Brève histoire des régions françaises de Serge Antoine à François Hollande

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15 septembre 2014

Le projet de François Hollande de redécouper la France régionale, est en vérité une sorte de réactualisation d’un découpage qui a été fait en 1956 par Serge Antoine. Ce nom évoquera surtout quelque chose aux initiés de la planification mais aussi de l’environnement. Haut fonctionnaire né à Strasbourg en 1927 et mort à Bièvres en 2006, Serge Antoine a donc joué un rôle déterminant dans les choix de regroupement des départements pour créer les régions administratives. Il est le père administratif des régions telles que nous les connaissons actuellement. Il a aussi beaucoup oeuvré en matière environnementale. Ainsi en 1971 il est nommé au cabinet du tout premier ministre de l’environnement, Robert Poujade. En 1994, il crée le Comité français pour le développement durable (Comité 21) qui réunit entreprises, collectivités locales et associations.

Avant Serge Antoine il y avait eu les « régions Clémentel » en 1919. Étienne Clémentel, député du Puy-de-Dôme, avait créé 17 « groupements d’intérêts régionaux » (arrêté ministériel du 5 avril 1919) fondés sur l’ossature des chambres de commerce. Par la suite sous Vichy, le maréchal Pétain entérina une recomposition territoriale régionale dessinée par son secrétaire d’État aux Finances, Yves Bouthillier. Le décret publié le 30 juin 1941 attribuait à certains préfets les pouvoirs des préfets régionaux et portait division du territoire pour l’exercice de ces pouvoirs en application de la loi du 19 avril 1941, par un découpage regroupant des départements. Ce découpage préfigurait celui des régions en respectant des critères économiques et surtout le lien au chef-lieu par les transports terrestres. Il servait aussi et même surtout à diffuser l’idéologie du régime. Le GPRF abrogea ce texte et de Gaulle créa alors des régions administratives.

Les années 1950 marquent les grandes heures de la planification en France. Edgar Faure, président du Conseil en 1955 a lancé les « programmes d’action régionale ». C’est le décret Pflimlin du 30 juin 1955 qui décida du lancement desdits programmes en vue de « promouvoir l’expansion économique et sociale des différentes régions ». Il renvoyait à un arrêté ministériel, qui sera signé le 28 novembre 1956, pour définir les circonscriptions de ces programmes d’action régionale (24 à l’origine).

Dans la foulée, le commissariat général au Plan leur donne un cadre, celui des « régions de programme », premier découpage régional français, et y nomme des chargés de mission (dont à ce dernier le rôle de faire une nouvelle carte de la France pour permettre aux administrations de travailler à un échelon plus vaste. Le but est exclusivement technique et non politique. Membre de la Cour des comptes Serge Antoine confie : « 19 régions avaient été dessinées sur un coin de cheminée » (L’Express, Serge Antoine : l’homme qui a dessiné les régions, 15 mars 2004). Après quelques ajustements, leur nombre avait été porté à 22 (arrêté du 28 novembre 1956). Cette carte (faite sans ordinateur !) doit être opérationnelle pour les ministères. Mais il n’y a aucune ambition décentralisatrice dans cette France très jacobine. Serge Antoine travaille en artisan. Il superpose sur un grand calque les découpages des principales administrations, chacun avec une couleur différente. Assez rapidement des régions s’imposent, car la majorité des administrations les dessinent de la même manière (par exemple : Bretagne, Alsace, Auvergne). C’est plus problématique pour d’autres. Ainsi la Vendée (Pays de la Loire ou Poitou-Charentes ?), les Hautes-Alpes (Rhône-Alpes ou Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse ?), l’Aveyron (Languedoc- Roussillon ou Midi-Pyrénées ?).

Jeune énarque épris de géographie urbaine, Serge Antoine va bien sûr étudier l’urbanisme français et notamment les rapports qu’ont les villes entre elles. Ainsi il analyse le recensement mais aussi le trafic téléphonique, très bon révélateur. « Nîmes téléphone davantage à Montpellier qu’à Marseille ? Le Gard sera donc rattaché au Languedoc-Roussillon. Les communications de Périgueux sont plus nombreuses vers Bordeaux que vers Limoges ? La Dordogne ira donc avec l’Aquitaine. » (Extrait d’une interview de Serge Antoine au journal de France 2 le 2 juin 2014). L’auteur se fixe trois règles. D’abord respecter les limites départementales. Serge Antoine explique : « C’était l’échelon de base de toutes les administrations : on aurait semé une pagaille monstre si l’on avait voulu s’en affranchir. » Ensuite mettre un seuil minimum de population (1 million d’habitants). Enfin il fallait limiter le rayonnement parisien : « L’influence de Paris s’exerçait sur environ un tiers de la France. C’était non seulement nuisible au pays, mais impraticable pour les administrations : personne ne peut prétendre gérer le territoire au plus près sur une telle échelle. » Ainsi l’espace entre Lille et Paris est comblé par la Picardie en associant l’Aisne, la Somme et l’Oise. Il en sera de même avec la région Centre.

