Spectateurs, interlocuteurs, ou pompiers ?
Dans un tel contexte, les maires, institution républicaine par excellence, n’eurent dans un premier temps guère de place, alors même que la territorialité du mouvement aurait pu les ériger en interlocuteurs de proximité. Bien que très décentralisé, tout à la fois péri-urbain et rural, le mouvement privilégiait l’Élysée et son unique locataire. Les maires semblaient condamnés à demeurer spectateurs d’autant qu’Emmanuel Macron, dont il faut rappeler qu’il n’a jamais détenu de mandat local, apparaissait lui-même volontiers disposé à jouer le jeu du dépassement des institu- tions (n’avait-il pas boudé le congrès de l’AMF en novembre 2018 ?).
Cette configuration était intenable. Les maires sont finalement rentrés dans le jeu à la faveur d’un grand débat qui fut pour le Président l’occasion de renouer avec des élus un temps sous-estimés.
La Lettre aux Français du 13 janvier 2019 est de ce point de vue sans ambiguïté : « Les maires, y écrit le président, auront un rôle essentiel car ils sont vos élus et donc intermédiaires légitimes de l’expression des citoyens. » On peut toutefois s’interroger sur la portée de ce revirement tactique. En prétendant dépasser les partis politiques traditionnels et le cli- vage droite-gauche qui leur est associé, en jouant comme Nicolas Sarkozy avant lui l’hyper-président, en négligeant les corps intermédiaires, l’actuel Président n’a-t-il pas, d’une certaine façon ouvert, la voie d’une conception post-ins- titutionnelle de la démocratie ? Et n’y a-t-il pas de ce point de vue paradoxale convergence entre le mouvement des « Gilets Jaunes » et celui qui en fut, bien malgré lui, la cible ? Comme Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron fut tenté de renvoyer les élus locaux à l’ancien monde, celui des conservatismes, des querelles de clochers, des archaïsmes en tous genres et des freins à la « modernisation ». Au risque de se retrouver bien seul face à la rébellion des territoires.
Le mouvement des « gilets jaunes » est relativement inédit par la défiance qu’il a exprimée à l’égard des institutions et des grammaires institutionnelles : refus des partis politiques, refus des syn- dicats, refus des « grands» médias... mais surtout refus de s’auto-institutionnaliser : pas de leader, pas de représentants, pas vraiment de porte-parole... Quant aux cibles visées par le mouvement, là encore l’institutionnel est absent : c’est « l’homme Macron », figure ultra-personnalisée, qui est interpellé, bien davantage par exemple que le gouvernement.
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