Propos ambigus, chute d’un enfant dans une cour d’école, coquilles dans l’enregistrement d’un acte, mise en oeuvre d’actions jugées tardives… Chaque jour, les élus des collectivités territoriales prennent nombre de décisions et produisent des actes administratifs qui les exposent à des poursuites. Or, nombre de ces décisions exigent des connaissances techniques particulières et génèrent ainsi des risques inhérents.
L’actualité avec plusieurs procès démontre que les risques juridiques sont élevés. Ces dernières années, les élus ont vu se multiplier des procédures à leur encontre et engager leur responsabilité civile voire pénale.
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » indique le Code civil dans son article 1382. Ainsi, les élus peuvent voir entraîner leur responsabilité dans l’exercice de leur fonction. Dans certaines circonstances, un maire ou un élu peut voir son patrimoine personnel engagé pour réparer les dégâts en cas de manquement à ses obligations.
Comme tout un chacun, les élus sont soumis à la responsabilité de droit commun. « L’élu est soumis à la responsabilité civile de droit commun pour les fautes qu’il commet en dehors de ses fonctions ou dans le cadre de ses fonctions, mais sans rapport avec celles-ci. Selon le droit commun de la responsabilité des fonctionnaires, l’élu est personnellement responsable lorsqu’il commet une faute détachable du service : en l’espèce, l’élu est assimilé à un agent public » résume un rapport d’information du Sénat publié en novembre 2007.
Identifier les motivations
L’élu a donc sa responsabilité personnelle mise en cause s’il commet une faute personnelle, imputable à la personne et non à la fonction. Ainsi, la faute doit être détachable de la fonction. Dans ce cas, il convient de démontrer que l’élu a agi comme une personne en dehors de ses fonctions. « Les fautes ne sont pas toujours aisées à différencier dans la mesure où même une faute personnelle a pu intervenir pendant le “service” » explique Maître Nicolas Josselin, avocat au barreau de Quimper et Rennes également chargé d’enseignement en droit public. « Il y aura une faute personnelle lorsqu’elle est d’une particulière gravité ou lorsque l’objectif recherché par l’élu ne résulte que d’un pur intérêt particulier au dépit de la législation ». Il s’agirait par exemple, d’un élu qui détournerait ou retiendrait une information ou un courrier pour servir son intérêt personnel à la suite d’une collusion avec un tiers. En période pré-électorale, un maire mènerait une communication d’ampleur et intense en vue de la promotion de ses réalisations ou de son activité professionnelle.
Il peut également s’agir d’un élu qui aurait proféré des insultes envers un opposant. Ou encore un maire qui fournirait des consignes pour ne pas recruter des agents avec une distinction sociale, religieuse ou raciale. Cela peut être également le cas, d’un élu qui réalise des travaux dans sa commune en vue d’obtenir des avantages de l’entreprise qui les réalise.
Le cadre d’une faute de service
Cependant, la responsabilité personnelle du maire ou d’un élu ne peut être engagée pour une faute de service commise dans l’exercice de ses fonctions. Dans ce cadre, c’est la commune qui peut être mise en cause et généralement c’est le tribunal administratif qui est saisi et non les tribunaux judiciaires.
Les lois nº 96-393 du 13 mai 1996 et nº 2000-647 du 10 juillet 2000 permettent aux élus locaux de bénéficier de la protection de la collectivité. « La commune est tenue d’accorder sa protection au maire, à l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ses élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ». « Lorsque le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation agit en qualité d’agent de l’État, il bénéficie, de la part de l’État, de la protection prévue par l’article 11 de la loi nº 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires », indique le Code général des collectivités territoriales. L’obligation est similaire pour le département (L.3123-29 CGCT) et la région (L.4135-29 CGCT). Les conjoints, les enfants et les descendants directs des élus bénéficient de la même protection. En cas de refus, la collectivité doit motiver sa décision, indiquer les voies et délais de recours.
L’élu conserve le libre choix de son avocat. La structure publique peut lui apporter une assistance juridique. La protection couvre également le remboursement par la collectivité à l’élu de tous les frais engagés par lui pour sa défense (frais d’avocat, frais de déplacements occasionnés par la procédure, condamnation pécuniaire de l’élu). La carence ou l’insuffisance de la collectivité dans la protection qu’elle doit assurer à son élu est sanctionnée puisque son abstention ou sa défaillance est susceptible de constituer une faute de nature à engager sa responsabilité.
Collectivité et élus peuvent être poursuivis
Dans le cadre d’une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service, la collectivité et la responsabilité personnelle des responsables peuvent être recherchées. Il revient au juge d’établir la part de la faute personnelle et la faute de service. Si la structure publique est condamnée dans un premier temps par une action en responsabilité, ce qui arrive le plus souvent, elle pourra ensuite se retourner contre l’élu et engager sa responsabilité. Il s’agit par exemple d’un élu qui ne voudrait pas réintégrer un agent suite à l’annulation du licenciement. Ou encore, d’un maire qui délivre une fausse attestation administrative certifiant que la commune a une dette envers une entreprise afin que celle-ci puisse bénéficier auprès de sa banque d’un prêt. La banque a demandé à la commune d’indemniser les conséquences de la faute commise par le maire en attestant des dettes qui ne correspondaient à aucun service effectué. La collectivité peut se retourner contre le maire, parce que celui-ci visait un enrichissement personnel. Il est également à noter qu’un élu peut prétendre au remboursement des sommes qu’il aurait dû verser au titre d’une condamnation dont la collectivité aurait une responsabilité.
