Gérer les eaux de pluie au plus près de l’endroit où elles tombent devient un enjeu du développement urbain. Il est urgent d’agir et intégrer de nouvelles pratiques de gestion lors de la conception et de la réalisation des projets.
Les réseaux d’assainissement sont créés. Les stations d’épuration respectant les normes les plus strictes en matière de qualité des rejets sont opérationnelles. Un tout nouveau défi se pose à présent aux collectivités locales : gérer, lors d’épisodes pluvieux, le ruissellement des eaux et les risques de débordement des réseaux vers les rivières. Une action indispensable pour maîtriser les pollutions et atteindre les objectifs de bon état des eaux.
Deux types de solutions existent pour gérer ces débordements, explique Vincent Valin, directeur des interventions pour l’agence de l’eau Artois-Picardie : « La méthode historique dite “curative” est la plus efficace rapidement : des bassins de stockage ou d’orage sont créés à l’endroit du déversement pour stocker l’eau. Une fois l’épisode pluvieux terminé, ce volume d’eau est dirigé vers le réseau d’assainissement puis acheminé vers la station d’épuration pour y être traité. Mais la mise en place de ces bassins est coûteuse en investissement et en fonctionnement ». Depuis une dizaine d’années, commencent à se mettre en place des méthodes préventives à travers des techniques alternatives d’infiltration des eaux de pluie au plus près de l’endroit où elles tombent. « On peut ainsi infiltrer l’eau des toitures d’habitation, des parkings en les végétalisant, des chaussées en les rendant filtrantes ou en infiltrant l’eau dans des terre-pleins centraux de route végétalisés », ajoute-t-il.
À Douai, dans le Nord, tout projet de réhabilitation de voirie fait l’objet de la mise en œuvre obligatoire de techniques alternatives avec zéro rejet ou très peu dans le réseau d’assainissement. Plus aucune voirie n’est réalisée selon les techniques traditionnelles. « Elles sont constituées de revêtements poreux, sans bouche d’égout, mais sans borduration pour permettre aux eaux pluviales de s’épandre sur les côtés et de s’infiltrer dans les terre-pleins centraux végétalisés. Des espaces vides sous les chaussées sont également prévus pour stocker l’eau », poursuit Vincent Valin.
L’élément déclencheur pour l’agglomération du Douaisis fut la répétition de cinq inondations en cinq ans dans le même quartier. La récurrence de ces catastrophes, ainsi que l’absence d’impact véritable des investissements effectués dans les systèmes d’assainissement traditionnels, ont poussé la collectivité à mettre en place une politique novatrice de gestion alternative des eaux pluviales. L’ensemble des solutions disponibles sont présentées dans le showroom de l’Association pour le Développement opérationnel et la Promotion des Techniques alternatives (Adopta), à Douai. L’association est née afin d’accompagner les différents acteurs de la chaîne de construction du Douaisis (maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, entreprises du BTP…) dans ce changement, à une époque où les techniques alternatives n’étaient même pas envisagées.
Si l’agglomération a su prendre de l’avance, la situation est plutôt disparate sur le reste du territoire. « La gestion des eaux pluviales a toujours été problématique au sein des collectivités, elle n’a jamais fait l’objet d’une compétence affectée », explique Laure Semblat, chargée de mission eaux pluviales à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). « Aujourd’hui, la démarche n’est plus du tout éludée », estime-t-elle, en raison de la jurisprudence qui va dans le sens de son rattachement à la problématique de l’assainissement, avec l’adoption depuis 2014 de la compétence Gemapi. Les collectivités donc, et notamment les EPCI à fiscalité propre, se posent en tant que gestionnaires des eaux pluviales et en prennent de façon progressive la gestion.
Une approche pluridisciplinaire… et transversale
Comment traiter à l’échelle d’un territoire cette problématique au sens très large ? « C’est au regard de la configuration des lieux, des problématiques auxquelles ils sont confrontés que l’organisation et la répartition du traitement des eaux pluviales, ruissellement et inondations, doivent s’organiser », prévient Laure Semblat. « Il n’existe surtout pas de schéma type. Au regard de la configuration des bassins versants, de l’urbanisation et de la topographie, c’est à chacun de trouver la meilleure organisation possible pour gérer au mieux cette problématique d’eau ». Une démarche dont la FNCCR fait la promotion auprès des élus qui, selon elles, « doivent eux-mêmes identifier l’organisation adaptée à leurs problèmes ». Ce sont eux qui en ont la connaissance et sont à même d’identifier les meilleures solutions possible. L’idée étant de provoquer une prise de conscience locale de tous les enjeux de l’eau. En effet, « c’est globalement qu’il faut trouver des solutions, insiste Laure Semblat. Il y a des liens entre les phénomènes et les conséquences qui s’ensuivent, notamment les inondations, et qui ne peuvent être éludés en ne traitant qu’une partie du problème ».
