La loi n° 2010‐559 du 28 mai 2010 (codifiée à l’article L 1531‐1 du Code général des collectivités territoriales) créant les sociétés publiques locales (SPL) a indéniablement rencontré un réel succès.
Près de trois ans après, il peut être recensé plus d’une centaine de SPL créées (ou en cours de constitution), soit de façon exnihilo, soit par extension de l’objet social de sociétés publiques locales d’aménagement (SPLA), soit par transformation du capital de sociétés d’économie mixte locales (SEML) existantes visant à réserver l’actionnariat uniquement à des collectivités territoriales ou à leurs groupements.
La plupart des secteurs publics sont concernés : aménagement, développement économique des territoires, tourisme et culture, services publics industriels et commerciaux fondamentaux (eau, assainissement, déchets, etc.).
Cette nouvelle forme d’entreprises publiques locales, à capitaux détenus exclusivement par des collectivités territoriales ou leurs groupements, constitue donc désormais un outil privilégié de coopération intercommunale sans transfert de compétence, de mise en oeuvre de politiques publiques ou de gestion de services publics locaux.
La raison principale de cet essor est sans aucun doute la dispense de toute obligation de publicité et de mise en concurrence dite du « in house » dont les SPL bénéficient dans les relations contractuelles et financières avec leurs actionnaires, bénéfice qui, du fait de la participation d’actionnaires privés, ne peut être étendu aux SEML (CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, aff. C‐26/03).
Peut-on pour autant considérer que la SPL, en l’état de la réglementation nationale, est un outil suffisamment sécurisé juridiquement et adapté à l’ensemble des projets pouvant entrer dans leur objet social, à savoir la réalisation d’opérations d’aménagement, de construction ou l’exploitation de services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d’intérêt général?
L’expertise des SPL déjà créées conduit à conclure que deux points de fragilité méritent d’être corrigés par le législateur :
‐ l’organisation du contrôle analogue lorsque la SPL regroupe un nombre important d’actionnaires,
‐ l’obligation pour la SPL de consacrer son activité exclusivement pour le compte de ses actionnaires et sur le territoire de ceuxci.
1. La difficile organisation du contrôle analogue en cas de pluralité élevée d’actionnaires
De façon générale, la reconnaissance de la dispense concurrentielle propre au « in house » est subordonnée à ce que l’entité attributaire fasse l’objet d’un contrôle analogue à celui que la collectivité exerce sur ses propres services et que cette entité réalise l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent (CJCE, 10 novembre 1999, Teckal, aff. C‐107/98).
Dans son arrêt du 29 novembre 2012, faisant suite à plusieurs décisions dont la cohérence est loin d’être évidente, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue éclairer la notion du contrôle analogue (CJUE, 29 novembre 2012 Econolrd Spa, aff. C‐182/11 et C‐183/11). Sa position peut ainsi être résumée:
‐ le contrôle est présumé exister lorsque l’entité est entièrement et exclusivement détenue par des personnes publiques, mais il s’agit là d’une condition non suffisante,
‐ chaque actionnaire, quel que soit son niveau de participation, doit être en mesure d’exercer, de façon effective, une influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de l’entité,
‐ ce contrôle n’a pas à être exercé individuellement mais peut l’être conjointement par l’ensemble des personnes publiques actionnaires,
‐ il en résulte qu’un actionnaire (très) minoritaire sera reconnu exercer un tel contrôle s’il participe au(x) organe(s) communs assurant la direction de l’entité.
Il s’ensuit que la condition du contrôle analogue sera réputée satisfaite lorsque l’ensemble des actionnaires bénéficie d’une représentation directe au sein de l’organe de direction de la SPL, c’est‐à‐dire le conseil d’administration, l’assemblée générale regroupant l’ensemble des actionnaires n’ayant pas à elle‐même un tel pouvoir de direction.
C’est d’ailleurs principalement en raison de l’absence de représentation directe que la Cour administrative d’appel de Lyon a récemment refusé de reconnaître le bénéfice du « in house » à une collectivité actionnaire d’une SPLA ne siégeant pas au conseil d’administration (CAA Lyon, 7 novembre 2012, Association pour la défense du cadre de vie Masarnnay‐la‐Côte, req. n° 12LY00811).
Or, en l’état de la réglementation, soumettant les SPL au régime des sociétés anonymes (SA), une telle représentation directe s’avère impossible lorsque le plafond de 18 administrateurs prévu à l’article L 225‐17 du Code de commerce est atteint et/ou la règle de répartition proportionnelle au capital des postes d’administrateurs ne permet pas, compte tenu de la faible participation de l’actionnaire, de lui accorder un siège d’administrateur.
Dans de telles hypothèses, la représentation des « petits » actionnaires ne présente qu’un caractère indirect via le ou les représentants communs issus de l’assemblée spéciale prévue à l’article L 1524‐5 du Code général des collectivités territoriales.
