À un an des jeux Olympiques de Tokyo, au Japon, et à cinq ans de ceux de Paris, RCL a rencontré Tony Estanguet. Le président du Comité d’organisation des jeux Olympiques est revenu sur le label « Terre de Jeux 2024 », qui a été lancé en juin dernier. « Pour la première fois dans l’histoire des Jeux, on associe l’ensemble du territoire et pas seulement la ville organisatrice. » Une vraie rupture. Rencontre avec le triple champion olympique de canoë monoplace slalom déjà sur les starting-blocks.
RCL : Racontez-nous les jeux Olympiques et Paralympiques (J.O.P.) de 2024 ?
Tony Estanguet : Tout l’enjeu des J.O.P. 2024 est d’en faire un événement pour tous, avec une volonté forte de se différencier des Jeux traditionnels en sortant des sentiers battus, pour que ces 33e Jeux d’été entrent dans l’Histoire. Pour ce faire nous remettons tout à plat, sans forcément rompre avec les traditionnelles épreuves, mais en travaillant chaque détail pour être certain de faire les bons choix. D’ores et déjà, nous avons décidé de sortir des stades les épreuves, une première, et d’utiliser le patrimoine culturel et naturel de notre pays comme théâtre de ces Jeux. C’est ainsi que certaines compétitions se dérouleront dans les jardins du château de Versailles, sur le Champ-de-Mars, au Grand Palais ou encore aux Invalides. Côté programmation sportive, nous tentons également de casser les codes puisque se tiendra une compétition de breaking, une nouveauté. Pour la première fois dans l’histoire des Jeux, Paris 2024 va également ouvrir l’expérience olympique au grand public, et donner la possibilité à chacun de participer à une épreuve comme le marathon, sur le même parcours et dans les mêmes conditions que les athlètes. Une manière de revisiter l’expérience spectateurs, en faisant des Français, les acteurs de ces J.O.P. Ce futur rendez-vous doit marquer toute la population et notamment les jeunes générations.
Avez-vous déjà statué sur les épreuves désignées et les quotas d’athlètes ?
T. E. : Non pas encore. Le calendrier est fixé à décembre 2020. Nous avons un an devant nous pour définir l’ensemble du cahier des charges.
Arrêtons-nous sur le logo : la réaction plutôt vive des Français vous a-t-elle surpris ?
T. E. : J’ai été très impressionné par l’impact national et international que ce nouveau logo a provoqué. Il n’est jamais simple de changer l’identité visuelle, surtout lorsqu’elle est déjà bien installée. Il est vrai que la tour Eiffel avait un impact fort, notamment à l’international. Mais l’ADN de Paris 2024 a changé et le nouveau logo constitue pour le coup un symbole historique. D’abord parce qu’il est le même pour les jeux Olympiques et Paralympiques, mais également parce qu’il est la rencontre de trois grands symboles forts. Le premier, c’est celui de la médaille, symbole du sport et du dépassement de soi, qui atteste notre volonté d’associer les athlètes au projet. Le second, c’est la flamme, symbole ultime des Jeux. Elle se transmet d’édition en édition, et fait le lien entre les nations et les générations, en plus de donner de l’énergie et du souffle. Le troisième symbole enfin, c’est Marianne, une façon de montrer que ce sont les Jeux de la France en faisant référence à cette icône nationale. Associés, ces trois grands symboles forment un visage humain. Un message fort, une façon pour chacun de s’approprier ces futurs Jeux et de véhiculer nos valeurs.
Y a-t-il actuellement des doutes qui planent sur l’événement ?
T. E. : Pour l’heure, nous n’avons détecté aucun signal d’alarme. Les infrastructures sont déjà en place. Le comité d’organisation est en ordre de bataille et nous entrerons plus concrètement dans notre olympiade après les Jeux de Tokyo. Le compte à rebours démarrera alors. Nous mesurons la taille des enjeux, c’est pourquoi nous restons vigilants et enthousiastes à la fois.
Serez-vous en mesure de tenir le budget ?
T. E. : Le budget est en cours d’élaboration. N’oublions pas que nous sommes une organisation privée financée à 97 % par de l’argent privé. Nous avons construit les Jeux sur la base des infrastructures existantes et nous adapterons notre niveau de services en fonction de nos revenus. Ce qui limite les risques de dérapage, c’est une gestion innovante. Ainsi 3 % de fonds publics seront investis exclusivement pour les jeux Paralympiques qui ne bénéficient pas, eux, de financement du CIO [Comité international olympique, NDLR]. En d’autres termes, les J.O. sont financés à 100 % par des fonds privés qui seront entièrement investis, car nous n’avons pas vocation à faire des profits.