Les experts de l’agence de l’eau Artois- Picardie vont encore plus loin et prônent une approche pluridisciplinaire. « Face aux volumes d’eau à gérer et aux objectifs à atteindre, il faut mettre tout le monde autour de la table. Des bâtisseurs et des maîtres d’œuvre d’assainissement et de voirie, mais aussi des paysagistes, des écologues, etc. qui vont apporter leur savoir-faire. Dès lors que cette démarche pluridisciplinaire est déployée en amont du projet, les méthodes alternatives ne seront pas plus chères à mettre en œuvre que les techniques traditionnelles et elles permettent, en plus, de lutter contre les îlots de chaleur et d’augmenter la part de nature en ville », expliquent-ils.
Le traitement des eaux pluviales n’en est pas moins une problématique transversale dont l’urbanisme est le point majeur. Pour Laure Semblat de la FNCCR, « quelle que soit l’échelle de travail, une action transversale est primordiale. Chaque document d’urbanisme (SCOT, PLU, etc.) doit être élaboré en ayant conscience des problématiques de l’eau ». D’autres transversalités émergent à une échelle plus locale, en particulier dans l’organisation de l’aménagement urbain. L’eau est un élément à valoriser dans le territoire au titre de la trame verte, au regard des espaces verts et de l’amélioration du bâti. Une approche esthétique qui n’élude en rien le caractère fonctionnel des eaux pluviales.
Techniques alternatives : l’exemple lyonnais
Des techniques alternatives existent pour concevoir la ville de demain : noues et toitures végétalisées, parkings enherbés, espaces verts en creux, chaussées et parkings en revêtements poreux. Toutes les nouvelles opérations d’aménagement, y compris les rénovations urbaines, les requalifications de voiries ou le réaménagement de sites et de zones d’activités économiques sont l’opportunité d’une valorisation de la pluie au plus près de l’endroit où elle tombe afin de réduire les volumes d’eau de ruissellement collectés par temps de pluie. C’est à ce titre que le projet urbain Lyon Confluence s’est donné pour ambition, dès sa genèse, de répondre aux fortes exigences de la ville durable et porte une attention particulière à la gestion des eaux pluviales sur cette portion du territoire lyonnais. La Confluence développe un réseau d’assainissement d’environ 40 ha en réseau séparatif des eaux pluviales et des eaux usées. Celui-ci permet, grâce à un traitement distinct des eaux selon leur origine, de réduire le volume des eaux pluviales se dirigeant vers la station d’épuration de Pierre-Bénite. L’installation en septembre 2015 du système CycloneSep a marqué une première étape dans ce déploiement. Cet ouvrage de traitement des eaux pluviales, positionné en aval du réseau d’assainissement, traite l’ensemble des eaux pluviales collectées côté Rhône avant que celles-ci ne soient rejetées dans le fleuve. Doté d’une cuve en béton armé et d’une grille cylindrique en acier inoxydable, il permet de retenir les macros déchets, les matières en suspension et les hydrocarbures légers qui circulent dans les réseaux d’eaux pluviales. Par ailleurs, plusieurs actions conjointes ont déjà permis de désimperméabiliser une partie significative des sols de La Confluence. De nombreux espaces verts, bandes plantées, arbres, cœurs d’îlot végétalisés en pleine terre, ainsi que des jardins aquatiques et la Darse, ont été créés, facilitant l’infiltration des eaux de pluie. Les matériaux perméables, tels que les sols en stabilisé, les pavés poreux ou les dalles à joints perméables, sont privilégiés autant que possible dans la réalisation des voies de circulation, permettant ainsi d’absorber l’essentiel des pluies annuelles et d’éviter les risques d’inondation. De même, les espaces dédiés au stationnement comportent des structures engazonnées, complètement perméables. Parallèlement, l’installation de bassins de rétention permet de retenir les pluies d’orage.
« Au-delà de l’assainissement, c’est une vraie politique d’urbanisme que chaque collectivité doit impulser pour réussir à éviter les débordements, mais aussi les inondations de certains quartiers », rappelle Vincent Valin, directeur des interventions pour l’agence de l’eau Artois-Picardie
Les eaux pluviales, un nouvel atout pour les villes ?
Dans un modèle de gestion durable des eaux pluviales, l’eau de ruissellement n’est plus une nuisance, mais une ressource à valoriser, un outil pour gérer la chaleur en ville, protéger la biodiversité et contribuer au verdissement des espaces urbains. « Soit une nouvelle manière d’appréhender les eaux pluviales dans la ville », analyse Vincent Valin.
