Avec la raréfaction des dotations de l’État, les collectivités locales remettent à plat la gestion de leur patrimoine immobilier pour la rendre plus stratégique, efficiente et dégager des économies.
Représentant pas moins de 20 % du patrimoine immobilier français, le patrimoine immobilier des collectivités locales se révèle singulièrement dense, dispersé et contrasté. En raison de nombreux transferts et récupérations, il devient parfois même délicat d’en estimer toute la valeur et d’en mesurer toute l’étendue. Bâtiments scolaires, publics, administratifs, techniques, sportifs, culturels, associatifs… Autant d’équipements coûteux à entretenir au quotidien qui, sous exploités ou inadaptés aux besoins, entraînent des dysfonctionnements préjudiciables et par corrélation un gaspillage financier pour les communes. À l’heure où la recherche d’économies se démontre perpétuelle pour les territoires, apprendre à mieux utiliser et rationaliser ces infrastructures en définissant une politique de gestion plus stratégique et performante relève aujourd’hui de l’inéluctable.
Mettre en œuvre une politique de gestion dynamique
Pour mettre en œuvre une gestion dynamique du patrimoine immobilier local afin de tirer bénéfice de ses bâtiments et de ne plus subir de charges disproportionnées et non concordantes à l’usage, « il est important, avant toute chose, de visualiser sa stratégie de gestion dans un ensemble, en l’intégrant à la politique générale de la collectivité. L’isoler comme une strate indépendante serait une grande erreur tactique », pointe Rémi Bouthier, consultant au sein d’un cabinet de conseil en politiques et stratégies publiques.
Il revient ainsi, en priorité, de bien connaître son patrimoine immobilier, dans toutes ses composantes. « En 2014 lors du changement de magistrature, nous avons entrepris de remettre au goût du jour et actualisé l’inventaire de nos biens immobiliers et de leurs affectations réalisé en 2000, raconte Damien Mouneau, directeur de l’action foncière et immobilière au sein de la ville de Limoges. Le but de notre démarche était, bien évidemment, d’obtenir une cartographie précise et complète de notre patrimoine, mais également de remettre au centre le rôle du gestionnaire et de ses équipes. Que chacun soit sensibilisé et associé aux décisions, soit d’un côté pleinement conscient de ses prérogatives et des besoins, et de l’impact de l’immobilier, et de ses dotations d’un autre », poursuit-il. Entreprendre la réalisation d’un inventaire est un véritable travail de fourmi. Titres de propriété et documents de trésorerie doivent être ressortis des placards pour procéder à un recensement minutieux de tous les biens. Doivent impérativement figurer dans l’inventaire pour chaque bâtiment répertorié : année de construction, surface, statut (occupé ou non), prix d’achat, mode d’acquisition, régime juridique, listing des travaux effectués avec leur coût cumulé, dépenses d’entretien annuel, état de vétusté…
Bien saisir toute la teneur de son parc immobilier est une chose, mais détenir également une bonne connaissance de ses coûts associés en est une autre qui n’est tout autant pas à négliger. « Savoir ce que consomme une infrastructure en chauffage, en électricité, en eau, ou encore les dépenses qu’il va falloir engager pour la remettre aux normes énergétiques ou réparer la toiture, permet de se faire une idée très exacte des frais liés à un équipement et des postes sur lesquels il va être possible de rogner ou d’impacter pour développer une meilleure gestion et réaliser des économies », explique Rémi Bouthier. « Avec l’aide d’un prestataire, nous avons réalisé des carnets de santé précis pour chacun de nos bâtiments. Les résultats ont confirmé nos hypothèses ou nous ont surpris, mais maintenant nous possédons une vision claire de l’état technique de nos équipements et sommes parfaitement informés des rénovations à planifier », précise Damien Mouneau, de la ville de Limoges. Planifier financièrement, justement, est un des maîtres-mots incontournables pour la mise en place d’une gestion active de son patrimoine, notamment car il implique la construction d’un schéma directeur immobilier. Afin de maîtriser ses dépenses et ne pas se laisser dépasser par les tâches à accomplir, il est vivement recommandé de définir un vrai plan budgétaire prévisionnel avec une programmation pluriannuelle des investissements qui prendront en compte et hiérarchiseront les efforts financiers à venir (réhabilitation, mise aux normes énergétiques et accessibilité, réparations diverses, rénovation…). « Les éléments économiques doivent être suivis en temps réel, il faut déterminer des perspectives, se fixer des objectifs, viser une optimisation des coûts », lance le consultant Rémi Bouthier. Si certaines communes préfèrent dresser un schéma directeur immobilier pour l’ensemble de leur parc, d’autres privilégient la sectorisation. « Nous avons commencé par tous nos biens entourant notre département jeunesse, soit près de 30 % de notre patrimoine bâti. Nous avons à Limoges la particularité de posséder 36 sites scolaires, plutôt vieillissants et à l’entretien inégal, et dont les taux d’occupation se réduisent », précise Damien Mouneau. Cédric Malfois, directeur architecture et bâtiment au sein de la ville de Limoges, ajoute : « Cela nous a semblé adéquat de nous focaliser sur le secteur scolaire dans son entièreté et de rompre avec notre habitude de fonctionner au cas par cas, selon les besoins individuels et impératifs en travaux pour chaque infrastructure. Nous sommes passés d’une gestion technique à une gestion davantage active avec plus d’anticipation et de stratégie ».
