François Sauvadet : l’Etat doit faire confiance à l’intelligence et à l’agilité territoriales

Les acteurs
20 octobre 2022

François Sauvadet, président de l’Assemblée des Départements de France (ADF), appelle l’Exécutif à rapprocher ses décisions des citoyens et à dialoguer avec tous les acteurs de l’action publique pour réussir le pari de l’avenir. Entretien.

 

Vous appelez à l’élaboration d’un nouveau dialogue avec l’État, non pas au travers du Conseil national de la refondation proposé par le président de la République, mais d’un Conseil national de la décentralisation ? Pourquoi ?

François Sauvadet : Le besoin de proximité des Français est de plus en plus criant! Il faut absolument cesser d’éloigner les centres de décision de nos compatriotes. Contrairement à une idée reçue, « Big n’est absolument pas beautiful » et si les crises sociales et sanitaires que nous avons traversées successivement ces trois dernières années ont bien montré une chose, c’est le besoin de proximité. J’ai donc appelé à la création de ce Conseil national de la décentralisation. En travaillant main dans la main avec l’ensemble des associations d’élus, comme Régions de France, l'Association des maires de France (AMF), les maires ruraux (AMRF) ou encore les petites villes (APVF) et Intercommunalités de France, nous devons œuvrer à rapprocher les décisions des citoyens. Ce Conseil, ce sera moins de paroles, plus d’actions ! Moins d’interventionnisme de l’État central, plus d’initiatives de terrain.

RCL : Face à la transition énergétique, vous avez déclaré : « il va falloir se montrer pragmatique face aux en- jeux ». À quoi faites-vous référence ? À la double fracture sociale et territoriale ?

F.S. : J’ai parlé de cette double fracture sociale et territoriale au sortir des élections présidentielle et législatives : les cœurs de ville ont voté Emmanuel Macron, les périphéries urbaines Jean-Luc Mélenchon et la ruralité Marine Le Pen. La confiance du peuple s’est abîmée, avec une abstention record. Quatre Français sur dix votent désormais pour les extrêmes ! À travers cette colère sourde, les électeurs ont exprimé le sentiment que leur vote n’a plus aucun impact sur leur vie et dans ces conditions, ils tentent toutes les aventures. Il faut que collectivement, nous leur montrions que nous sommes en capacité d’améliorer concrètement leur vie. Pour cela, l’État doit lâcher prise et faire confiance à l’intelligence et à l’agilité territoriales. A ce dérèglement politique et démocratique, s’ajoute le dérèglement climatique. Je veux d’abord insister sur le fait que l’on ne réussira la transition énergétique qu’avec l’adhésion des Français et non contre eux !

Prenons l’exemple de la voiture électrique, intéressante pour l’environnement et pour notre indépendance géopolitique (stratégique). Elle n’est performante que pour des trajets courts. Plus de la moitié de la population française vit isolée des grands réseaux de transports en commun. En milieu rural et périurbain notamment, on a besoin de sa voiture ! Faute d’alternatives crédibles et adaptées pour tous nos concitoyens, il est hors de question pour les Français de renoncer à la liberté que l’automobile apporte. Il ne faut pas tout miser sur un mode de propulsion, il faut prendre en compte la vie des Français ! Nous devons nous montrer pragmatiques face aux enjeux. On veut faire du tout électrique, avec des coûts extrêmement lourds pour les citoyens, mais on a fermé la centrale nucléaire de Fessenheim et on rouvre aujourd’hui une centrale à charbon pour faire face à la pénurie d’électricité, cela n’a aucun sens ! L’écologie réclame du bon sens, de la cohérence et non du dogmatisme ! En matière de transition énergétique, il n’y a pas UNE solution, mais un mix de solutions, comme le département de la Vendée le montre.

RCL : Pensez-vous que le gouvernement a conscience de l’urgence de la situation dans les territoires ? Comment reconstruire une société plus juste autour du bien commun ?

F.S. : Il existe, dans les territoires, de profondes inégalités dont les Français souffrent. En matière d’accès aux services de santé par exemple, les carences sont criantes dans les campagnes. Cela génère une vraie colère, parce qu’il y a une grande incompréhension de ce qu’est devenue l’action publique. Pour reconstruire cette société plus juste dont vous parlez, il faut d’abord être capable de comprendre les Français. De partager leurs difficultés, leurs appréhensions, leurs aspirations également. Pour cela, les départements sont la bonne maille pour agir. Il est tout de même dramatique qu’il ait fallu attendre la crise des « gilets jaunes » pour re- découvrir l’importance de chaque maire dans notre grand pays et la pandémie pour s’apercevoir que les départements comptent ! Nous avons été au cœur du pacte social pendant ces deux crises. Quand tout le monde s’est mis à acheter des masques, qui les a distribués ? Qui a des milliers d’agents, répartis sur l’ensemble du territoire ? Des centres routiers par- tout ? Des travailleurs sociaux proches des gens ? Qui a assuré le versement des prestations, continué de protéger nos enfants, d’assurer le soutien à nos aînés ? Les départements sont une chance pour la France. Les Assises de départements de France en 2021 dans l’Ain avaient d’ailleurs pour thème « Comment agir mieux pour les Français ? ». Nous y avions formulé 102 propositions concrètes. Je les remets sur la table, parce que c’est la question centrale aujourd’hui.

