Claire Hédon, défenseure des droits : « Oui à la dématérialisation à condition qu’elle se fasse au bénéfice de tous les usagers »

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17 novembre 2022

Selon Claire Hédon, la défenseure des droits, les saisines mettant en cause les processus de dématérialisation sont toujours plus nombreuses, la conséquence d’une numérisation inadaptée aux situations des usagers. Entretien.

RCL : Depuis la mise en place de la dé- matérialisation dans les services publics, comment ont évolué les relations entre les citoyens et l’administration ?

Claire Hédon : La dématérialisation est une chance dans la mesure où elle permet de simplifier les démarches administratives. Mais elle peut devenir un obstacle dès lors que l’usager ne peut poursuivre une démarche en ligne en raison d’un problème informatique ou parce qu’il n’a pas communiqué la bonne information. S’il ne peut être aidé via un accès facile comme l'accueil téléphonique ou physique, il y a un risque que cela change sa relation à l’administration. Le principe du service public, c’est d’être au service du public donc de s’adapter au public. Or de plus en plus, les rôles sont inversés. C’est à l’usager qu’il revient de s’équiper d’un ordinateur et de savoir s’en servir, de disposer d’une connexion Internet et de ne pas faire d’erreur lorsqu’il remplit un formulaire en ligne. Les tâches qui pesaient sur l’administration lui incombent désormais tout comme la charge et la responsabilité du bon fonctionnement de la procédure. Trop souvent, la dématérialisation des services publics s’est accompagnée de la fermeture de guichets de proximité, supprimant tout contact humain et la possibilité d’un accompagnement.

RCL : Qui sont les principales victimes du « tout dématérialisé » ?

C.H. : Certains publics sont pénalisés face au développement de l’administration numérique. Ils ne comprennent ni ce que l’administration leur demande ni comment le lui fournir. Ou tout simple- ment ils ne bénéficient pas d’une couverture Internet ou d’un débit suffisant. Cela concerne les personnes âgées souvent éloignées du numérique, les personnes en situation de handicap qui n’ont toujours pas affaire à des services publics accessibles, les personnes précaires qui vivent les démarches en ligne comme un obstacle, les personnes étrangères, mais aussi les jeunes qui sont moins à l’aise qu’on ne le croit avec les démarches en ligne. Un quart des 18-24 ans indique avoir rencontré des difficultés pour réaliser seuls des démarches en ligne, c’est 14 points de plus que la moyenne. Rappelons que tout le monde, peut, un jour, rencontrer un blocage incompréhensible. Les difficultés concernent aussi bien des personnes qui font valoir leurs droits à la retraite que les demandes de RSA, les renouvellements de carte de séjour, de carte d’identité ou de passeport.

RCL : Dans ces conditions, peut-on considérer la dématérialisation des services publics comme un progrès ?

C.H. : Je dis oui à la dématérialisation, à condition qu’elle se fasse au bénéfice de tous les usagers, et non au détriment de ceux qui rencontrent des difficultés avec le numérique, en les éloignant du droit. Il faut pour cela que soient maintenus les accueils physiques et téléphoniques. La création des Espaces France services, qui permettent en un seul lieu de faire les démarches administratives de plusieurs services publics, constitue un début de réponse à ce problème mais il n’est pas suffisant. Pourquoi ? Parce qu’il faudrait que ces espaces puissent accueillir des représentants de chaque organisme social, des impôts, de Pôle emploi, du ministère de la Justice, de la préfecture, etc. Or ce sont surtout des agents issus des collectivités locales qui reçoivent les usagers et n'ont pas la possibilité d'intervenir directe- ment sur leur dossier. Par conséquent ils ne peuvent résoudre tous les problèmes. C’est l’organisation qui est en cause et non pas les agents. Se pose également la question de la simplification des dé- marches ainsi que des sites Internet. Un exemple : 40 % des démarches seulement sont adaptées aux personnes en situation de handicap. Il faut bien sûr renforcer les politiques d’inclusion numérique.

RCL : Quelles sont les conséquences ?

C.H. : Les difficultés d’accès au droit favorisent les tensions. Elles fragilisent les personnes concernées et créent un sentiment d’éloignement des services publics. Nos délégués présents sur l’ensemble du territoire témoignent de la colère de ces personnes, toujours plus nombreuses, qui n’arrivent plus à joindre les services publics. C’est par le respect des droits que nous parviendrons à recréer de la cohésion sociale. Il faut garder à l’esprit la finalité première de la dématérialisation : améliorer les services rendus à l’usager. En 2021, nos services ont enregistré 115 000 réclamations, soit une augmentation de 18 % entre 2020 et 2021. 80 % des saisines concernaient les droits des usagers de service public, la plupart étant liée aux questions de dématérialisation.

RCL : Souhaitez-vous adresser un message aux élus ?

C.H. : Les élus des zones rurales et des quartiers prioritaires sont en première ligne face aux difficultés d’accès au service public de leurs administrés. Les collectivités territoriales peuvent s’appuyer sur nos 550 délégués territoriaux basés dans les maisons de la justice et du droit, dans les préfectures, dans les CCAS (centres commerciaux d'action sociale), les missions locales, des bénévoles. Ils accueillent les réclamants et traitent les dossiers gratuitement. Lorsque nous sommes saisis sur un problème impliquant une collectivité territoriale, nos délégués jouent un rôle de médiation essentiel. Leur rôle : recréer du lien et permettre aux deux parties de se comprendre afin de trouver une solution. 80 % des litiges que nous traitons trouvent une solution.

Propos recueillis par Blandine Klaas

 

Quelques chiffres

  • 22 % des personnes ne disposent à leur domicile ni d’un ordinateur ni d’une tablette.
  • 8 % des Français n’ont pas d’adresse mail personnelle ou professionnelle.
  • 5 % des Français n’ont pas de connexion Internet à domicile.
  • 28 % des personnes s’estiment peu compétentes ou pas compétentes pour effectuer une démarche administrative en ligne.
  • 1⁄4 des 18-24 ans indique avoir rencontré des difficultés pour réaliser seul des démarches en ligne.
  • Plus de 80 % des règlements amiables aboutissent favorablement.
  • Plus de 870 points d’accueil et 550 délégués présents sur l’ensemble du territoire.
  • Selon le baromètre numérique Arcep/ Credoc 20214, 35 % de la population rencontrent, à un titre ou un autre, des difficultés pour utiliser les outils numériques.
  • 76 % des Français de 18 ans ou plus ont eu recours en 2020 à l’administration numérique.

 

 

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Un maire, donc OPJ, peut-il l’être en dehors de sa commune ?
Réponses :
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Non uniquement dans la commune où il est élu maire.

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