Fracture sociale et territoriale, réindustrialisation, souveraineté alimentaire, ressource en eau, gestion des risques climatiques… Carole Delga, présidente de Régions de France et de la région Occitanie, aborde dans l’interview qu’elle a accordée à RCL les enjeux des prochaines années. Rencontre.
RCL : Avec la crise économique que traverse la France comment réduire la fracture sociale et territoriale ?
Carole Delga : En s’attaquant à la réalité des problèmes que rencontrent nos concitoyens, particulièrement dans les zones rurales. Il s’agit d’agir concrètement, en faisant confiance à l’intelligence des gens et à leur souhait de réussir leur vie. Notre rôle, à nous les responsables publics, c’est de créer le cadre favorable à ces trajectoires. En misant sur l’éducation, en premier lieu, et en permettant à chacun par son parcours scolaire de devenir un citoyen, et d’accéder à un emploi de qualité. En soutenant les projets économiques dans tous les territoires de la République pour redonner du sens à la vie locale. En soutenant massivement l’installation de jeunes agriculteurs et en les aidant à renouveler la nature des exploitations. En assurant une présence médicale sur l’ensemble du territoire. En accompagnant l’évolution des besoins du quotidien pour se déplacer, se nourrir, se loger. Il y a des tas de choses à faire. Avec de la volonté et du pragmatisme, on peut gravir des montagnes !
Un des leviers puissants de la croissance est la réindustrialisation de notre pays ; comment faire revenir plus massivement les industries sur notre territoire ?
C.D. : D’abord, grâce aux efforts de tous, et en particulier ceux des régions, la situation a commencé à se redresser. Preuve en est que pour la troisième année consécutive, la France reste la première destination des investissements étrangers en Europe en 2021, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. Les filières et les organisations professionnelles nous le disent, ce dont elles ont besoin c’est de main-d’oeuvre et de compétences adaptées, d’infrastructures de qualité (numérique, mobilités), de foncier disponible, de logements... Ce sont de fait les compétences des collectivités que nous sommes. Je crois aussi profondément à la nécessité, j’en ai discuté avec la Première ministre, d’un changement d’approche de l’État sur les politiques industrielles. L’État est bien dans son rôle de stratège en lançant des grands plans de relance et d’investissement (« France 2030 »), mais il doit apprendre à faire plus confiance aux acteurs locaux, notamment les régions et les EPCI, à déléguer quand il le faut et à davantage s’appuyer sur les écosystèmes territoriaux qui connaissent le mieux les forces et atouts de leurs territoires, et sont les mieux placés pour porter, au plus près des entreprises, des salariés et des citoyens, les projets de réindustrialisation de notre pays.
Souveraineté alimentaire, revenu des agriculteurs, pouvoir d’achat des consommateurs… quelle est la bonne équation, celle qui profite à tous ?
C.D. : L’équation est complexe justement ! Mais toutes les données sont effectivement liées ! Sans un meilleur revenu des agriculteurs, nous n’arriverons pas à attirer des candidats à l’installation. Or, près d’un agriculteur sur deux doit partir à la retraite dans les dix ans. Et si nous ne renouvelons pas ces agriculteurs, nous diminuons notre capacité de production et donc notre sécurité alimentaire, c’est déjà le cas en élevage : le manque de renouvellement se traduit pour le lait, par une baisse des volumes de collecte. Et derrière, c’est notre industrie agroalimentaire, donc nos emplois dans les territoires qui sont menacés. Et plus nous dépendrons de l’extérieur, plus les aléas climatiques, les cours mondiaux feront fluctuer et augmenter les prix au consommateur, il ne faut pas se leurrer. Donc la bonne équation qui profite à tous, c’est de mettre « le paquet » sur le renouvellement des générations d’agriculteurs, tout en n’abandonnant pas l’objectif de transformation des systèmes agricoles, sur lequel nous avons déjà beaucoup investi et qui reste indispensable à moyen et plus long terme.
Les préoccupations environnementales, telles que la ressource en eau, la forêt, la gestion des risques climatiques sont autant de sujets qui touchent de près les territoires ; les mesures sont-elles à la hauteur des enjeux ?
