Marc Le Fur : "Que nos ministres cessent de négliger notre réseau d'élus locaux !"

L'élu et le citoyen
09 avril 2020

Sans langue de bois, Marc Le Fur, vice-président de l’Assemblée nationale a répondu aux questions de RCL au moment où se votait la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19. Pour le député,
« la défaillance de l’État dans cette crise se situe sans doute dans l’absence de plan préétabli intégrant le rôle des collectivités ». Explications.

RCL : Sénateurs et députés ont définitivement adopté le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19; l’exécutif a préféré passer par le Parlement pour donner de nouveaux moyens d’action à l’État: est-ce une bonne chose? N’aurait-il pas été plus simple de recourir à une législation existante comme l’état d’urgence ?

Marc Le Fur : Je crois que tout ce qui associe le Parlement à l’action de l’exécutif est positif. L’état d’urgence, conçu pendant la guerre d’Algérie, a été mis en œuvre en France dans des situations de très grande violence, comme lors des attentats de 2015. Il permet, notamment de façon exceptionnelle et temporaire, de dessaisir la justice de certaines de ses prérogatives. Était-ce vraiment adapté à la situation? Sans doute pas. L’état d’urgence sanitaire à l’intérêt d’établir un comité scientifique qui est une sorte d’assistance institutionnelle au gouvernement sans que le scientifique ne se substitue au politique. On sait l’importance de l’état de la connaissance scientifique dans ce type
de crise. Dans tous les cas, il était crucial d’invoquer l’urgence pour faire face de façon concrète. Cela s’est fait en provoquant un débat et un vote au Parlement, c’est une bonne chose. Il est important que l’action menée par l’exécutif, même dans un cadre exceptionnel, se fasse sur des bases légales et démocratiques.

Cette crise met en lumière des défaillances de l’État, en l’occurrence la pénurie des masques, de tests et de gel. Quel regard l’Assemblée porte sur cette situation ? Cette épidémie agit-elle comme un révélateur des faiblesses de l’État? Au fil des années, celui-ci aurait-il perdu sa culture de crise?

M.L.-F.: Notre pays et nos dirigeants avaient oublié que l’Histoire est tragique. La première mission de l’État est de protéger, de répondre aux crises. Il faut pour cela avoir une vision du long terme. Le monde
politico-médiatique se limitait à l’extrême court terme: j’entends encore les députés de La République en Marche qui, arrivant en 2017, ne nous parlaient que de start-up. Oubliant que l’Histoire est tragique, oubliant que la crise est toujours possible, nos dirigeants successifs, à partir de 2012, n’ont pas considéré prioritaire de constituer des réserves stratégiques de masques ou de ré- actif pour les tests, ou les plans stratégiques pour produire du gel hydroalcoolique. En 2012, nous avions 1,4 milliard de masques en réserve. Chacun se souvient des critiques qui s’étaient abattues sur Roselyne Bachelot à l’époque. L’État se doit de n’être ni obèse ni faible, il se doit d’être musclé et réactif, et pour utiliser la novlangue du moment, agile et résilient. Il doit, surtout, réapprendre le long terme et cesser de vivre dans l’immédiateté du sondage quotidien.

Dans cette période, on dit couramment qu’il faut que « l’État tienne »: mais peut-il tenir seul ? Quel rôle pour les collectivités locales, relais de proximité, dans ces crises ?

M.L.-F.: Dans une crise, le long terme est déterminant, mais la proximité est également cruciale. De ce point de vue, nous avons la chance de disposer d’un réseau d’élus locaux extrêmement dense: que nos ministres cessent de les négliger ! Les maires et les adjoints, sont légalement des agents de l’État. En cela, ils ne demandent qu’à appliquer et adapter, en période de crise, les consignes qui émanent de l’État, donc du gouvernement, à la condition que celles-ci soient claires et cessent d’être contradictoires.
Dans la crise qui nous occupe, on a vu en revanche que, face à la carence de masques, les collectivités ont pris l’initiative de faire elle-même des commandes, parfois jusqu’en Chine. Il y a eu dans ce domaine un moment de flottement. Qui devait commander, l’État et/ou les collectivités? Dans quel périmètre ? Uniquement pour les agents du ressort de la collectivité ou en élargissant le périmètre aux professionnels de santé, voire à toute la population ? La défaillance dans cette crise se situe sans doute dans l’absence de plan préétabli intégrant le rôle des collectivités. Les gouvernants, après avoir caricaturé les collectivités territoriales comme dépensières et irresponsables, se doivent de revoir fondamentale- ment leur logiciel. Cela est encore plus vrai pour la majorité parlementaire qui est très ignorante de la réalité locale et de la vie des collectivités, tout simple- ment parce qu’elle n’en a pas l’expérience. Certains, à l’époque, avaient même jugé opportun de caricaturer ces collectivités. On se souvient du hashtag #balancetonmaire sur les réseaux sociaux. Un préfet sait à quel point il peut et doit compter sur les collectivités. Nos gouvernants ont, soit perdu, soit n’ont jamais eu cette culture. C’est sans doute là que le bât blesse.