En 1958, Serge Antoine a achevé sa carte. Elle doit être validée par le premier gouvernement de la Ve République. C’est Jérôme Monod, membre du cabinet de Michel Debré, qui va l’y aider car ce n’est pas fait. Deux décrets, datés du 7 janvier 1959 et du 2 juin 1960 (et d’ailleurs préparés et défendus par Serge Antoine devant le Conseil d’État) officialisent ce découpage et harmonisent les circonscriptions d’une trentaine de ministères. Mais c’est un découpage purement technique et administratif. Aucune ambition décentralisatrice dans un pays encore très jacobin.

Soixante ans plus tard, on constate que « la carte Antoine », n’a presque pas changé (sauf la Corse, détachée de PACA en 1972). Elle a même été doublement consacrée : par la grande loi de décentralisation de 1982 (la région y devient une collectivité territoriale) et par la révision constitutionnelle de 2003 (instaurant un titre XII sur les collectivités territoriales). À propos de sa carte Serge Antoine a confié : « Si c’était à refaire, je ne ferais qu’une seule Normandie. De même, je rassemblerais l’Alsace, la Lorraine et Champagne-Ardenne ; Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon, ou encore l’Aquitaine et Midi-Pyrénées, en sachant que le choix de la capitale, entre Bordeaux et Toulouse, serait cornélien… Ma seule erreur a été de croire que je mettais en place un système évolutif. J’étais convaincu, naïvement, que l’on assisterait peu à peu à des fusions de régions. Hélas, j’attends encore ». Huit ans après sa mort, le souhait de Serge Antoine, nécessaire selon nous, pourrait être exaucé par le projet du président Hollande. Le 2 juin ce dernier a présenté une nouvelle carte régionale où les régions passent de 22 à 14 (maximum selon André Vallini). Il ambitionne ainsi de « réformer les territoires pour réformer la France » (tribune publiée dans la presse quotidienne régionale datée du 3 juin 2014 sur elysee.fr). François Hollande estime que les régions sont « des acteurs majeurs de l’aménagement du territoire […]. Mais elles sont à l’étroit dans des espaces qui sont hérités de découpages administratifs remontant au milieu des années 1960 ». En diminuant leur nombre, il les souhaite « de taille européenne et capables de stratégies territoriales » Un double projet de loi a été soumis au Conseil des ministres le 18 juin dernier.

Le premier arrête la nouvelle carte et reporte à novembre-décembre 2015 les élections régionales et cantonales prévues en mars prochain. Le second sépare nettement les compétences des régions et des départements. Ils vont être présentés ensuite au Parlement. Les débats ne seront pas une sinécure. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que les économies semblent limitées (environ 2 milliards d’euros contre les quelques 15 ambitionnés). Même l’agence Moody’s doute des économies réalisées. Ensuite parce que le calendrier est serré. Également parce qu’une certaine contestation se fait jour au sein des socialistes et chez certains barons locaux. Laurent Wauquiez parle même d’un Yalta de ces derniers. Aussi parce que dans l’opinion cette réforme ne fait pas l’unanimité. Enfin parce que certains départements ont déjà des velléités d’émancipation. À tel point qu’André Vallini, en charge de la réforme territoriale, a précisé que le gouvernement n’autorisera pas ces derniers à changer de région : « le droit d’option (défendu par le député PS et président de la commission des lois de l’Assemblée Jean-Jacques Urvoas) des départements n’a pas été retenu, parce que ça aurait ouvert des débats sans fin. » (La Montagne du 5 juin 2014, p. 38).

Il reste qu’une certaine précipitation voire impréparation semble présider aux destinées du projet Hollande. Il y aurait toujours la solution du référendum. Mais l’état de popularité de l’actuel président de la République est tel (18% de bonnes opinions selon le baromètre Ipsos-Le Point publié lundi 23 juin 2014) que la procédure, sur un projet qu’il impulse lui-même, se retournerait à coup sûr contre lui. Au risque de porter le coup de grâce à son mandat. Alors réforme ou coup politique ? L’histoire régionale française est à la croisée des chemins.

Raphaël Piastra
Maitre de conférences-HDR en droit public à l’Université d’Auvergne
Membre du Centre Michel de l’Hospital

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Question :
Un maire, donc OPJ, peut-il l’être en dehors de sa commune ?
Réponses :
Non, il est élu OPJ sur sa commune.
Tous les pouvoirs du Maire en tant que représentant de l'Etat ne lui sont octroyés que sur son territoire.
Non uniquement dans la commune où il est élu maire.

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