Agriculture : le Salon s’achève, les défis continuent

TRIBUNE - Présidente du Grand Reims, communauté à la fois urbaine et rurale, dans la Marne, département dont les deux vecteurs historiques se nomment viticulture et agriculture, Catherine Vautrin, mesure l’importance des défis, en particulier climatiques, qui se posent pour construire l’agriculture de demain.

La viticulture française n’est malheureusement pas épargnée par les difficultés du moment. La semaine dernière, Le Figaro déplorait d’ailleurs les vignobles français fragilisés par la surproduction, précisant que l’ensemble de la filière viticole s’attend à une nouvelle baisse de la consommation, à hauteur de 60%, dans la prochaine décennie. Dès à présent, en France, faute de débouchés, 85 000 viticulteurs vont être contraints de distiller une partie de leurs volumes.

Bien entendu, la situation n’est pas la même dans tous les vignobles et la Champagne peut se féliciter d’avoir passé en 2022 la barre record des six milliards d'euros de chiffre d'affaire. Un exploit accentué par une augmentation de 4,3% de ventes à l’export en un an, représentant 187,5 millions de flacons.

Mais le vignoble de Champagne, comme tous les autres, vit sous la menace du dérèglement climatique et de la multiplication des épisodes météorologiques violents comme les orages, le gel tardif, la sécheresse ou les canicules. C’est pour ces raisons que les vignerons et maisons de champagne ont décidé d’augmenter progressivement leur contribution au Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) pour travailler sur la recherche de nouveaux cépages résistants au changement climatique et de poursuivre les efforts de diminution de l’empreinte carbone de la filière.

Sur ce dernier volet, les élus locaux comme nationaux ont un véritable rôle à jouer. C’est pour cette raison que la communauté urbaine du Grand Reims s’est engagée avec Moët & Chandon dans une convention de partenariat centrée sur la préservation de la biodiversité, la protection de la ressource en eau et le développement d’actions innovantes pour contribuer à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation du territoire.

Plus globalement, c’est cette logique qui a conduit le Grand Reims a adopté un Plan climat-air-énergie territorial (PCAET) ambitieux visant à d’importantes réductions des émissions de gaz à effet de serre et de consommation d’énergie sur le territoire. Dans la droite ligne de l’objectif majeur inscrit dans notre Projet de territoire : devenir un territoire de référence en matière de neutralité carbone.

Un objectif qui a aussi guidé notre participation au Projet Alimentaire Territorial du Triangle marnais pour favoriser une agriculture durable, les producteurs du territoire, les circuits courts et la consommation de produits locaux dans nos cantines.

C’est également pour soutenir les agriculteurs, notamment les producteurs locaux de betteraves, que le Grand Reims a récemment décidé de créer une ZAC dédiée à la bioéconomie sur le secteur des communes de Pomacle et Bazancourt, autour de l’actuel bioraffinerie végétale. Un site déjà connu et reconnu comme démonstrateur dédié aux biotechnologies et comme modèle en matière d’écologie industrielle. Un poumon économique de notre territoire, qui a besoin d’être agrandi et d’être aménagé pour s’imposer comme fer de lance européen de l’innovation bioéconomique.

Toutefois, là encore, le changement climatique, auquel vient s’ajouter l’interdiction des néonicotinoïdes, impacte l’avenir de la filière sucre-betterave. Encore une fois, notre rôle d’élu local consiste à accompagner au mieux les professionnels du territoire et le Grand Reims s’entretiendra prochainement à ce sujet avec les acteurs agricoles et le Préfet.

Pour terminer sur une note positive et de fierté territoriale, la Présidente du Grand Reims que je suis, ne saurait évoquer le Salon de l’agriculture 2023 sans féliciter les frères Marlette, éleveurs de la commune de Crugny, dont le taureau de race charolaise, baptisé Oural, a remporté le 3e prix du concours général agricole. Une preuve supplémentaire de tout le savoir-faire et de la qualité des éleveurs et agriculteurs de notre territoire.

