« Face au dérèglement climatique, l’eau est plus que jamais un bien commun précieux »

Territoires
27 février 2023

Pour lutter contre la raréfaction de l’eau, Hervé Paul, vice-président de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies) en charge du cycle de l’eau et maire de Saint-Martin-du-Var, plaide pour plus de sobriété des usages, pour une meilleure sensibilisation aux enjeux de l’eau auprès de tous les usagers et pour plus d’équité dans la tarification de la ressource. Il appelle également à améliorer la performance des ouvrages des services d’eau et en particulier réduire les fuites et les volumes d’eau utilisés. Rencontre avec notre invité.

RCL : Face aux crises économique, écologique et sanitaire, comment la FNCCR œuvre pour l’amélioration continue des services publics dans les domaines essentiels de l’énergie, de l’eau, des déchets et de l’aménagement numérique ?

Hervé Paul : Nous assistons, depuis quelques années, à une convergence des problématiques écologiques, économiques et sociales auxquelles les services publics locaux sont confrontés. Ces interdépendances entre les domaines de l’énergie, de l’eau, du numérique et des déchets nous engagent au quotidien afin de maintenir la qualité de ces services essentiels aux populations. Force est de constater que les territoires ont su s’adapter aux contraintes de la pandémie Covid, mais aussi, sauf exception, à la sécheresse historique de cet été (pour ce qui concerne les services publics d’eau). La crise énergétique actuelle est malheureusement un exemple flagrant de ces interactions, les collectivités en charge de la distribution d’eau potable ou de l’assainissement se heurtant à une hausse vertigineuse de leurs dépenses d’énergie. Sur ce point, la FNCCR agit au niveau national pour favoriser les mesures bouclier envers les territoires. Mais les défis sont grands et les challenges de chaque instant. À la FNCCR, les élus et plus largement les collectivités françaises, partagent leurs bonnes pratiques et renforcent ainsi leur résilience face aux crises actuelles et à venir. Nous inscrivons nos travaux dans une logique transversale de sobriété, de transition écologique et de solidarité territoriale.

RCL : La gestion publique de l’eau gagne du terrain en France. Pourquoi la régie, tant pour la gestion de l’eau que celle de l’assainissement, séduit-elle ?

H.P. : La FNCCR rassemble à la fois des collectivités qui délèguent la gestion de l’eau potable et d’autres qui l’assurent en gestion publique. Effectivement, nous assistons à certaines reprises en régie (ou création société publique locale) emblématiques dans de grandes agglomérations françaises. Ces choix de gestion sont des gestes politiques qui relèvent d’une analyse des enjeux et objectifs propres à chaque collectivité. Parmi les motivations de ces choix exprimées par les collectivités, on retrouve la volonté de maîtrise des services, la prise en compte des enjeux locaux, le besoin de s’inscrire dans une logique de long terme en matière d’investissement, les retombées financières pour le territoire, la maîtrise des tarifs et l’implication citoyenne. Des élus considèrent que l’eau est un bien commun qui ne doit pas entrer dans une logique de marchandisation. Cela ne signifie pas que ces objectifs soient considérés comme incompatibles avec le modèle concessif et certains couples concédant / concessionnaire prouvent que c’est possible. Mais cela nécessite alors de consacrer de gros moyens pour piloter, suivre et surtout contrôler le concessionnaire pour réduire l’asymétrie d’information, évaluer la performance et l’efficience de l’exploitation, veiller à ce que les choix d’investissement relevant du concessionnaire visent bien les objectifs de sobriété et de durabilité. Inversement, la gestion publique n’est pas intrinsèquement performante ou engagée dans une logique de long terme si la collectivité n’établit pas une stratégie claire, s’isole et n’engage pas une démarche ambitieuse de qualité de service et d’autocontrôle. Dans tous les cas, même les bons outils peuvent être mal utilisés, d’où l’importance clef du rôle des élus et de leur implication dans la gestion des compétences de leurs collectivités.

RCL : Comment lutter contre la raréfaction de la ressource ?


