Gil Avérous, maire de Châteauroux (Indre), est depuis septembre 2022 le nouveau président de « Villes de France » l’association qui regroupe 600 communes de taille moyenne (entre 10 000 et 100 000 habitants) ainsi que 300 intercommunalités. Sans détour, il a répondu aux questions de RCL.
RCL : Dans cette période de tensions et d’incertitudes, comment les collectivités s’adaptent aux nouvelles contraintes ?
G.A. : La capacité d’adaptation des collectivités, en particulier des villes moyennes, n’est pas nouvelle. Lors de la crise sanitaire, nous avons été en première ligne pour accompagner nos concitoyens, protéger les plus fragiles ou organiser la campagne de vaccination. Nous avons su être résilients, anticipant parfois les prescriptions étatiques. Pour ce qui est de la crise énergétique, chaque commune arbitre ses propres choix. Par exemple, si nous évoquons la hausse des prix de l’énergie, certaines collectivités se sont engagées depuis longtemps dans une action de réduction de consommation. C’est le cas à Châteauroux où nous avons fait le choix de passer à un éclairage public 100 % LED qui a permis de baisser de 47 % la facture énergétique dans ce domaine. De nombreuses villes moyennes ont déjà annoncé le lancement d’un plan de sobriété énergétique qui répond autant à un impératif de transition écologique qu’économique. Toutefois, face à l’envolée de l’inflation, même les collectivités les plus vertueuses vont commencer à « tirer la langue ». Une chose est sûre, nous n’aurons pas d’autre choix que d’étudier à la loupe la moindre ligne budgétaire, car contrairement à l’État nous ne pouvons pas présenter un budget en déficit. C’est pourquoi nous demandons des moyens à la hauteur des enjeux.
RCL : Vous avez salué l’augmentation de la DGF (dotation globale de fonctionnement) en 2023 ; les 210 millions d’euros de hausse suffiront-ils à absorber vos dépenses supplémentaires ?
G.A. : Nous avons salué cette hausse car toute augmentation de DGF est bonne à prendre. Mais nous souhaitons que les parlementaires, lors de la discussion du texte, aillent plus loin avec notamment l’indexation de celle-ci sur l’inflation. Pour rappel, 210 millons d’euros sur DGF de 26,6 milliards d’euros représentent une indexation de 0,8 %. Bien évidemment, cela ne compense pas la hausse des coûts de l’énergie et des matières premières, tout comme la revalorisation du point d’indice de rémunération dans la fonction publique. Pour une indexation à un niveau d’inflation de 5-6 %, il faudrait 1,4 milliard d’euros supplémentaire. Nous avons bien conscience que les finances de l’État ne sont pas extensives et que les collectivités locales doivent aussi prendre leur part dans l’effort national, mais nous demandons aux parlementaires de revoir la copie pour garantir au mieux nos capacités financières. Si les collectivités locales ne sont pas accompagnées financièrement, les impacts seront réels. C’est une projection qui n’est pas dans l’intérêt du pays car les villes et leurs intercommunalités représentent 70 % de l’investissement public, hors dépenses militaires et R&D.
RCL : Concernant les recettes fiscales, quel premier bilan tirez-vous de la suppression de la taxe d’habitation et de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ? Qu’en est-il de l’autonomie financière des collectivités ?
G.A. : Sur les suppressions de la taxe d’habitation et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), l’État s’est engagé à compenser à l’euro près. Nous avons pris acte. Nous jugerons les effets dans les années à venir. Concernant la CVAE, sous réserve de vérification de son impact réel et de garanties sur son évolution à l’avenir, la compensation par une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les trois derniers exercices apparaît comme un moindre mal. C’est sur le fond que cela pose un véritable problème. En supprimant coup sur coup deux impôts locaux, c’est un lien direct entre la collectivité et le citoyen qui tend à disparaître.
RCL : Quid alors de l’autonomie financière des collectivités ?
G.A. : L’autonomie financière des collectivités n’est pas une notion anecdotique. La formule de l’article 72 de la Constitution et son interprétation jurisprudentielle supposent que les collectivités territoriales disposent d’un minimum d’autonomie financière c’est-à-dire d’un budget et de la libre disposition de ressources suffisantes. Si l’on nous supprime, année après année, toutes nos ressources fiscales, l’autonomie financière va devenir un concept désuet. On l’a vu durant la crise sanitaire, on le voit sur de nombreuses thématiques, l’État a tendance à s’appuyer de plus en plus sur nos collectivités. C’est une bonne chose, cela démontre que nous sommes efficaces, mais encore faut-il que nous ayons sur le long terme les moyens appropriés.
