mètres à ossature bois par le groupe Pichet, au cœur du futur quartier de l’Ars au sein de la ZAC Saint Jean Belcier, le bois monte en puissance dans les projets. « L’EPA a choisi de s’engager pour ce matériau pour plusieurs raisons, poursuit Pauline Pradel. Outre ses qualités liées à la diminution des nuisances de chantier grâce au recours accru à la fabrication hors site, sa mise en œuvre rapide et propre, il constitue une réponse intéressante face aux enjeux climatiques et environnementaux pour produire des bâtiments qui décarbonent l'acte de construire en se substituant à d'autres matériaux. Le béton notamment, qui pose aujourd'hui la question de la disponibilité de la ressource en sable, des consommations énergétiques et des émissions de carbone liées à la fabrication du ciment ». Mais une autre raison, économique cette fois-ci, a incité l’EPA à se tourner vers ce matériau bas carbone : l'opportunité de constituer en Nouvelle-Aquitaine, le plus grand massif forestier exploité d'Europe, une filière économique locale structurée. Avec la perspective de créer des emplois dans les secteurs ruraux et forestiers dans toute la région.

Aider au développement de la filière

Dans sa réflexion, l’Etablissement public a bénéficié de l’appui du Centre technique industriel forêt-cellulose-bois construction et ameublement (FCBA) dont le pôle construction est implanté à Bordeaux. « Dès 2011, nous avions constaté le retour du bois dans la construction. Les maîtres d'ouvrage commençaient à se positionner mais les industriels n’étaient pas prêts à se positionner sur ce type de marché de la construction bois de moyenne et grande hauteur. Nous avons conforté les collectivités dans leurs choix en les aidant à s’approprier le bois, c’est l’une de nos missions, et assisté les industries dans l'adaptation de leurs outils. Nous avons pour cela mis en place un plan d’action pour les accompagner dans leur développement. L’opération Bordeaux Euratlantique est l’un des premiers projets que nous avons accompagnés » affirme Patrick Molinié, responsable développement construction au sein de FCBA. Il salue particulièrement l’ambition de l’EPA Bordeaux Euratlantique qui aura permis le développement de deux projets d’envergure, véritable fierté pour toute la profession mais aussi pour les élus de la région. Hypérion, la première tour résidentielle de grande hauteur (17 étages) en ossature bois de France, réalisée par Eiffage construction dans le quartier Saint-Jean Belcier sera livrée en mai 2021, suivie d’une seconde tour, Silva (50 mètres) portée par le promoteur Kaufman & Broad qui sortira de terre en 2022. Deux réalisations emblématiques qui ont permis de montrer qu’il n’existe pas de réelle limite technique à la construction bois et conduit l’établissement public à opérer un virage stratégique ambitieux. Dès 2016, il impose aux promoteurs de construire au moins deux-tiers de la structure de leurs bâtiments en bois avec l'ambition de réaliser 25 000 mètres carrés par an pendant 10 ans. Depuis 2020, 100 % des projets lancés sont en construction bois majoritaire. « Nous n’avons pas vocation à multiplier les tours en bois. Notre stratégie consiste à construire des quartiers à dominante bois de moyenne hauteur pour favoriser la réplicabilité des projets intégrant des matériaux bois et biosourcés construction » ajoute Pauline Pradel. Ce sera le cas du futur quartier Armagnac sud à Bordeaux, qui constituera une quartier mixte tertiaire, commercial et résidentiel aux portes de la Gare Saint Jean, dont les seize immeubles seront en bois avec des hauteurs qui ne dépasseront pas 28 mètres. Un signal fort pour inciter les industriels à investir dans de nouveaux outils avec l’assurance d’une activité sur le long terme et susciter le développement ainsi que la structuration d’une filière économique locale.

Les biosourcés dans la boucle

Si l'idée consiste à privilégier le bois local, l’idée de l’EPA est aussi de promouvoir la mixité des matériaux en favorisant bien entendu les plus respectueux de l'environnement. « Les matériaux biosourcés en complément de la structure bois, pour les isolants notamment, la filière paille, les bétons de chanvre mais aussi des matériaux géosourcés comme la terre crue présentent de réelles opportunités. Nous devons mobiliser toutes les filières pour leurs différents avantages » détaille Pauline Pradel. « L’opération Bordeaux Euratlantique est un moteur exceptionnel qui fait des émules un peu partout », estime Patrick Molinié. Pour conserver cette dynamique nationale, le ministère de la Transition écologique a créé le Lab 2051, un incubateur de projets urbains innovants, visant un haut niveau de performance en termes de sobriété (énergie, carbone, ressources naturelles), de résilience et d’inclusion sociale avec pour idée de lever les freins à l’innovation et contribuer à l’essaimage des solutions les plus performantes.