H.P. : Premièrement, les services doivent intégrer la sobriété des usages de l’eau et inciter aux économies d’eau, en particulier en période sèche. Cela concerne tous les usagers, qu’ils soient domestiques ou profes- sionnels, y compris les collectivités elles-mêmes pour leurs propres consommations. D’où un besoin fort de sensibilisation, de formation, d’acculturation des enjeux de l’eau auprès de tous les usagers et de la société en général. En lien avec cette sensibilisation, il s’agit de faire évoluer les structures tarifaires pour inciter les usagers à réduire leur consommation d’eau tout en mettant en œuvre les dispositifs pour garantir l’accès à l’eau à tous avec une vraie politique sociale. Au-delà de cet enjeu, il est nécessaire d’améliorer l’équité dans la tarification de l’eau en particulier pour que les usa- gers intermittents qui consomment essentiellement en période de pointe (résidences secondaires, utilisateurs de puits et forages privés) contribuent en proportion au financement des services d’eau et d’assainissement : en effet, les ouvrages des services sont dimensionnés pour assurer le service en période de pointe et ce sont ces consommations qui génèrent les coûts les plus élevés pour les services.

Deuxièmement, les collectivités doivent améliorer la performance des ouvrages des services d’eau et en particulier réduire les fuites et les volumes d’eau utilisés pour les besoins de l’exploitation des services. Nous estimons qu’avec une politique proactive de recherche, de réparation rapide des fuites et de renouvellement intelligent ciblé sur les réseaux les plus vulnérables, il devrait être possible de diviser par deux les volumes d’eau des fuites et passer d’un rendement moyen (national) de 80 % à 90 %. Enfin, la diminution des ressources en eau renouvelable accentue les problématiques qualitatives sur les services d’eau et sur la biodiversité, notamment liées aux pollutions d’origine agricoles. En effet, elle conduit à l’augmentation des concentrations en polluants dans les eaux (il y a moins d’eau pour les diluer) et l’abandon des captages pour cause de pollution va devenir de plus en plus compli- qué lorsque les ressources alternatives se raréfient...

RCL : Quelle place le traitement des eaux usées peut-il prétendre dans cette gestion responsable ?

H.P. : Là encore, deux enjeux. Sur le plan qualitatif, les services d’assainissement ont vocation à traiter les eaux usées pour les restituer propres aux milieux naturels. Jusqu’à présent, les exigences en matière de traitement se sont portées sur la réduction des pollutions organiques, matières en suspension, azote et phosphore, étant entendu qu’en pratique, les stations d’épuration éliminent également des eaux usées traitées un grand nombre de métaux et autres polluants. L’apparition (ou la prise de conscience) de l’importance d’un nombre toujours plus important de polluants tels que les résidus de médicaments, de détergents, de cosmétiques... conduit aujourd’hui à poser la question de leur traitement.

Cela figure d’ailleurs dans les propositions de la Commission européenne sur la révision de la directive eaux résiduaires urbaines de 1991. Toutefois, même si les surcoûts induits par ces nouvelles exigences de traitement venaient à être pris en charge par les personnes qui mettent sur le marché des produits qui contiennent ces polluants, cela nous apparaît une solution curative non-satisfaisante et qu’il vaudrait beaucoup mieux interdire ou au moins réduire l’utilisation de ces molécules ou systématiser les traitements à la source plutôt qu’en bout de chaîne dans les stations d’épuration. D’autant que souvent, ces polluants ne sont pas éliminés mais juste transférés dans les boues ce qui réduit les possibilités de leur valorisation... La réutilisation des eaux usées traitées peut contribuer à répondre aux enjeux quantitatifs de gestion de l’eau. Mais il ne s’agit pas d’une solution miracle qui créerait de nouvelles ressources en eau...

Elle peut permettre d’économiser et de préserver les ressources, mais cela nécessite de prendre en compte les besoins des milieux et les divers usages sur le territoire et en aval. En effet, si l’eau traitée est réutilisée pour de l’irrigation au lieu d’être restituée dans les cours d’eau et n’est pas substituée à des prélèvements existants dans ce même cours d’eau, l’eau va lui manquer, ainsi qu’aux usagers. En milieu littoral, il n’y a en général pas de risque majeur, les eaux usées traitées se déversant dans la mer ; idem si l’eau réutilisée finit par être restituée au cours d’eau après un ou deux usages supplémentaires. En revanche, en tête ou milieu de bassin si cette réutilisation se fait aux dépens de la restitution de l’eau dans les cours d’eau, ce peut être très négatif. N’oublions pas que par exemple dans les agglomérations de Rennes ou Paris, la restitution des eaux usées traitées dans la Villaine ou la Seine peut représenter plus de la moitié du débit d’étiage et même la quasi-totalité pour la Vesle à Reims...

RCL : Alors que le changement climatique exacerbe les risques de sécheresse et d’inondations, comment améliorer la gestion du patrimoine de l’eau ? Son renouvellement est-il désormais suffisant ?