Pour remédier à cette difficulté, plusieurs mécanismes sont généralement envisagés :
‐ formalisation d’un pacte d’actionnaires renforçant les pouvoirs des petits actionnaires,
‐ constitution de commission consultative statuant préalablement sur les points inscrits à l’ordre du jour de chaque conseil d’administration,
‐ règlement intérieur de l’assemblée spéciale définissant le rôle des représentants communs au sein du conseil d’administration, etc.
Mais, il est loin d’être acquis que de tels mécanismes permettent la caractérisation d’un contrôle analogue, étant observé, que sauf à porter atteinte aux attributions légales du conseil d’administration, celui‐ci doit rester souverain.
Compte tenu du risque attaché à l’impossibilité de formaliser un tel contrôle (perte du bénéfice du mécanisme du « in house » et donc violation des règles de la commande publique), l’intervention du législateur visant à adapter le statut des SPL serait assurément bénéfique.
Il s’agirait, non pas de revoir en profondeur le statut des SPL, mais simplement :
‐ soit, par dérogation au droit commun des SA, de ne pas plafonner le nombre d’administrateurs à 18 pour permettre ainsi une représentation directe de l’ensemble des actionnaires,
‐ soit d’autoriser les SPL, mais également les SEML et les SPLA, à se constituer sous la forme d’une société par actions simplifiées (SAS) ouvrant la possibilité, par l’usage de la liberté contractuelle qui caractérise ce type de société, d’organiser une gouvernance conférant à chaque actionnaire, au sein d’un organe de direction, le pouvoir d’influencer les décisions importantes et les orientations stratégiques de la société.
2. Le nécessaire assouplissement de la double exclusivité
Selon l’article L 1531‐1 du Code général des collectivités territoriales, les SPL « exercent leurs activités exclusivement pour le compte de leurs actionnaires et sur le territoire des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales qui en sont membres ».
Cette rédaction, dépourvue de toute ambiguïté, oblige ainsi les SPL à n’avoir des relations contractuelles qu’avec ses actionnaires (sauf lorsqu’elle agit en qualité de délégataire de service public et entretient ainsi des relations avec les usagers pour le compte des actionnaires) et à ne délivrer des prestations que sur le territoire de ceux-ci.
Pourtant, de telles contraintes ne paraissent en rien justifiées par le droit communautaire puisque le mécanisme du « in house » est préservé dès lors que l’entité réalise l’essentiel (et non la totalité) de son activité avec les collectivités qui la détiennent, prises dans leur ensemble.
A ce titre, la Cour de justice des Communautés européennes a admis l’application du « in house » à une société publique qui réalisait, en moyenne 90 % de son activité avec des personnes publiques détenant son capital (CJCE, 19 avril 2007, Asemfo, C‐ 295/05).
Le projet de directive sur la passation des marchés publics propose également de considérer que les collectivités seront réputées exercer un contrôle analogue si « au moins 90 % des activités de la personne morale sont exercées pour le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou pour d’autres personnes morales qu’il contrôle ».
A lire les travaux préparatoires à la loi n° 2010‐559 du 28 mai 2010, la double exclusivité exprime la volonté du législateur de sécuriser au mieux le statut de SPL au regard du droit européen en prohibant leur intervention sur le secteur concurrentiel par le développement d’activités complémentaires. Cette position plus stricte que la jurisprudence communautaire n’est pas sans poser d’importantes contraintes opérationnelles.
Ainsi, une SPL chargée de la promotion touristique ou économique de ses actionnaires se trouve confrontée à l’impossibilité pour elle de participer dans d’autres régions ou à l’étranger à des salons ou congrès favorisant cette promotion.
De même, une SPL ayant pour mission d’exploiter une unité de traitement de déchets ménagers bénéficiant d’un excédent de capacité ne pourra, y compris de façon très marginale, accueillir des déchets provenant d’entreprises privées ou de collectivités publiques non‐actionnaires. Une telle situation est d’autant plus paradoxale que le même équipement exploité en régie n’est pas soumis à une telle contrainte.
Pour échapper à de telles limites, certaines collectivités ont créé, parallèlement, à leur SPL, une structure « soeur », généralement une SEML, assurant les activités de même nature que celles de la SPL mais pour le compte de clients non‐actionnaires.
Ce constat incite probablement à recaler le champ d’intervention des SPL avec celui autorisé par la jurisprudence communautaire, à savoir l’obligation d’exercer non pas exclusivement mais essentiellement les activités pour le compte de ses actionnaires.
L’activité d’une SPL n’étant pas forcément rattachée au territoire de ses actionnaires (exemple des SPL de promotion touristique et économique), l’exclusivité territoriale mérite, elle aussi, d’être abandonnée.
Au final, la concrétisation, par voie législative, de ces propositions simples aurait pour mérite à la fois de consolider la question délicate du contrôle analogue et de lever les contraintes opérationnelles tout en respectant les exigences communautaires.
Cette « petite » mais indispensable réforme pourrait utilement être rattachée au projet de loi de décentralisation et de réforme de l’action publique.
par Frédéric Marchand,
Avocat Associé au Cabinet Cornet Vincent Ségurel
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