Blandine Klaas

« La gestion forestière c'est la base de tout »

Fin janvier, la filière forêt-bois présentait le plan ambition bois construction 2030, la contribution des professionnels à l’effort collectif nécessaire à la décarbonation de la construction française. Au nombre des engagements, celui de bien gérer la forêt qui apporte une double réponse aux défis environnementaux et économiques de nos territoires. Entretien avec Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération nationale du bois.

Quel est l’objet du « plan ambition bois construction 2030 » présenté par la profession ?

Ce plan accompagnera l’entrée en vigueur, l’été prochain, de la réglementation environnementale 2020. Il fixe les normes pour les constructions neuves d’ici à 2030 avec en toile de fond la question de l'urgence climatique et de la réduction de l’empreinte carbone du bâtiment qui compte parmi les secteurs les plus émissifs sur le plan national. C’est aussi une manière de positionner la France dans sa trajectoire vers la neutralité carbone à l’horizon 2050. Bien sûr, cela bouscule les curseurs entre les différents matériaux puisque ceux qui ont la capacité de stocker le carbone, comme le bois ou les matériaux biosourcés, seront mieux positionnés pour le futur. Aujourd’hui, le bois dans la construction neuve en France ne pèse que 6 % du marché. L’objectif visé par la profession : atteindre 20 % ou 25 % comme c’est le cas en Allemagne par exemple. Le plan propose dix engagements parmi lesquels figurent la formation, le développement de l’emploi dans les territoires, la mixité des matériaux dans les constructions, le renouvellement de la forêt française ou encore la massification de l'utilisation du bois et l’investissement dans des outils de production pour diminuer les coûts.

Quels bénéfices pour le développement des territoires français ?

C'est un atout formidable. On construit partout en France, principalement dans les grandes villes quand il s'agit de constructions neuves, mais la ressource, elle, se trouve dans nos territoires ruraux qui accueillent les usines de transformation du bois. Il y a là un enjeu de création d'emplois. Il est extrêmement précieux, dans cette période, de consolider le tissu industriel local. Le bois représente 13 % des emplois industriels aujourd'hui en France. C’est un bon socle. Cela signifie aussi que les territoires doivent accompagner le développement de ces industries pour les faire monter en compétences. Le but, aussi, c'est de servir la demande à partir d’une ressource, prioritairement nationale car plus vertueuse.

Quels sont les leviers dont disposent les territoires pour accompagner ces industries ?

Les investissements productifs pour accroître les capacités industrielles. Voici le levier numéro un. Vient ensuite l'adaptation des forêts au changement climatique. La filière bois-forêt a pu bénéficier, dans le cadre du plan de relance, d’une enveloppe budgétaire de 150 millions d’euros sur deux ans ; et le succès est au rendez-vous puisque les propriétaires forestiers ont sollicité quatre fois le montant de cette enveloppe. Il faudrait débloquer chaque année suffisamment de moyens pour que nous puissions bâtir une forêt plus résiliente et adaptée au changement climatique afin qu'elle continue à apporter tous les services, qu'il s'agisse des services économiques mais en découlent aussi les services à la population et le maintien de la biodiversité.

Pour développer l'utilisation du bois dans la construction, ne faut-il pas gérer en amont la forêt ?

Le but effectivement c'est de servir la demande à partir d’une ressource, prioritairement nationale car plus vertueuse. La filière bois-forêt s’engage à maintenir un effort constant afin de garantir le renouvellement de la forêt française, dont la qualité est primordiale. Toutefois, la dynamique autour de la forêt doit se construire de façon partagée. Nous avons besoin d'une forêt gérée pour qu'elle continue à capter du carbone. Le maître mot c'est bien la durabilité et la gestion durable. Nous avons cette chance, en France, d'avoir une gestion durable de la forêt instituée depuis Colbert qu’il faut continuer à entretenir, à maintenir et à développer.

Quels sont les enjeux autour de la forêt ?

Nous devons relever le défi du changement climatique ; sur les 16 ou 17 millions d’hectares de forêt, un million d’hectares environ vont devoir affronter le changement climatique. L'appui de l'homme sera primordial pour la sauvegarde de ces espaces. Il faudra faire confiance à l'intelligence humaine pour aider la forêt à s'adapter. Il va falloir l'assister, planter de nouvelles essences par exemple, plus résistantes et plus résilientes, plus diversifiées, et sans dogme c’est-à-dire en restant des forestiers, à l'écoute de la forêt. Plus tôt nous réagirons, moins la situation sera catastrophique pour les territoires. Une forêt à l’abandon sans aucune gestion peut devenir dangereuse pour le public. La gestion forestière c'est la base de tout.