Pourquoi dit-on alors que les J. O. P. coûtent cher aux contribuables ?
T. E. : C’est une idée reçue. Les Jeux en eux-mêmes ne relèvent pas de l’argent public. Ce sont les infrastructures nécessaires qui peuvent peser sur le budget de l’État et donc des contribuables. Pour les J.O.P. 2024 de Paris, nous ne solliciterons aucun denier public, car nous adopterons l’organisation des épreuves aux structures sportives, mais également aux transports existants. En espérant que les lignes [de métro] 14, 16 et 17 soient alors opérationnelles. Pour ce qui est de l’accueil des touristes, la capacité touristique de la capitale est largement suffisante.
Vous avez lancé « Terre de Jeux 2024 » dans l’objectif d’engager tous les territoires autour de la dynamique J.O.P. Cet engagement des territoires est-il une des clés du succès ?
T. E. : Oui, car nous souhaitions rompre avec la tradition qui consiste à ce que seule la ville qui organise les Jeux puisse communiquer sur l’événement. En sortant les compétitions des stades nous avons déjà ouvert les Jeux, mais nous souhaitions aller encore plus loin. Notre pays est riche de sa diversité et la carte du sport est nationale, car nos grands champions viennent de tous les territoires. Je suis un exemple puisque j’ai démarré le canoë-kayak dans un petit club de Pau [64]. Très naturellement nous avons fait le choix d’associer toutes les villes de France, petites et grandes, à l’événement. C’est un moyen de mieux valoriser les initiatives sportives sur les territoires, mais aussi leur engagement. L’objectif étant de porter haut et fort la pratique du sport, mais également les valeurs qu’il véhicule. Car en France, nous devons encore relever quelques défis, notamment en matière de santé publique et d’éducation. Et c’est depuis les territoires que les choses peuvent bouger. Les meilleurs partenaires pour le sport en France, aujourd’hui, ce sont d’un côté les clubs et de l’autre les collectivités, parce que ce sont elles qui investissent le plus dans les équipements sportifs de proximité et dans le fonctionnement des associations sportives. On l’oublie trop souvent. Ce label va donc permettre de valoriser les initiatives des collectivités, les « bons élèves », car celles-ci vont pouvoir, pour la première fois, communiquer autour de l’événement grâce à ce label « Terre de Jeux 2024 » qu’elles auront décroché. En contrepartie, elles devront fédérer les clubs, les écoles, en proposant des animations et des événements autour des J.O.P. Pour cela, nous leur mettons à disposition des outils pédagogiques adaptés. Et ce label commence déjà à rencontrer son public puisque nous comptabilisons plus de 500 candidatures.
Quel regard portez-vous sur le système sportif français ?
T. E. : Nous avons, en France, la chance de bénéficier d’infrastructures de bon niveau, des entraîneurs de qualité et de moyens. Reste que tous ces atouts ne sont pas suffisamment optimisés. Du coup, notre pays passe à côté d’opportunités, que d’autres pays ont su saisir. Les conclusions de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] en la matière sont percutantes : chaque 1 investi dans le sport rapporte 6 au pays en économie, notamment en matière de santé, mais également de création de valeur. Concernant le sport amateur, il faut rendre hommage au monde associatif qui ne compte pas ses heures et porte le sport dans nos territoires. Pourtant le sport amateur n’est pas suffisamment valorisé. Notre ambition est d’inverser la tendance. Rien n’est perdu et c’est tout le sens de « Terre de Jeux 2024 ».
Est-ce une question de moyens ? D’éducation ? De culture ou un manque de volonté ?
T. E. : L’accès au sport n’est pas égalitaire et dès le plus jeune âge. Les mentalités peinent à évoluer et les nouveaux modes de vie ne favorisent pas les pratiques sportives dans les classes. La sédentarité chez les enfants et les adolescents est inquiétante, et les cas d’obésité chez les plus jeunes ne cessent d’augmenter. Aujourd’hui, un élève de CM2 court un 800 m en plus de temps que ses parents au même âge. C’est pourquoi, il faut capitaliser sur les grands événements pour donner aux jeunes l’envie de pratiquer un sport, quel qu’il soit. C’est ainsi que nous pourrons faire bouger les lignes. Et c’est notre rôle que de diffuser cette culture et d’essayer d’embarquer davantage les acteurs publics, des maires, au monde associatif en passant par les secrétaires d’État et les ministres pour mettre plus de sport dans les écoles, les quartiers, les entreprises et bien sûr les foyers. Trente petites minutes par jour, c’est un bon début. Voilà l’héritage que nous souhaitons laisser.
Propos recueillis par Danièle Licata
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