TENDANCE. « Pour construire la ville de demain, il faut concentrer ses efforts sur les coeurs de villes, mais aussi les périphéries, pour construire des unités modernes », explique Alain Sarfati, architecte urbaniste qui a notamment enseigné à l’École d’architecture de Nancy, qu’il a cofondée.
RCL : La désunion entre le centre et la périphérie des villes est consommée. Mais, aujourd’hui, les politiques affichent une volonté de réanimer l’âme des cités avec, notamment, le plan « Action coeur de ville ». Est-ce une stratégie pertinente ?
Alain Sarfati : Après s’être polarisé sur l’attractivité des métropoles, l’État se penche sur les villes moyennes avec notamment le plan « Action coeur de ville ». À juste titre, car les Français ont quitté les centres-ville, laissant habitations et commerces vacants, faisant éclater la ville traditionnelle. Tout l’enjeu pour les élus est aujourd’hui de redonner suffisamment de vie à leur coeur de ville pour faire revenir leurs administrés. Mais est-ce que la construction de jolies fontaines et de rues piétonnes, est-ce que la réhabilitation de logements, sachant que la maison individuelle reste un rêve cher au coeur des Français, suffiront à balayer d’un revers de la main les politiques d’urbanisme de ces dernières décennies concentrées dans les périphéries ? Je n’en suis pas sûr, toutes ces actions ne redonneront pas forcément vie au centre. Et plus encore, l’erreur serait de concentrer tous les efforts sur les centres, en délaissant à leur tour les périphéries, ce qui risquerait d’aggraver les disparités. Il est urgent, aujourd’hui, de reconstruire une unité, en cessant d’opposer centre et périphérie, car ils sont indissociables.
Vous dites qu’il faut réconcilier le centre et la périphérie, et redonner de la vie dans tous les espaces publics. Comment ?
A. S. : Il faudra impulser dans l’ensemble des espaces urbains une qualité de vie, mais également de la cohésion sociale. Même les périphéries doivent être capables d’attirer en devenant séduisantes, grâce à leurs cours, parcs, parcours de santé et pistes cyclables. Le rôle des architectes est d’embellir en s’appuyant sur l’usage, la forme du site sans négliger la culture locale. Et le sens réel de l’urbanisme, aujourd’hui, est de créer une structure d’ensemble, de proposer une vision et de mettre en place une relation forte entre le centre de la ville et sa périphérie, pour qu’une véritable agglomération puisse se constituer. C’est cette complémentarité entre centre et périphérie qui fera de la ville, une ville moderne. C’est ainsi que l’on reconstruira une unité et une identité. On comprend alors le rôle majeur des transports qu’il faut d’ores et déjà reconsidérer.
Petits commerces dans les centres, hypers dans les périphéries : dans votre vision de la ville moderne, comment le commerce peut-il évoluer ?
A. S. : Il est clair que la logique du petit commerce en centre-ville et des hypers en périphérie est obsolète. En considérant que chaque ville est un cas particulier, il faut inventer un nouveau concept sur chacun des sites en tenant compte des complémentarités et du lien avec l’espace public. C’est à un changement radical de culture qu’il faut s’attendre. Le centre urbain va s’élargir avec les commerces ambulants, et les livraisons à domicile et de nouveaux concepts de centres commerciaux vont devoir émerger, car les populations veulent de nouvelles expérimentations.
À propos des centres commerciaux, comment ont-ils vidé la ville ?
A. S. : La grande distribution a joué un rôle majeur dans l’éclatement de la ville ; elle a donc un rôle primordial à jouer dans sa réhabilitation. Passer de l’achat alimentaire au textile, des cosmétiques au petit café, voir passer les gens et créer du lien, voilà ce à quoi rêvent les populations. Il est fondamental de ne plus penser « centre-ville à réanimer » en oubliant de penser son intégration dans une agglomération plus large, au risque de recréer pour l’avenir les mêmes fractures territoriales et sociales que celles dont les grandes villes souffrent actuellement. Ne redynamisons pas les centres-ville pour entraîner un accroissement de la valeur attirant les mieux nantis et laissant pour compte les populations moins aisées. Réinventons la ville moyenne, force vive de la France. Il y a 5 Md en jeu !
Vous avez réhabilité la place de la République, à Lyon (69). Décrivez-nous votre projet…
A. S. : « Révéler » une place, en plein coeur de la ville, c’est répondre à des attentes contradictoires : minérales/ végétales ou faire de l’axe majeur de la presqu’île une rue piétonne. C’est aussi être attentif aux transformations provoquées par l’irruption de la vitesse dans l’espace de la ville. Tout a été fait pour répondre aux contraintes techniques et économiques, mais aussi en ce qui concerne l’entretien de cet espace formidablement attractif, où les activités sont multiples. Au centre d’immeubles datant du Second Empire, et dont les façades sont à la fois diverses et homogènes, la décision a été prise de rester dans la simplicité et la sobriété. Le bassin, avec ses fontaines, constitue désormais la partie principale de l’espace public. Un tapis minéral se déroule d’une place à l’autre et rien ne fait obstacle, rien n’encombre…
Propos recueillis par Danièle Licata
Inscrivez-vous dès maintenant sur le groupe Facebook Paroles de Maires pour obtenir des informations quotidiennes sur l'actualité de vos missions.