Et quelle est la place de la filière bois énergie ?

L’un des engagements de la filière forêt-bois consiste à investir dans les usines biomasse et à optimiser l’utilisation des produits bois en fin de vie. Car on ne coupe pas de bois pour le bois énergie. Celui-ci est récolté auprès des industries pour être valorisé. Le bois énergie fait partie des solutions intéressantes parce qu’elle nourrit la neutralité carbone sur l'aspect énergétique. Cependant, les professionnels sont très attachés à ce que la taille des projets bois-énergie soient à l'échelle des territoires, dans le prolongement naturel des activités de construction et avec le moins de transport possible. Le bois énergie doit rester une énergie locale.

Quelle place accordez-vous à la sensibilisation des plus jeunes ?

L'emploi et la formation font partie des points de base de notre plan. Les jeunes sont les plus fervents moteurs, ils ont une sensibilité aux sujets de neutralité carbone bien plus éclairée que les anciennes générations. C'est aussi un sujet d'éducation collective. Dans les écoles, la Fédération nationale des Communes forestières (FNCOFOR) déploie son programme « la forêt à l'école » qui vise à rapprocher l'école de la forêt et de sa réalité. Non pas la forêt rêvée mais la forêt telle qu’elle est. Il existe également des programmes de sensibilisation avec les écoles d'architecture pour acculturer les jeunes à la construction bois. La jeunesse d’aujourd’hui est plus sensible aux questions environnementales. Les politiques doivent en tenir compte.

Quel message souhaitez-vous délivrer à nos élus ?

Donnez la priorité au bois français, vous donnerez du travail à toute notre jeunesse. Un bâtiment public-privé réalisé en bois français c’est un retour en termes de valeur ajoutée dans les territoires supérieur à 80%. Osez-le-bois !

Propos recueillis par Blandine Klaas

Construction bois : les élus se mobilisent

Utiliser le bois et les matériaux biosourcés pour la construction de logements, bureaux et équipements publics, une tendance qui traduit cette prise de conscience généralisée des maîtres d’ouvrage de la nécessité de construire différemment, en limitant notamment les impacts sur notre environnement. Un sujet largement abordé le 11 février dernier à l’occasion du webinaire « Comment habiter la ville en 2021 ? » co-organisé par le Centre national pour le développement du bois (CNDB), représenté par sa directrice générale Sarah Laroussi et RCL, la revue des collectivités locales.

Utiliser davantage de bois dans les constructions fait bien partie de la stratégie de l’EPA Bordeaux Euratlantique qui depuis 2010 a engagé un vaste programme d’aménagement de douze nouveaux quartiers, a expliqué Pauline Pradel, Chargée de Mission Développement Durable à Bordeaux Euratlantique. Pour Etienne Guitard, directeur des Grands Projets Urbains en Nouvelle Aquitaine chez Kaufman&Broad, construire en bois a profondément changé les pratiques professionnelles dans l’acte de construire en permettant de dépasser les codes de la construction jusque-là en vigueur. «Nous avons utilisé des procédés constructifs qui n’existaient pas dans les réglementations techniques. Mais au-delà du concept initial, l’enjeu a été de développer les solutions qui permettent de fabriquer un projet ainsi que sa reproductibilité » a-t-il exprimé. Ainsi, la tour Sylva dont les travaux devraient démarrer dans quelques semaines a été conçue avec deux-tiers de structure primaire en bois. Ce projet a par ailleurs bénéficié de l’appui technique du FCBA, véritable centre de recherche et d’innovation au service de l’ensemble des filières bois. « Notre mission : accompagner davantage les donneurs d’ordre et les collectivités pour intégrer le bois dans leurs constructions » a expliqué Patrick Molinié, Responsable du Developpement au FCBA.

Lentement mais sûrement, l’ensemble filière bois, de la sylviculture à la construction s’organise pour répondre à la demande. Fin janvier, la filière forêt-bois française présentait le plan ambition bois construction 2030, la contribution des professionnels à l’effort collectif nécessaire à la décarbonation de la construction française. Un plan qui accompagnera l’entrée en vigueur, début 2022, de la réglementation environnementale 2020, fixant des normes pour les constructions neuves d’ici à 2030 avec en toile de fond la question de l'urgence climatique et de la réduction de l’empreinte carbone du bâtiment qui compte parmi les secteurs les plus émissifs sur le plan national.