Les magistrats s’appuient sur trois critères pour établir les grandes catégories de fautes :
• Le cadre circonstanciel de temps et de lieu : dans quel cadre intervient l’élu dans sa fonction ou dans un cadre personnel ? L’élu a-t-il un intérêt privé ? L’événement se déroule-t-il dans la structure publique ou chez l’élu ?
• Les mobiles qui animent l’élu sont déterminants. L’intention malveillante, l’animosité personnelle, l’intérêt personnel amènent à définir la responsabilité personnelle.
• Enfin, les moyens utilisés et leur lien avec le service sont analysés.
Les compétences sont également examinées : une faute professionnelle grave, lourde, inexcusable, que quiconque aurait su éviter, engage à elle seule la responsabilité personnelle.
D’une manière générale, un principe est à retenir : celui d’agir contre les risques. En effet, les tribunaux soulignent trois types de négligences imputables aux élus : l’absence d’utilisation de compétences, notamment de son pouvoir de police, l’absence de saisine du conseil municipal ou l’absence de décision rapide lorsque des mesures d’urgence s’imposent. Il est dans l’intérêt du maire de prendre des mesures en matière de sécurité afin d’éviter d’éventuelles plaintes suite à un accident. À titre d’exemple, un élu a été condamné en 2011 pour « défaut d’entretien » alors qu’un enfant de 10 ans qui se trouvait dans la cour de récréation tentait de cueillir des roses, qu’il destinait à son institutrice. Celui-ci s’est blessé sur les pointes dépourvues d’éléments de protection sur le grillage d’une hauteur d’un mètre cinquante séparant l’espace vert de la cour de récréation.
Face à ces risques comment agir ?
Il est fortement conseillé de souscrire à une police d’assurance personnelle des élus qui doit impérativement être réglée sur ses deniers personnels, sous peine de nullité. En outre, une circulaire interministérielle en date du 25 novembre 1971 stipule que « la commune ne peut prendre à sa charge, même sans augmentation de prime, l’assurance de la responsabilité personnelle des maires ». Maïf, Groupama, GMF, SMACL, La Banque Postale, Crédit Agricole… proposent des assurances dédiées. Elles offrent des services d’information et des permanences assurées par une équipe de spécialistes, (juristes, avocats…) par téléphone pour informer les élus sur des sujets variés : statut de l’élu, pouvoirs de police, urbanisme, marchés publics…
Elles garantissent également une prise en charge financière des condamnations au titre de la responsabilité civile. Elles ne couvrent pas les condamnations pénales. Les polices fournissent une couverture pour couvrir les frais de défense de l’élu devant toutes les juridictions (frais de procédure, honoraires d’avocats…). Certaines comme la Maïf ou la Banque Postale, proposent aux élus une prise en charge des frais médicaux, des versements d’indemnités en cas d’incapacité permanente ou décès mais aussi des prises en charge en cas de préjudice esthétique pour les élus victimes d’accidents corporels dans l’exercice de leurs fonctions. La Banque Postale propose de couvrir une partie des frais pour mener des opérations visant à éviter des pollutions et dommages environnementaux.
La prise en charge de frais de procédure pour obtenir des réparations est également prévue dans la majorité des compagnies. La compensation des pertes de revenu suite à un événement accidentel lié à la vie de la collectivité (inondation, tempête ou incendie majeur…) obligeant l’élu à suspendre son activité professionnelle, peut être également mise en place. Les assureurs proposent également un soutien psychologique avec des spécialistes. Axa, GMF, La Banque Postale ou Intériale Mutuelle (couvert par GMF) proposent de reconstituer l’image et la notoriété de l’élu. Elles remboursent les coûts de mise en place d’un plan d’actions de communication ou le nettoyage d’information nuisibles par un prestataire spécialisé. Certaines proposent une assistance « voyage » qui permet d’être aidé en situation d’urgence lorsque l’élu est en déplacement dans le monde entier.
« Comme pour limiter n’importe quel risque de responsabilité, il convient pour l’élu d’agir en “bon père de famille” dans le souci de l’intérêt général. Cela peut être facilité par les formations proposées par différents organismes sur tous les domaines d’intervention des élus » indique Maître Josselin. Les associations représentatives d’élus, l’ENA, le CNFPT ou encore des cabinets privés… organisent des formations dédiées et peuvent également fournir des conseils. Enfin, le Service central de prévention de la corruption du ministère de la Justice, bien qu’orienté vers la prévention des délits, dispose d’un service chargé d’assister ou de conseiller, à leur demande, diverses autorités politiques, administratives ou judiciaires.
Les élus doivent également mener une surveillance de leurs infrastructures, matériels et services pour identifier et prévenir les risques et dysfonctionnements. Il convient également de formaliser les informations liées à une prise de décision afin de laisser des éléments qui permettront de comprendre l’état d’esprit en cas de recours devant un tribunal.
Les responsabilités tuent-elles la responsabilité ?
Aussi utiles que soient ces démarches, l’engagement de la responsabilité civile des élus peut constituer un frein à l’exercice de la démocratie.
Les élus qui s’engagent bénévolement au service de la gestion publique peuvent être découragés à l’engagement politique face à une judiciarisation de la vie politique. Les dégâts humains et de réputation, provoqués par des médiatisations d’affaires parfois infondées, conduisent à ralentir le bon fonctionnement démocratique. Le résultat est souvent dévastateur tant sur les hommes et les femmes, leur famille, la classe politique et l’opinion. Une enquête d’Ipsos Steria réalisée entre le 8 et 14 janvier 2014 montrait que 65 % des personnes interrogées jugent que « la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus » et 84 % (+ 2) qu’ils « agissent principalement pour leurs intérêts personnels ». Enfin, le mécanisme provoqué par l’excès de judiciarisation ne risque-t-il pas au final de provoquer une déresponsabilisation ?
Patrice Remeur
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