Entretien avec Philippe Bas
Président de l’observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle
On entend dire que seuls 15 % des lieux publics seraient accessibles, ce chiffre vous semble-t-il réaliste?
Cette donnée n’émane pas de notre organisme et je pense qu’il convient d’être très prudent dans le maniement des chiffres. L’observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle ne dispose pas de chiffres pour la simple raison qu’il n’existe, pour le moment, aucun système d’information national permettant de recueillir et additionner des données sur l’accessibilité. La loi de 2005 a donné un très fort élan à la mise en accessibilité non seulement des établissements recevant du public mais aussi des nouveaux logements et des transports. Nous publions sur notre site internet des expériences innovantes dont on puisse s’inspirer et qui puissent faire des émules. Nous sommes pour cela en relation avec tous les opérateurs des établissements recevant du public pour avoir une idée aussi exacte que possible des progrès en cours.
La mise en accessibilité des espaces publics a pris du retard et ne sera probablement pas achevée en 2015, est-ce que malgré tout des avancées significatives ont pu être réalisées depuis sept ans?
Il est certain que par rapport à 2005, dans tous les domaines y compris les musées, les aérogares, les gares, les mairies, etc., nous constatons de très gros progrès.
Pratiquement toutes les collectivités locales ont désormais leurs schémas de mise en accessibilité des locaux ouverts au public. La quasi-totalité des autorités organisatrices de transport les ont également mis en place. Toutefois, le degré de précision de ces schémas est inégal et nous souhaitons qu’un décret soit pris pour prévoir que des engagements chiffrés et datés figurent dans l’ensemble de ces schémas. Nous ne considérons pas que le processus soit insuffisant. Simplement, nous savons que l’échéance de 2015 sera difficile à respecter si aucun effort supplémentaire n’est réalisé.
Le sens de la loi du 11 février 2005 consistait à laisser aux propriétaires un délai de dix ans pour se mettre aux normes; ainsi les travaux d’accessibilité pourraient être réalisés à l’occasion de travaux plus importants sur le cadre bâti, ce qui éviterait que les coûts soient excessifs. C’est la raison pour laquelle le processus s’étale dans le temps. Mais dix années ne suffiront pas à aller au bout de la démarche. Il faut maintenant être plus exigeant.
La baisse des ressources financières des collectivités locales constitue-telle un frein à la mise en accessibilité des lieux publics?
Il est vrai que dans la crise actuelle, certaines collectivités ou entreprises ont du mal à assumer dans un délai très bref d’avoir tout fait. Ce qui nous importe c’est qu’elles se mettent en mouvement, pour celles qui ne le seraient pas encore et accélèrent le mouvement pour celles qui sont déjà en mouvement. D’ailleurs, on peut très bien concevoir que tout s’inscrive dans un calendrier à condition que ce calendrier soit discuté; d’autre part il est important que l’on regarde bien toutes les alternatives possibles pour essayer d’aider les opérateurs à choisir les formules les meilleures mais aussi à des coûts abordables.
Parfois, les normes qui ont été posées et leur interprétation par les organismes auxquels recourent les ERP pour définir leurs priorités sont à la fois très exigeantes et interprétées de manière encore plus exigeante. Ce qui rend la mise en accessibilité encore plus complexe.
Le deuxième rapport de l’observatoire, publié en octobre 2012, a dégagé des axes prioritaires pour avancer. Pouvez-vous les commenter?
La priorité numéro un consiste à mettre en place un système de recueil et de traitement des données sur l’accessibilité en France afin de permettre un suivi efficace des politiques menées et de faire connaître les bonnes pratiques.
Le rapport recommande également la mise à disposition des services de l’équipement (directions départementales des territoires et de la mer) pour les petites collectivités. Il s’agit de les aider dans leurs démarches de mise en accessibilité et éviter qu’elles ne tombent dans les mains d’officines dont l’intérêt est de leur prescrire des travaux les plus importants possibles.
Il faudrait en outre que la compétence en matière de conduite de travaux d’accessibilité soit transférée aux grandes communautés de communes car cette exigence peut paraître difficile à assumer financièrement et techniquement pour les petites communes rurales.
Le droit au transport constitue un point d’application essentiel. Il faut que les schémas pour l’accessibilité, obligatoires pour les autorités organisatrices de transports, soient plus précisément définis par un texte de décret qui impose que ces schémas comportent des priorités, un calendrier avec des dates mais aussi des financements qui seront engagés. En aucun cas il ne faut que ces schémas soient évanescents.
L’Observatoire souhaite enfin qu’une réflexion soit mise en place pour veiller à ce que tous les sites internet publics mais aussi ceux des établissements commerciaux soient rendus parfaitement accessibles aux personnes handicapées. C’est vital pour tout le monde et bien plus encore lorsque l’on est atteint de handicap.
Ne perdons pas de vue que les personnes pour lesquelles l’accès est difficile, ne sont pas uniquement les personnes handicapées mais également les parents avec des enfants en bas âge, ou des personnes âgés qui ont du mal à se déplacer. Il y a donc un véritable retour sur investissement de l’accessibilité.
Les notions de conception universelle et de design pour tous sontelles aujourd’hui entrées dans les moeurs françaises?
C’est un concept qui a été énoncé rétrospectivement en observant le formidable développement d’innovations qui ont d’abord été mises au point pour des personnes handicapées mais qui, ensuite, ont été utilisées par tous. Ce qui permet d’ailleurs de rentabiliser l’investissement de départ dans des conditions qui n’étaient pas prévues à l’origine. C’est le cas d’un objet qui nous est indispensable aujourd’hui, la télécommande du téléviseur. Tous les travaux que l’on fait aujourd’hui avec des systèmes de domotique sont inspirés de la même approche. D’ailleurs, on met au point de plus en plus d’objets qui répondent à ce cahier des charges et dont l’emploi se généralise.
A partir d’une réflexion industrielle sur un segment étroit, il est possible de concevoir des dispositifs qui prennent une très forte expansion. L’inverse est aussi vrai. Des dispositifs conçus pour la communauté de tous les usagers peuvent se révéler particulièrement précieux pour des personnes handicapées. L’e-commerce en est un exemple. Inventé pour tous, il est précieux pour les personnes handicapées à condition, bien entendu, que les sites soient accessibles. Propos recueillis par Blandine Klaas
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