L’agriculture et la viticulture françaises sont une chance et un bien commun précieux. Nous devons tout faire, à tous les niveaux, pour les préserver et les adapter aux enjeux à venir. C’est surtout ça qu’il faut retenir comme bilan du Salon de l’agriculture 2023.

 

La reconquête de la souveraineté alimentaire, une priorité nationale selon Christiane Lambert, présidente de la FNSEA

Dans un contexte de guerre en Ukraine, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, martèle qu’il faut concilier, à égalité d’enjeux, climat et production pour assurer la souveraineté alimentaire, une priorité nationale, tout en reconnaissant que les transitions du secteur agricole s’imposent pour y par venir. Rencontre avec la première femme élue présidente du syndicat.

RCL : La guerre en Ukraine a remis à l’ordre du jour la nécessité de souveraineté alimentaire, comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les pouvoirs publics ont instauré la sécurité alimentaire comme priorité…

Christiane Lambert : La crise sanitaire et l’insécurité alimentaire engendrée par la guerre en Ukraine ont révélé l’urgence à reconquérir la souveraineté alimentaire française et européenne. Déjà lors du premier confinement, chacun a pu mesurer que l’autosuffisance agricole et la régularité de l’approvisionnement sont devenues des enjeux stratégiques. Et à ce titre, les agriculteurs n’ont pas failli. Des décennies durant, les Français ont tenu pour acquis des magasins alimentaires achalandés avec une offre toujours plus abondante. La crise de la Covid a rebattu les cartes car elle a tari les flux commerciaux de certains produits comme le papier toilette ou la farine. Brusquement le retour à une souveraineté alimentaire s’est imposé. Aujourd’hui, la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie rappellent la vulnérabilité à un choc de notre modèle agricole européen. Outre les pénuries que le conflit engendre, la flambée des prix présente un véritable risque d’embrasement social. Cette menace vient rappeler l’absolue nécessité pour la France de poursuivre une stratégie de souveraineté alimentaire. Encore marqués par les pénuries engendrées par la dernière guerre, les pouvoirs publics souhaitent instaurer la sécurité alimentaire comme objectif prioritaire, avec la perspective d’augmenter la production. Car le passé n’est pas si loin, souvenez-vous, la présidence de Charles de Gaulle avait engagé, afin de sécuriser les approvisionnements, la restructuration des exploitations et la modernisation de l’appareil productif, s’appuyant sur les nouvelles générations d’agriculteurs avec notamment la Jeunesse Agricole (JAC). Dans les années soixante, l’agriculture se place alors au centre des préoccupations européennes avec, en 1962, la mise en place d’une politique agricole commune (PAC), créée par le traité de Rome. Nous étions dans un contexte.

Pourtant, l’agriculture contribue au rayonnement de la France…

C.L. : Oui, mais force est de constater que sa contribution au PIB français est de plus en plus modeste. Elle est passée de plus de 18 % au début des années cinquante à 1,8 % en 2019, un peu moins de 4 % si on tient compte des industries agroalimentaires. Si les produits agricoles et agroalimentaires constituent le troisième excédent français à l’export, derrière l’aéronautique et les parfums et cosmétiques, le solde commercial de la France se dégrade depuis dix ans (11,9 Md€ en 2011, 7,7 Md€ en 2019 et 6,1 Md€ en 2020) en raison d’une croissance des importations plus rapide que celle des exportations. Et la France est devenue importatrice nette depuis l’UE en 2015 avec une grande hétérogénéité entre des secteurs très exportateurs (ex. vins et spiritueux, céréales, fromages) et d’autres fortement importateurs (ex. fruits et légumes). Le déficit de compétitivité des entreprises françaises explique à lui seul, sur la période 2000-2015, 71 % de la dégradation du solde commercial et 85 % de la perte de parts de marché au sein de l’UE. Sur la période récente, cette perte de compétitivité des exportations françaises est, de surcroît, plus prononcée que celle de ses concurrents européens. En effet, contrairement à la France, le reste de l’UE ne perd plus de parts de marché depuis 2015. Le positionnement de la France sur des marchés et sur un mix produits peu dynamiques explique également la dégradation de la balance commerciale française. Cette spécialisation du pays, explique 33 % de la perte des parts de marché de la France au niveau mondial. En effet, les exportations françaises sont, en majeure partie, à destination des économies « matures » comme les États-Unis, le Japon, l’Europe occidentale, et portent sur de l’alimentation haut de gamme et des produits transformés à base de viande. Or, ces produits exportés par la France apparaissent peu adaptés à la demande des partenaires européens. À ces spécialisations s’ajoute le facteur compétitivité prix. En effet, la part des dépenses phytosanitaires et les consommations représentent un surcoût relatif par rapport aux concurrents européens. Sans compter le coût du travail qui pénalise les industries agroalimentaires.