Les experts sont unanimes sur un point : il faut profiter de chaque nouvelle autorisation d’urbanisme pour réinstaurer des aménagements compatibles avec l’intégration de l’eau dans le territoire. Certaines collectivités travaillent sur la sensibilisation des citoyens, mais aussi des industriels ou propriétaires immobiliers dans des démarches d’amélioration et de déconnexion de leurs eaux pluviales des réseaux de la ville pour une rétention sur leur parcelle. C’est le sens et l’objectif de l’appel à projets lancé le 15 janvier 2017 par l’agence de l’eau Artois-Picardie en direction des sites privés exerçant une activité industrielle, tertiaire ou commerciale. Deux millions d’euros sont mobilisés pour soutenir des actions visant à réduire, voire supprimer, les eaux de ruissellement admises dans les réseaux d’assainissement unitaires, limiter les débit et volume d’eaux pluviales rejetés dans le milieu naturel et faire des économies d’eau. Un second appel à projets lancé en février dernier et doté de 8 millions d’euros concerne cette fois-ci les collectivités qui souhaitent lancer des projets de gestion alternative des eaux pluviales. « Nous espérons recevoir un grand nombre de projets ambitieux avec un maximum de surfaces déraccordées qui sont aujourd’hui imperméabilisées. Nous souhaitons accélérer cette politique et pour cela les collectivités doivent se mobiliser », affirme Hubert Verhaegue, chef de service expertise industrie et assainissement, à l’agence de l’eau Artois-Picardie.
« Les eaux pluviales doivent être considérées comme un élément intégrateur qui permet de rassembler les services d’une collectivité autour d’un projet commun. Il faut avoir conscience que nous méconnaissons encore toutes les sources de pollution des eaux pluviales du fait des surfaces sur lesquelles elles ruissellent et des matériaux constituant ces surfaces. Nous avons un intérêt majeur à préserver la qualité de l’eau dans sa globalité, donc à préserver aussi la qualité des eaux pluviales en limitant au mieux leur ruissellement », conclut Laure Semblat. Traiter durablement les eaux pluviales constitue un enjeu national d’atteinte du bon état des eaux.
Blandine Klaas
Jardins de pluie, une dimension écologique et paysagère de l’environnement
Comment encourager la gestion écologique des eaux pluviales en ville tout en améliorant notre cadre de vie ? Un projet d’aménagement peut-il offrir aux hommes des bienfaits, voire des services environnementaux ? De nouvelles pratiques d’aménagement se proposent de relever ces défis ! Cet ouvrage est né de la collaboration entre l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse et le Cerema dans le cadre du plan « Nature en ville » du ministère de l’Environnement de l’Énergie et de la Mer. Il présente un nouveau concept d’aménagement, les jardins de pluie, explore et analyse des réalisations imaginées par des urbanistes et des paysagistes précurseurs. Il ambitionne d’aider les différents acteurs à mieux comprendre les processus de fabrication, de réalisation et de gestion de pratiques innovantes dans la gestion de l’eau pluviale intégrée à toutes les échelles de l’aménagement.
Hauts-de-Seine : une politique volontariste pour la maîtrise des eaux pluviales à la parcelle
Lorsqu’en 2005 le département des Hauts-de-Seine a défi ni son schéma départemental d’assainissement (SDA) 2005-2020, il visait l’amélioration de la qualité des eaux de la Seine, mais également la réduction des inondations liées aux orages. Seize secteurs sensibles étaient alors identifiés. Depuis, le conseil départemental a construit des ouvrages de rétention et de régulation des eaux et optimisé le fonctionnement hydraulique du réseau. L’ensemble des travaux déjà réalisés a permis une réduction de 22 % des volumes débordés pour la pluie décennale de référence. Avec la construction du bassin de stockage des eaux pluviales à Issy-les-Moulineaux (mise en service prévue début 2018) et la construction future de celui d’Antony (début des travaux prévisionnel : 2018), cette réduction passera de 22 à 33 %. Fin 2015, le budget consacré à l’ensemble de ces réalisations s’élevait à 24 M€. Le département des Hauts-de-Seine a également engagé depuis 2002 une politique ambitieuse pour la gestion durable des eaux pluviales, réaffirmée dans le SDA de 2005. Les leviers de cette action sont de natures différentes et complémentaires : ainsi, sous l’impulsion du département, les communes ont progressivement adopté les mêmes limitations du ruissellement que le département dans leur règlement d’assainissement et/ou leur PLU. Les aides fi nancières départementales ont concerné 174 projets représentant une surface active de près de 34 ha et la création de 21 000 m³ de stockage des eaux pluviales, soit une dépense de 14 M€. Les contrôles systématiques de conformité concernent toutes les installations de régulation des eaux pluviales. Ces mesures ont permis de maîtriser une part non négligeable des surfaces raccordées au réseau. Ainsi, le département comptabilise, fin 2016, plus de 3 millions de m² de surfaces déconnectées ou régulées sur le territoire des Hauts-de-Seine.
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