RCL : Dans ce contexte, comment les collectivités territoriales peuvent maintenir leurs capacités d’investissement et la continuité des services publics ?
G.A. : C’est là tout l’enjeu de ce projet de loi de finances (PLF) pour 2023. Comme je l’ai rappelé, nos villes n’ont pas le droit de présenter un budget en déficit. Donc pour compenser les différentes hausses, notamment liées à l’inflation et à l’évolution du point d’indice, il faudra forcément trouver les finances ailleurs. À commencer, malheureusement, par la ligne investissement. Toutes les villes ont des plans pluriannuels d’investissement (PPI). Mais, bon nombre d’entre elles vont devoir décaler dans le temps ces projets, souvent des promesses de campagne, voire les supprimer. Pire, certaines collectivités avaient fait le choix d’augmenter la fiscalité locale afin d’engager d’ambitieux programmes d’investissements. Vu le contexte, cette manne financière devra servir à compenser la hausse des coûts. C’est terrible et le message envoyé à destination de nos concitoyens est très mauvais.
RCL : Vous êtes maire de Châteauroux, quels sont les projets pour votre commune ?
G.A. : À Châteauroux, nos projets prioritaires sont la création d’un campus santé qui vise à développer des formations autour des soins infirmiers, d’aides-soignants, d’ambulanciers, d’une école de kinésithérapeutes... Nous souhaitons également poursuivre la rénovation du centre-ville, fortement initiée avec l’aide d’« Action Cœur de Ville », en nous concentrant dorénavant sur la restructuration du quartier de la gare avec l’installation d’une passerelle au-dessus de voies ferrées. Le Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) va également occuper une grande partie du mandat : plusieurs quartiers prioritaires sont concernés et leur transformation, déjà commencée, va améliorer la vie des habitants. Enfin, Châteauroux est ville hôte des Jeux olympiques de 2024. Elle accueillera les épreuves complètes de tir sportif et de para-tir. Si c’est une occasion historique de braquer les projecteurs sur Châteauroux, nous travaillons avec l’ensemble de nos partenaires pour être au rendez-vous de cet événement mondial.
RCL : Depuis l’arrivée d’Elisabeth Borne à Matignon, est-ce que le dialogue avec l’État semble plus facile ?
G.A. : C’est indéniable, nous constatons depuis le début de cette nouvelle mandature une amélioration des relations entre le gouvernement et les représentants des collectivités locales. Le fait que nos ministres « de tutelle » soient d’anciens maires n’est pas anodin. Ils connaissent notre quotidien, parlent la même langue que nous. Cela est appréciable et fait gagner un temps précieux lors des échanges. À titre d’exemple, lors de la construction du PLF pour 2023, nous avons régulièrement rencontré les membres du Gouvernement, ils ont été à notre écoute et ont entendu, en partie, nos propositions.
RCL : Quels messages souhaiteriez-vous adresser au gouvernement ?
G.A. : En premier lieu, que le dialogue se pour- suive. « Villes de France » continuera de porter un dialogue constructif mais exigeant à l’égard du Gouvernement et des responsables politiques. Nous ne pratiquons pas la politique de la chaise vide, ce n’est pas notre conception de l’action. Notre rôle est de porter les demandes de nos adhérents, de pointer les difficultés et surtout de proposer des solutions. Il y a aura très certainement d’autres points de désaccord au cours du mandat, mais c’est en échangeant que nous parviendrons à obtenir des avancées pour les villes moyennes.
Aussi, je souhaite rappeler l’importance du programme national « Action Cœur de Ville ». L’acte II doit prochainement être lancé, il faut absolument conserver la dynamique initiée depuis sa mise en place en 2018. La crise sanitaire est venue la freiner alors que les attentes sont énormes pour les villes bénéficiaires. Les partenaires financiers du programme (Banque des territoires, Action Logement, Anah) devront continuer à être des interlocuteurs privilégiés pour nos élus.
Enfin, rappeler au gouvernement qu’il devra s’appuyer sur les villes moyennes pour réussir ses politiques de transformation du pays : transition écologique et énergétique, mobilités, numérique, enseignement supérieur, santé, réindustrialisation... Nos villes sont des villes de centralité et sont le lien entre les territoires ruraux et les métropoles. C’est par elles que viendra le changement.
Propos recueillis par Danièle Licata
Inscrivez-vous dès maintenant sur le groupe Facebook Paroles de Maires pour obtenir des informations quotidiennes sur l'actualité de vos missions.