Comment reconquérir la souveraineté agricole ?

C.L. :  Si en pleine crise sanitaire les Français n’ont pas eu faim, les rendant même fiers de leurs agriculteurs, force est de constater, que le modèle de l’agriculture française a dévoilé ses failles comme ses dépendances : 60 % des fruits et 40 % des légumes consommés en France sont importés. Il en est de même pour la moitié des volailles et un quart de la viande bovine. Le modèle agricole français souffre aussi d’une faiblesse sur son autonomie en protéines végétales, essentielles pour l’alimentation animale mais aussi pour l’alimentation humaine. Aujourd’hui plus de 50 % des volumes viennent notamment d’Amérique. Si la tendance venait à se poursuivre, la France serait dans l’incapacité de subvenir seule à ses besoins alimentaires dès 2023. Encore une fois, il aura fallu la peur des rayons vides pour que la souveraineté alimentaire de la France revienne en tête des priorités et fasse dire au président de la République : « Déléguer notre alimentation à d’autres est une folie ! » Et plus récemment, la guerre en Ukraine, pointe des dépendances qui pourraient déstabiliser les perspectives de souveraineté, en termes d’énergies, d’engrais et d’alimentation animale. Les répercussions sur les coûts de productions sont immédiates : +30 % sur l’alimentation animale ; +55 % sur l’électricité, +120 % sur le gazole non-routier, +138 % sur les engrais azotés, +450 % sur le gaz en quelques mois. L’agriculture est donc face à un nouveau défi, celui de produire une alimentation de qualité, en plus grande quantité et de façon urgente. Pour cela, il faut renforcer le tissu productif français et relocaliser la production.

À quoi va ressembler l’agriculture de demain ?

C.L. : L’agriculture s’est déjà adaptée au dérèglement climatique et à ses conséquences violentes mais aussi à l’évolution galopante des attentes sociétales. Bon nombre d’études attestent que les Français, conscients des enjeux environnementaux, souhaitent consommer du local et ainsi privilégier la proximité. La question est de savoir s’ils sont prêts à payer plus cher, le kilo de tomates ou de porc. En tout cas, il faudra que la hausse profite aux agriculteurs. Pour autant, on constate encore que plus de la moitié des achats de fruits et légumes se font dans les grandes surfaces. Quoi qu’il en soit, Il faut retrouver la vraie valeur de l’alimentation car la rareté entraîne inévitablement des hausses de prix. Pour asseoir une souveraineté alimentaire durable en France et en Europe, l’agriculture des prochaines années doit être productive et pérenne, compétitive et rémunératrice, protégée et combative face à la concurrence déloyale, qu’elle soit européenne ou internationale. Elle sera en mesure d’apporter des réponses au changement climatique qui bouleverse aujourd’hui les acquis, mais également d’en tirer profit en créant d’autres sources de revenus et ainsi de participer à la création de richesses et d’emplois.

Comment les élus peuvent-ils aider les agriculteurs ?