C.D. : Les incendies qui ont ravagé la France cet été, et je pense particulièrement à celui de la Gironde, démontre l’urgence à agir… De même que les tempêtes, inondations ou grêle, qui ravagent chaque année nos cultures. Cela a un impact fort sur l’effondrement de la biodiversité et sur le quotidien des Français : logement, transports, etc. avec un coût énorme pour la puissance publique. Il faut sortir d’une logique de réparation une fois que les impacts sont là car on ne saura pas faire face. L’échelle de la région est pertinente pour anticiper ces grands changements, créer des synergies et apporter des réponses coordonnées. Or, force est de constater que les mesures ne sont pas à la hauteur : c’est, par exemple, valable pour la prévention et la lutte contre les incendies, avec des moyens humains mais aussi matériels insuffisants et à renouveler. C’est également le cas pour l’eau avec la difficulté à doter les territoires d’infrastructures de stockage, pour assurer une conciliation des usages et sécurité d’approvisionnement. Nous avons besoin d’investir massivement dans des outils de prévention et aussi de clarifier et simplifier la gouvernance et les procédures pour être les plus réactifs et pragmatiques possible.
L’Occitanie a l’ambition de devenir la première région à énergie positive d’Europe : quelles sont les mesures pour y parvenir ? Vous avez présenté récemment le plan régional pour le « pouvoir de vivre » et la souveraineté » quelles sont les mesures phares ?
C.D. : Depuis 2016, j’ai engagé l’Occitanie sur le chemin de la sobriété et de la production d’énergie renouvelable. Pour que chaque habitant ait la possibilité de moins consommer, nous avons massivement investi dans le ferroviaire avec la réouverture de petites lignes, l’augmentation du nombre de trains et la baisse des tarifs des transports, qui sont aujourd’hui les moins chers de France. Comme le train et les transports en commun ne passent pas partout, nous accompagnons également fortement l’acquisition de véhicules électriques, qu’il s’agisse de voiture ou de vélo. Enfin, avec l’écochèque logement, nous soutenons la rénovation énergétique des habitats permettant l’économie des ressources et le gain de pouvoir d’achat. Ces mesures ont été renforcées dans le récent plan régional pour le pouvoir de vivre et la souveraineté, en s’ouvrant notamment à l’aide à l’acquisition de véhicule électrique neuf pour les particuliers et pour les commerçants de notre territoire. Mon ambition est claire : concilier.
Comment se porte la région Occitanie : ses atouts, ses faiblesses ?
C.D. : La transformation est engagée en Occitanie. C’est ce pour quoi je me lève tous les matins et je me bats pour emmener toutes les forces de notre territoire. Je travaille avec tout le monde, pour que l’Occitanie soit une terre d’expérimentation qui permette de déployer un nouveau modèle de développement, pour que nos habitants vivent mieux, quelle que soit leur origine sociale et territoriale. Avec volontarisme et en appliquant toujours la même méthode – écouter, rassembler, agir – nous obtenons collectivement des résultats : la création d’une importante filière de production d’hydrogène vert avec l’implantation d’entreprises telles que Genvia à Béziers, le recrutement de médecins dans les déserts médicaux en s’associant aux intercommunalités et aux départements, la rentrée la moins chère de France avec des transports scolaires, des ordinateurs et des manuels scolaires gratuits. En matière d’éducation, je souhaite également mieux travailler avec l’académie, les entreprises, les départements et les intercommunalités pour offrir aux jeunes de véritables perspectives d’orientation et contrecarrer ainsi les effets pervers de Parcoursup. En politique, le volontarisme paie et seuls les actes comptent. Je m’y emploie pour donner toutes les chances de réussites à nos jeunes, ainsi qu’à nos entreprises.
Quel(s) message(s) souhaiteriez-vous adresser au nouveau gouvernement ?
C.D. : Avec la perte de la majorité absolue à l’Assemblée nationale, l’exécutif a perdu sa courroie de transmission quasi-automatique. Pour que le pays ne soit pas bloqué, le gouvernement doit à présent s’appuyer sur toutes les forces vives de notre pays. Au Parlement bien sûr, mais aussi dans la société civile et surtout, dans les collectivités locales. Elles connaissent les problèmes de nos concitoyens, et peuvent y apporter des solutions efficaces. Si l’État décidait enfin de s’appuyer sur les élus locaux, notre pays franchirait une étape très positive, avec des retombées qui conduiraient naturellement à un vrai renouveau démocratique. Et il n’est pas nécessaire de tout chambouler pour y arriver. C’est avant tout une question de pratique. Élisabeth Borne semble prête à prendre ce virage. Nous attendons les actes.
Propos recueillis par Danièle Licata
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