Entretien avec…
Dominique BURGER
Président de lʼInstitut de lʼAccessibilité Numérique
Qu’entend-on par accessibilité numérique?
Il s’agit de permettre aux personnes handicapées d’accéder à tous les services numériques comme les personnes valides. Les services numériques comprennent les sites web, les services de communication en ligne, les livres numériques ainsi que tous les services aujourd’hui délivrés sur des plateformes mobiles. Nous devons faire en sorte que les personnes handicapées puissent elles aussi bénéficier de l’ensemble de ces services et les utiliser comme tout un chacun.
Quel bilan peut-on dresser de l’accessibilité numérique aujourd’hui?
L’accessibilité numérique est très insuffisante d’une manière générale en France. Des normes existent – les WCAG 2.0 du W3C pour le web et le standard ePub pour le livre numérique - mais elles ne sont pas suffisamment mises en oeuvre. Toutes les études européennes sur les sites web montrent que seulement 5 à 10 % des sites web publics français respectent la norme du W3C pour l’accessibilité du web. C’est bien trop peu.
De nombreux facteurs peuvent expliquer cet état de fait. En premier lieu, la méconnaissance des normes et du potentiel des technologies d’assistance des personnes handicapées comme le braille ou la synthèse de parole. Trop peu de gens se posent la question sur ce qu’il conviendrait de faire pour des personnes qui n’utilisent pas des ordinateurs standards. Le manque de formation sur l’accessibilité est un second facteur à déplorer. Or cette formation est un élément obligatoire dans la loi de 2005, au moins pour les responsables de la fonction publique, chargés de la mise en ligne des services de communication. Un troisième facteur est l’ignorance qui conduit à véhiculer de fausses idées comme le coût prohibitif de l’accessibilité. Or lorsque les normes accessibles sont respectées dès l’origine d’un projet, le surcoût est acceptable.
Par ailleurs, nous disposons d’une loi qui n’est assortie d’aucune obligation. En conséquence, la situation a très peu évolué depuis la publication du décret du 14 mai 2009, imposant une mise en oeuvre de l’accessibilité dans un délai de deux ans pour les services de communication publique en ligne de l'Etat et des établissements publics qui en dépendent. Seul un document technique a été publié, le référentiel général pour l’accessibilité des administrations (RGAA), qui n’a pas été remis à jour depuis. En théorie, tous les organismes publics devraient publier une déclaration de conformité à ce référentiel, or personne ne leur a jamais expliqué comment le faire. Donc quasiment personne ne l’a fait. L’Elysée fait partie des rares sites publics conformes.
L’institut de l’accessibilité numérique a-t-il un rôle à jouer auprès des administrations et des collectivités?
L’institut de l’accessibilité numérique a été mis en place pour pousser les efforts de l’association BrailleNet plus loin et prolonger sa mission.
Le but de l’association est de faire en sorte que des projets de recherche notamment européens donnent lieu à des réalisations et des services effectifs pour les personnes handicapées.
C’est ainsi que Braillenet a créé pour les personnes handicapées visuelles, la bibliothèque numérique francophone accessible (www.bnfa.fr). Elle est gratuite et dispose de plusieurs milliers de livres adaptés à ces personnes. L’association est également l’instigatrice d’AccessiWeb, un ensemble de ressources pour les personnes chargées de réaliser des sites web: un référentiel qui simplifie la compréhension des règles techniques du W3C, le label AccessiWeb et des formations. Nous avons formé environ un millier de personnes sur dix ans. Mais c’est largement insuffisant.
BrailleNet et l’institut organisent un colloque annuel, le forum européen de l’accessibilité numérique. Le prochain forum aura lieu le 18 mars prochain. Il est organisé conjointement avec la cité des sciences et de l’industrie autour du thème « Faire de l’accessibilité numérique une compétence professionnelle».
S'agissant plus particulièrement des sites web des collectivités et administrations, comment les rendre accessibles? Quel est le rôle des labels?
De fortes sommes ont sans doute été dépensées depuis 10 ans pour plus d’accessibilité numérique mais sans que les efforts soient coordonnés. Pour que les choses avancent, il faut avant tout une autorité de pilotage.
Il faudrait en premier lieu mettre à jour le RGAA qui n’a plus évolué depuis 2009. Ce référentiel est aujourd’hui dépassé sur le plan technique. Nos documents Accessi- Web sont régulièrement mis à jour chaque année. Nous nous appuyons sur une communauté de 400 experts en accessibilité pour faire évoluer le référentiel Accessi- Web. AccessiWeb pourrait être reversé dans le RGAA qui a certes une valeur légale mais pas opérationnelle. Il faudrait que soient proposées des formations avec des outils modernes comme le Web et les outils collaboratifs afin de démultiplier l’énergie et diffuser bien plus rapidement les connaissances à l’instar de Wikipedia. L’idée étant d’avoir une communauté active d’experts qui diffuseraient leurs connaissances, leurs expériences…
Enfin, une gestion du contrôle qualité doit être mise en place pour faire progresser l’accessibilité numérique de manière significative. Cela commence dès l’appel à projets, avec la formulation claire des besoins, pour que le prestataire comprenne ce que l’on attend de lui, toute la méthodologie de vérification de la conformité. Ces mesures pourraient déjà faire avancer les choses de manière significative.
Quant au label il est presque accessoire : c’est un élément de communication et de visibilité. Mais un site peut être accessible sans être pour autant labellisé. L’avantage du label est que les personnes concernées, en arrivant sur un site, puissent savoir immédiatement si ce site a été traité pour l’accessibilité ou non.
En conclusion, quels sont les enjeux de l’accessibilité numérique? L’enjeu est avant tout sociétal et éthique. Les sociétés modernes considèrent que les individus citoyens ont des droits égaux. Utiliser un service en ligne concerne tout le monde, l’égalité dans l’accès de ces services en ligne doit garantie.
L’enjeu est également économique parce que si les personnes handicapées sont mieux intégrées, elles participent d’autant mieux à la vie économique de la société. Il y va enfin de la compétitivité des entreprises : l’accessibilité numérique de plus en plus devient une obligation légale et dans certains pays c’est même une condition d’éligibilité sur certains marchés. De plus, un service numérique accessible présente un avantage sur le plan ergonomique et sur le plan de sa conception technique avec pour résultat une plus grande satisfaction des usagers. Un site accessible profite à tout le monde.
Propos recueillis par Blandine Klaas
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