C.L. : Le facteur essentiel est la reconnaissance. Lorsque l’on se sent considéré, on est prêt à déplacer des montagnes. Les maires doivent aider les agriculteurs à réaliser leurs projets de développement et les soutenir face aux nouveaux défis. Car, il est indispensable d’inventer de nouvelles voies pour produire et nourrir durablement, en favorisant des systèmes respectueux de la nature comme des êtres humains. Cette transition est possible, on l’a vu, durant les confinements, les producteurs ont développé les circuits courts pour encourager la responsabilité des consommateurs. Mais les agriculteurs ont besoin d’être soutenus dans ces nouvelles méthodes de produire et ils doivent être valorisés. Et puis, nous attendons des élus qu’ils expliquent aux parents qu’en payant 10 centimes de plus un repas à la cantine, ils soutiennent la production agricole locale.

Quel message adressez-vous aux maires ?

C.L. : Les agriculteurs ont besoin de leur regard de bienveillance, de leur considération et de reconnaissance. Nos agriculteurs travaillent dur, partent peu en congés ou pas du tout, ils prennent soin de nos paysages et nous nourrissent. Respectons-les !

Propos recueillis par Danièle Licata

Salon international de l’agriculture : 391 éleveurs s’engagent dans le label bas-carbone

Cet outil innovant créé par le Ministère de la transition écologique et solidaire en lien avec l’institut de l’économie pour le climat (I4CE) et de nombreux partenaires scientifiques et professionnels est un nouvel instrument opérationnel de lutte contre le changement climatique proposé aux agriculteurs. Ces derniers, grâce à des pratiques culturales adaptées, contribuent en effet à réduire leur propre empreinte carbone mais aussi à capter et à séquestrer les émissions de CO2. Ce service rendu à la nature et au climat donne lieu à l’émission de crédits carbone qui peuvent être cédés à des institutions, collectivités ou entreprises soucieuses de compenser leurs propres émissions et, plus largement, d’agir pour la planète. A l'occasion du salon international de l’agriculture qui se tient à Paris, ce sont donc 391 éleveurs qui se sont engagées, pour la première fois, dans la démarche du label Bas-Carbone.

 

La ville de Vannes lance sa régie de maraîchage bio

La municipalité instaure sa propre régie de production maraîchère bio à destination des crèches municipales où sont préparés quotidiennement 340 repas. Des légumes et des fruits de saison seront ainsi produits sur un espace horticole communal d'un hectare sur le site du Pérenno. La faisabilité technique du projet a été vérifiée par le Groupement des Agriculteurs Bio du Morbihan (GAB 56), avec qui une convention de partenariat a été adoptée. Ce projet est en adéquation avec la politique menée depuis 30 ans au service du bien-manger dans les écoles et crèches vannetaises, avec le recrutement d’une diététicienne municipale dans les années 90. Aujourd’hui, la Ville de Vannes, via le service de restauration scolaire en régie municipale, utilise près de 60% de produits bio et labellisés en provenance de fournisseurs locaux (96%).

Les collectivités locales accélérateurs du bio ?

« Alors que les politiques publiques visent 15 % de surfaces en bio et 20 % de produits bio en restauration collective d'ici 2022, les occasions se multiplient pour les collectivités locales de s'intéresser à la question agricole et alimentaire ». C’est l’avis de la Fédération Nationale d'Agriculture Biologique (FNAB) qui vient de publier deux documents pour appuyer les collectivités dans leurs démarches. Ainsi, la Grille d'analyse des territoires, créée en 2010 et mise à jour en 2018, est un outil de diagnostic conçu pour les collectivités locales souhaitant agir en faveur de la transition agricole et alimentaire. A travers le guide « Développement économique territorial - Comment les collectivités locales peuvent-elles favoriser des filières agricoles durables ? », la FNAB et Bio en Hauts de France présentent des témoignages d'acteurs, des retours d'expériences et apportent des recommandations concrètes.