Apprendre à valoriser ses biens est fondamental pour une collectivité désireuse notamment de se démontrer plus solvable auprès des organismes bancaires. Néanmoins, il serait futile d’hésiter pour autant, tel que cela s’observe chez certains élus, à vendre ou à céder si les bâtiments n’ont plus aucune utilité pour la ville. « Il est préférable de faire rentrer de l’argent dans les caisses pour créer de la trésorerie voire pour l’allouer à la maintenance ou au rachat d’un bien plus adapté aux besoins publics, plutôt que de peiner à entretenir un équipement devenu superflu », suggère Rémi Bouthier.
Les outils de gestion active du patrimoine immobilier
À l’heure où la dématérialisation et la digitalisation battent leur plein, il est rare de déceler encore des collectivités locales friandes d’un amas incommensurable de papiers pour gérer leur patrimoine immobilier. Exit les feuilles de reporting, d’inventaires ou les listings, place désormais aux formulaires de gestion numérique via la myriade de logiciels existants et spécialement dédiés au parc immobilier des villes. Ces logiciels et outils digitaux sont conçus pour directement s’interfacer avec le système d’information des communes.
Parmi les récentes avancées technologiques, une a su retenir particulièrement l’attention de certaines collectivités locales comme la ville de Montreuil ; la démarche BIM (building information modeling en anglais, maquette numérique en français) qui s’applique aisément à la gestion du patrimoine immobilier. Elle se défi nit par un assemblage d’objets avec une représentation graphique, des attributs et un comportement. Tel que l’expliquait le rapport Delcambre en décembre 2014, « la maquette numérique est actualisée tout au long de la vie de l’ouvrage, de sa conception à sa construction, de la livraison à sa déconstruction ». Le BIM est à la fois un logiciel, une base de données, un processus collaboratif et une méthode de management de projet. Plus spécifiquement, les enjeux du BIM sur la gestion patrimoniale apparaissent attractifs pour un territoire. Le Cerema en dresse la liste (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) : assurer le pilotage du patrimoine et conduire les restructurations lourdes et les constructions neuves dans un contexte de potentiel financier réduit, renforcer les exigences réglementaires en matière de gestion du bâti avec les diagnostics techniques, les obligations de travaux, de traçabilité et de suivi dans le temps, ouvrir la communication de documents à des tiers, et accroître sa réactivité et sa performance, dans le cadre d’une stratégie patrimoniale globalisée, par la mise en œuvre de nouvelles solutions de gestion technique patrimoniale. Selon le rapport du groupe de travail « BIM et Gestion du patrimoine » du Plan Bâtiment Durable, « un acteur public a économisé 1,5 M€ pour un patrimoine de 2,5 millions de mètres carrés en rationalisant ses dépenses de contrôles réglementaires après avoir uniformisé les données patrimoniales nécessaires et les avoir rendues accessibles aux bureaux de contrôles ».
Des impacts réels sur l’équilibre financier et le bilan de la collectivité ?
Selon les statistiques les plus récentes à disposition (2012), les collectivités françaises débloquent chaque année un investissement colossal de 10 Md€ afin d’effectuer des travaux sur les bâtiments dont elles sont propriétaires. Plus de 50 % de ce budget est alloué à la réhabilitation et aux réparations d’importance. Les dépenses concernant les infrastructures scolaires — et en particulier les collèges et lycées — avoisinent, elles, 2 Md€ en termes d’investissement et 1 Md€ de fonctionnement. « Nous observons qu’en raison des réglementations plus strictes qui encadrent la modernisation du patrimoine immobilier local pour corriger la vétusté et appliquer les nouvelles normes de sécurité, d’hygiène et d’accessibilité, les charges pour les communes ont littéralement triplé en 10 ans, en particulier sur les budgets de fonctionnement liés à l’énergie, à la maintenance et aux fluides », explique Rémi Bouthier. La définition d’une politique de gestion plus active du patrimoine immobilier constitue ainsi un enjeu d’importance indéniable pour une collectivité locale souhaitant maîtriser et rationaliser ses dépenses. « Dès que nous agissons sur de l’immobilier, nous sommes sur des périodes assez longues où il est difficile de discerner rapidement les bienfaits financiers des prises de décisions. Néanmoins, nous restons convaincus qu’une meilleure stratégie et gestion ne pourra nous être que profitable économiquement », conclut Damien Mouneau, directeur de l’action foncière et immobilière au sein de la ville de Limoges. Selon l’estimation de Rémi Bouthier, consultant au sein d’un cabinet de conseil en politiques et stratégies publiques, les économies découlant d’une gestion optimisée de son patrimoine immobilier pourraient atteindre à moyen terme jusqu’à 20 voire 30 %.