H.P. : Comme évoqué précédemment, les besoins en renouvellement d’équipements vont aller croissant dans les années qui viennent, d’autant que dans de nombreux services, un retard a déjà été pris – même s’il n’est pas encore trop important. Mais il ne s’agit pas de fixer un taux de renouvellement cible universel ni renouveler pour renouveler, à l’aveugle : il faut cibler les tronçons les plus vulnérables (qui ne sont d’ailleurs pas forcément les plus âgés). Il y a donc un vrai besoin d’améliorer et de développer des outils de prévisions de casses et d’optimisation des programmes de renouvellement. Dans ce sens, la FNCCR et des partenaires ont développé la plateforme France Data Réseaux, afin que les collectivités et leurs exploitants puissent bancariser et mutualiser leurs données relatives aux casses sur canalisations et permettre à des entreprises et des chercheurs de développer des outils prédictifs des défaillances des réseaux et de priorisation des renouvellements (à l’échelle des tronçons).

RCL : Dans le contexte inflationniste actuel, les Français voient leur facture d’eau augmenter ; cette hausse pourrait-elle s’amplifier ? Et quid de l’investissement ?

H.P. : Depuis plusieurs décennies le prix de l’eau et de l’assainissement augmente plus rapidement que l’inflation pour deux raisons essentielles : d’une part, l’inflation normative liée aux exigences européennes en particulier dans le domaine de l’assainissement (renforcement des exigences de collecte et de traitement des eaux usées et de plus en plus des eaux de ruissellement) mais aussi à la dégradation des ressources en eau potable qui impose des traitements de plus en plus sophistiqués. La récente alerte sur la présence de métabolites d’origine agricole en est la parfaite illustration. D’autre part, la diminution des aides financières octroyées aux services d’eau et d’assainissement pour leurs investissements par les fonds européens (FEDER), les départements et surtout par les agences de l’eau qui ne mobilisent plus que 35 % de leurs ressources 2019-2024 pour les services publics d’eau et d’assainissement contre 54 % sur la période 2007-2012. Il convient de souligner que ces aides des agences de l’eau relèvent de la péréquation et de la solidarité entre collectivités à l’échelle des bassins et non de subventions extérieures puisque plus de 85 % des ressources des agences de l’eau proviennent des redevances ajoutées aux factures d’eau et d’assainissement. Or les agences de l’eau sont désormais prioritairement mobilisées sur les enjeux du grand cycle de l’eau et de la biodiversité, objectifs tout à fait légitimes mais qui devraient être financées autrement que par la facture d’eau... La crise de l’énergie pèse lourdement sur les services d’eau et d’assainissement qui sont pour la plupart de gros consommateurs d’énergie. Cela représente en effet près de 10 TWh/an soit environ 2 % de la consommation totale d’électricité en France. Leurs dépenses d’énergie représentaient, avant la crise, environ 5 % de leurs dépenses pour l’eau et jusqu’à 10 % pour l’assainissement (parfois plus). Les augmentations des coûts de l’électricité ont donc une incidence très forte sur les dépenses totales des services. Une enquête de la FNCCR a constaté une hausse de 300 à 400 % par rapport à 2021. De surcroît, ces services sont également confrontés à d’autres augmentations sur le prix des fournitures et surtout des produits chimiques utilisés pour le traitement de l’eau, parfois multipliés par deux. Face à de telles augmentations, même si la Fédération n’a pas encore les résultats de l’enquête en cours sur les tarifs et les budgets des SPEA (Service public d’eau et d’assainissement) de ses adhérents, nous pouvons quand même dire que les collectivités ont pour la plupart répercuté ces augmentations pour partie par une hausse des tarifs (jusqu’à +10 %, voire plus) et pour partie par une diminution de leurs dépenses d’investissement en reportant certains travaux lorsque cela est possible ou encore par un recours accru à l’emprunt. Ce n’est pas forcément catastrophique s’il s’agit d’un retard d’un ou deux ans mais il ne faut pas que cela dure trop longtemps sinon le niveau de service va se dégrader. Et dans tous les cas il faudra augmenter plus tard les tarifs pour rembourser les emprunts ou rattraper le retard...

Propos recueillis par Danièle Licata

Paroles de maires

RCL
Question :
Un maire, donc OPJ, peut-il l’être en dehors de sa commune ?
Réponses :
Non, il est élu OPJ sur sa commune.
Tous les pouvoirs du Maire en tant que représentant de l'Etat ne lui sont octroyés que sur son territoire.
Non uniquement dans la commune où il est élu maire.

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