Pour Emmanuel François, cofondateur et président de la Smart Buildings Alliance for Smart Cities (SBA), l’utilisation du nucléaire permet à la France de se classer parmi les bons élèves en matière d’émissions de carbone mais surtout de faire face à la demande d’électricité qui devrait continuer à croître. Explications.
RCL : Est-ce que l’on peut se passer du nucléaire si l’on veut respecter les engagements en faveur du net zéro carbone ?
Emmanuel François : Pour répondre à votre question, je citerai le cas de l’Allemagne qui en abandonnant le nucléaire se retrouve aujourd’hui au pied du mur. Le pays a commis deux erreurs : la première erreur est de ne pas avoir anticipé le réchauffement climatique. Au regard du rythme d’industrialisation du pays, et alors que ce sont les énergies renouvelables qui se sont développées massivement pour se substituer aux réacteurs nucléaires, les besoins en énergies, malgré les efforts fournis, risquent de ne pas être couverts. L’autre erreur est que le pays n’a pas anticipé le virage du thermique vers l’électrique. Il se retrouve face à un énorme problème énergétique. La France, elle, tire mieux son épingle du jeu. Si 41 % des émissions de CO2 dans le monde proviennent de la production d’énergie, en France elles tombent à 12 %. Mais ne nous réjouissons pas pour autant. 41 % des émissions dans l’Hexagone sont issues du transport. On comprend mieux l’énorme défi, dans les cinq prochaines années, que représente l’énergie électrique. Avec 65 % d’émissions de CO2 issus de la production d’énergie et du transport, on voit clairement que la France dispose de deux leviers pour atteindre la neutralité carbone.
RCL : Quelles sont les solutions pour y parvenir ?
E.F. : D’abord, il faut développer massivement les énergies renouvelables qui ne représentent aujourd’hui que 19,1 % de la consommation finale. C’est bien en deçà des objectifs de la directive de 2009 qui étaient de 23 %, alors que la loi relative à l’énergie et au climat de 2019 les a fixés à 33 % dans le mixte énergétique d’ici à 2030. Il reste donc 67 % de l’énergie à produire. Comment alors se passer du nucléaire si l’on veut produire de l’énergie décarbonée ? En renforçant la production d’hydraulique ? Difficile, les investissements les plus productifs ont déjà été réalisés, et il ne reste que les rivières qui ne pourraient accueillir que de petits barrages. En revanche, le photovoltaïque est une véritable opportunité. Mais pas comme à Bordeaux où on a abattu des arbres pour y installer des milliers de panneaux. Aujourd’hui, notre pays dispose, de toitures industrielles, agricoles et résidentielles pour accélérer la cadence, sans défigurer le paysage français. Mais pour y parvenir, arrêtons de penser global ; les mesures centralisées ont trouvé leurs limites. Les mesures doivent être prises au niveau local, à l’échelle des collectivités, voire des quartiers. Il faut mettre à l’oeuvre cette « troisième révolution urbaine », où la production d’énergie doit être un des premiers biens communs d’une collectivité ou d’une communauté dans lequel les particuliers et la collectivité ont investi. C’est la clé de la réussite; il faut impliquer le citoyen directement dans cette transition énergétique. Quant à l’éolien, il faut également penser local. Il existe des solutions aujourd’hui qui préservent les paysages.
RCL : Vous dites que pour parvenir à 33 % d’énergies renouvelables, il faut déployer des solutions en local ; mais se pose un véritable problème de stockage des énergies ?
E.F. : Effectivement, pour aller plus loin, il va falloir stocker ces énergies renouvelables la journée pour pouvoir la restituer le soir. Grâce à un électrolyseur, il est possible de transformer l’énergie électrique produite par des panneaux solaires ou de l’éolien en hydrogène. Ce gaz peut alors être utilisé indépendamment de l’intermittence de production de ces systèmes. Confrontée à un besoin de changement de chaudière pour un ensemble de bâtiments et souhaitant produire de l’énergie renouvelable, la commune de Châteauneuf (21) a souhaité lancer ce projet innovant en 2016. Uneunité de production d’hydrogène de petite puissance a donc été installée sur le site du Parc du Mollard. Elle est alimentée par des arbres à vent (éoliennes urbaines) et une centrale photovoltaïque. Le système met en œuvre une interconnexion intégrale des systèmes s’adaptant aux besoins énergétiques du site. L’objectif de cette expérimentation est de démontrer que des productions locales d’énergie parfaitement intégrées à leur environnement peuvent répondre aux besoins d’un site aux activités multiples.
RCL : Revenons au nucléaire, quel rôle joue-t-il dans cette transition énergétique ?
E.F. : Un rôle majeur, à condition qu’il soit combiné avec des énergies renouvelables mais aussi à un système de stockage hydrogène afin de lisser et d’adapter la production à la consommation. En France, les pics de consommation ont lieu entre 18 h et 22 heures, lorsque la population réintègre son foyer. Il faut donc pouvoir stocker l’énergie durant la journée et la restituer le soir pour que l’on puisse allumer tous les appareils électriques au même moment. Or, la prise de conscience des pouvoirs publics est lente, la bascule des véhicules thermiques vers les véhicules électriques se fera plus rapidement que l’on croit. La révolution est déjà en marche. Regardez les constructeurs, ils se sont déjà tournés vers l’électrique. Or les infrastructures restent insuffisantes et demain le réseau ne sera pas adapté si l’on ne développe pas de solutions de stockage pour répondre à la problématique des pics de consommation. Si rien n’est fait, à 19 heures, si vous voulez charger votre véhicule et allumer votre four, vous devrez choisir. Et on ne vous donnera pas le choix. Il faut faire vite car dans trois ans, 2 millions de véhicules électriques circuleront en France. 2 millions de véhicules, s’ils se rechargent en même temps, c’est 15 % de la production énergétique française. Le réseau ne tiendra pas. Alors pour éviter le chaos, le nucléaire paraît être la meilleure solution à ce jour dans cette course à l’énergie décarbonée, sous condition, bien sûr, d’intégrer au modèle économique le coût de la maintenance. Or aujourd’hui, ce coût estimé à 51 milliards d’euros n’est pas pris en compte dans les bilans d’EDF. Le faire, reviendrait à multiplier par deux le coût de l’énergie. Le problème est donc politique.
RCL : Quelles sont les solutions à court terme pour honorer nos engagements en matière de transition énergétique ?
E.F. : A court terme, il faut maintenir les centrales nucléaires et déployer des solutions de stockage énergétique en local sur le territoire pour permettre cet équilibre entre la production et la consommation, et prendre le virage du thermique vers l’électrique. En parallèle, il faut encourager le déploiement d’énergies renouvelables localement comme l’a fait la ville de Châteauneuf. Ce sont des investissements qui peuvent être absorbés à l’échelle des territoires et surtout qui permettent d’embarquer l’épargne citoyen (160 milliards) que l’on peut réinvestir directement. C’est le seul moyen d’impliquer directement les citoyens dans cette transition énergétique. Et enfin, il est fort vraisemblable que les EPR ne soient plus viables pour des raisons de sécurité, ce qui explique, d’ailleurs, que le programme traine en Finlande, en Angleterre et en France. Ne nous entêtons pas sur ces modèles de centrales, orientons-nous vers des microcentrales comme en Chine ou en Californie. Des solutions beaucoup moins coûteuses et beaucoup plus sécurisées.
Propos recueillis par Danièle Licata
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