Shana Levitz & Liorah Benamou
Angers : cap sur une gestion 100 % ambitieuse et optimisée
Nous disposons à Angers d’un parc immobilier important : 750 bâtiments pour la ville et 150 pour l’agglomération. Pourtant, jusqu’en 2014, nous n’avions pas réellement de politique marquée de gestion de notre patrimoine. Nous avons tout de suite corrigé le tir en mettant en place un groupe de travail, un programme, et nous nous sommes adjoints les services d’un intervenant extérieur pour nous conseiller. Nous avons tout d’abord effectué un diagnostic pointu des usages de nos infrastructures. Sur les 900 bâtiments qui nous appartiennent, nous en avons extrait 150 dont il fallait concrètement réinterroger l’utilisation (occupés par des associations, opérations d’urbanisme jamais amorcées, voués à la démolition) pour voir si nous pouvions nous en séparer. Notre étude nous a clairement démontré que les montants d’investissement et de coûts d’entretien pour les 10-15 ans à venir étaient sans commune mesure avec nos possibilités. Ainsi, dès 2016, nous avons démarré un programme très ambitieux de vente, de relogement, de réaffectation ou de mutualisation de nos locaux qui nous conduit à vendre entre 15 et 20 équipements par an. Nous avons créé en parallèle un hôtel des associations pour en regrouper une quarantaine, optimiser au maximum son usage et diminuer les coûts de fonctionnement. À côté de cela, nous réhabilitons nos bâtiments énergivores afi n de réduire, là encore, les factures. Nous ressentons déjà les effets positifs avec des recettes de vente qui se chiffrent entre 2 et 3 M€.
Jean-Marc Verchère, adjoint au maire d’Angers en charge des bâtiments
Saint-Étienne : cessions « intelligentes » et mise à contribution des associations
La gestion du patrimoine immobilier est un enjeu stratégique que nous avons identifié très tôt. Pour des raisons historiques, nous sommes propriétaires d’un patrimoine économique important. Nous avons déjà vendu beaucoup de sites par le passé, mais il nous en reste encore. Nous temporisons ce genre de cessions car il s’agit également pour nous d’un patrimoine de rapport, nous soutenant financièrement en termes de valorisation. Aujourd’hui, nous possédons 1 200 bâtiments, parfaitement recensés et connus grâce à un logiciel. Pour le patrimoine général de la commune, celui qui abrite nos différents services municipaux, nous anticipons les mouvements de personnel et de compétences du fait que nous soyons très rapidement passés du statut de communauté d’agglomération à celui de future métropole (2018). Nous agissons ainsi sur la mutualisation des bâtiments avec les communes voisines. Nous disposons également d’un certain patrimoine désaffecté qui nous interroge. Nous venons d’en achever l’inventaire ; arrive désormais le temps de prendre des décisions sur d’éventuelles cessions en contrepartie de projets intelligents et d’intérêt public. Enfin, autre volet qui a suscité toute notre attention sur la question d’une meilleure gestion de notre patrimoine immobilier : les associations. Remarquant que tous les membres n’adoptaient pas toujours des attitudes très parcimonieuses avec les locaux et leurs charges, nous avons décidé de les responsabiliser en les mettant à contribution pour les fluides et les loyers. Nous les faisons participer aux frais des bâtiments qu’ils occupent à un prix mètre carré forfaitaire. Il faut convaincre et c’est du travail de dentelle, mais je suis sûr que cette initiative paiera à terme. L’objectif est de diminuer, même sensiblement, notre facture d’énergie.
Denis Chambe, adjoint au maire de Saint-Étienne, en charge du patrimoine de la Ville
Les Hauts-de-Seine lance une plateforme de vente de son patrimoine immobilier
Nous avons lancé en mai dernier notre plateforme de vente de biens immobiliers départementaux. Elle est très intéressante car elle permet, au-delà de fournir toutes les informations nécessaires, d’atteindre un plus grand nombre de personnes. Elle offre des ventes aux enchères aux particuliers, des appels à candidature auprès des promoteurs pour certains projets, et des consultations directes pour quelques biens infructueux lors des ventes aux enchères. Ce dernier pan se destine plus aux marchands de biens ou aux professions libérales. Le but de la constitution de ce site était bien évidemment que nous recensions notre patrimoine immobilier, problème majeur des collectivités. Aujourd’hui, nous le connaissons sur le bout des doigts, ce qui n’était pas gagné d’avance, le département étant propriétaire entre autres de 750 000 m² de bâtiments scolaires, 72 500 m² de bureaux, ou encore 18 000 m² de surface dédiée à l’action sociale. Nous louons également des infrastructures, mais il peut être plus avantageux d’acquérir de nouveaux locaux plus adaptés, grâce aux recettes de nos ventes, et d’y regrouper des services. La plateforme fonctionne très bien pour le moment. Nous l’avons mise en ligne le 5 mai et le 15 nous enregistrions déjà une quinzaine de demandes.
Yves Révillon, vice-président du département des Hauts-de-Seine et maire de Bois-Colombes
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