RCL : Vous appelez à la construction d’un véritable plan Marshall pour la ruralité française ... Qui à la manette ?

F.S. : Les départements évidemment ! Il est grand temps que l’État accompagne les territoires ruraux et le fasse avec nous. Notre proximité nous permet de les comprendre et de leur proposer des mesures politiques et financières adaptées. Vous savez qu’à l’exception de la petite couronne parisienne, la ruralité est une composante majeure de tous les départements de France. Ce sont nous qui assurons la solidarité entre les zones urbaines où se concentre l’activité économique et les campagnes, où l’habitat diffus nécessite des investissements lourds que les communes n’ont très souvent pas les moyens d’assumer seules. Voyez en Côte-d’Or, dans mon département, 150 millions d’euros sur cinq ans viendront s’ajouter aux autres lignes budgétaires destinées à aider la ruralité. Pour financer ces investissements, le département dégagera les ressources liées à un plan d’économies déjà engagé.

RCL : Vous avez défini plusieurs chantiers prioritaires pour la mandature 2021-2028 ; quels sont-ils ?

F.S. : Les départements sont dans le cœur des Français et doivent être au cœur de la République décentralisée. Il faut mettre un terme aux injonctions de l’État dans le champ des compétences décentralisées et à la tentation de faire des collectivités locales ses sous-traitants. Lorsque l’État continue d’exercer sa tutelle sur les collectivités, en administrant des compétences qu’il a lui-même déléguées, il provoque, au mieux un ralentissement, au pire, une dévitalisation de l’action publique. Mieux vaut une règle locale adaptée et simplifiée, plutôt qu’une norme nationale inutilement compliquée et donc, inapplicable sur le terrain ! Aujourd’hui, les départements appellent à rétablir une relation de confiance avec l’État, fondée non plus sur la tutelle, mais sur la responsabilité. Ils demandent à restaurer l’autonomie que la décentralisation leur confère, mais aussi à clarifier les missions et le bon niveau pour agir, tout en travaillant sur le partage des compétences et les chefs de file, par exemple dans l’action sociale, la solidarité territoriale, la transition écologique ou l’économie de proximité. Je rappelle que les collectivités représentent 70 % de l’investissement public et 9 % de l’endettement du pays. Faire peser sur elles une contribution excessive à l’effort national d’assainissement des finances publiques, c’est prendre le risque d’ajouter une crise à la crise, en faisant de l’investissement, qu’elles portent avec détermination, la variable d’ajustement.

RCL : Quel(s) message (s) souhaiteriez-vous adresser au gouvernement ?

F.S. : Arrêtez de nous considérer comme des sous-traitants ! Nous sommes vos partenaires! Si le gouvernement veut réussir le pari de l’avenir, il doit dialoguer avec tous les acteurs de l’action publique. Les départements possèdent une expertise qu’ils ne demandent qu’à partager, dans le domaine médico-social, de l’insertion, de la protection de l’enfance, du vieillissement de la population, de lutte contre la précarité scolaire ou de l’accompagnement des jeunes. L’autre sujet concerne les moyens. Il faudra que les ambitions soient proportionnées aux budgets que les départements pourront dégager dans un contexte de crise, de renchérissement des taux d’intérêt et de baisse de volume des droits de mutation. Certains départements risquent de se retrouver dans une situation explosive. Je veux tout de même rappeler que les dotations que verse l’État ne sont pas de l’argent de poche. C’est le prix du transfert d’une politique. Ne pas réévaluer ces coûts ou baisser les dotations équivaut, pour l’État, à revenir sur des services rendus aux Français, ce qu’il n’assumerait jamais s’il en avait gardé la maîtrise. C’est pour cela qu’il doit arrêter de jouer la défausse ! Et s’il s’obstine, le sentiment de l’incapacité des politiques à régler les problèmes des Français continuera de se développer. Les lois NOTRe et MAPTAM, de par leurs rigidités excessives, sclérosent les collectivités en les enfermant dans un rôle. À la notion de bloc de compétences, il faut substituer celle de chefs de file, bien plus souple, qui permet d’associer les collectivités plutôt que de les opposer, tout en permettant aux Français d’identifier clairement les responsables.

Propos recueillis par Danièle Licata

 

 

 

 

Paroles de maires

RCL
Question :
Un maire, donc OPJ, peut-il l’être en dehors de sa commune ?
Réponses :
Non, il est élu OPJ sur sa commune.
Tous les pouvoirs du Maire en tant que représentant de l'Etat ne lui sont octroyés que sur son territoire.
Non uniquement dans la commune où il est élu maire.

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