Selon le lieu où ils habitent, selon leur profession, les Français ne sont pas égaux devant cette crise : ne pensez-vous pas que celle-ci pourrait faire resurgir ou accentuer des fractures territoriales (densité hospitalière, zones blanches), ou sociales (faculté de pratiquer le télétravail, prise de risque pour les professions manuelles) ?

M.L.-F.: Il est évident que cette crise révèle encore plus les « fractures françaises » comme dirait Christophe Guilluy ou « l’archipel français » comme l’écrit Jérôme Fourquet. Parmi ces fractures les plus criantes, il y a celle des déserts médicaux, de la couverture du territoire par la fibre optique, de la couverture mobile. Comment voulez-vous qu’un enfant puisse suivre des cours par Internet lorsque le logement qu’il habite n’est pas couvert par le très haut débit. Mais plus profondément encore, cette crise révèle des plaies plus béantes dans la société française. Ainsi, dans mon territoire, je vois des salariés qui travaillent dans l’industrie agroalimentaire, ou dans les services sanitaires et sociaux. Ils ont des salaires modestes et sont les mêmes qui ont été sensibles, au moins au début, au discours des « Gilets jaunes ». Aujourd’hui, ces Français qui sont « de quelque part » – des « somewhere » selon la classification Somewhere/ anywhere de David Goodhart – continuent de travailler dans leur structure, malgré le confinement, et parce que c’est indispensable pour les autres. Et ils voient arriver des « anywhere », ces nomades modernes, qui pour certains d’entre eux viennent de région parisienne, qui redécouvrent les vertus de la vie de province. On assiste à des phénomènes compa- rables à l’exode de 1940. On estime que 17 % des Parisiens ont fui Paris à l’occasion de cette crise (source Orange). Ces mêmes « anywhere » sont en mesure de faire du télétravail et de trouver refuge à la campagne. Imaginez l’état d’esprit des « somewhere » à qui ces mêmes « anywhere » en la personne de Raphaël Glucksmann disaient il y a peu: « Quand je me rends à New York ou à Berlin, je me sens plus chez moi culturellement que quand je me rends en Picardie. » Il va falloir qu’ils s’habituent aux sons des cloches, au cri du coq, à l’élevage, au faible débit Inter- net, à la nécessité vitale d’avoir une voiture. On voit là la légèreté des débats qui ont occupé les médias et les élites depuis de nombreux mois. Un exemple parmi d’autres: jusqu’avant la crise, l’agri- culture était perçue un peu comme un gêneur pol- lueur. Désormais on se rend compte que nourrir les Français est non seulement une priorité, mais n’est pas une évidence. Cela exige une organisation et un professionnalisme qu’il nous faut valoriser. Comme dans toutes les crises, on revient à l’essentiel et les modes s’évaporent.

Dans cette crise mondiale, la France a-t-elle un avantage par rapport aux autres pays ? L’Europe a-t-elle montré son utilité à cet égard ?

M.L.-F.: On ne pourra apprécier la manière dont notre pays a géré la crise sanitaire qu’au terme de celle-ci, quand on comparera les résultats et, en particulier, les mortalités entre les différents pays européens. La France, même si la démonstration est faite qu’elle était très mal préparée, a pu réagir grâce aux institutions que nous devons au général De Gaulle. L’Union européenne a, de toute évidence, échoué dans la gestion de l’urgence sanitaire. Réussira-t-elle à être efficace pour lancer la reprise ? De la réponse à cette question résultera l’avenir de l’Europe qui, on l’aura désormais compris, je l’espère, ne peut se faire sans les États ou les territoires.

L’objectif premier de l’Europe ne peut plus être la seule libre circulation des personnes et des biens. Elle doit se réformer fondamentalement: qui peut préconiser aujourd’hui l’application des 3 % résultant du pacte de stabilité résultant des Accords de Maastricht? Comment l’Union européenne va-t-elle participer au rebond nécessaire une fois que la crise sanitaire sera maîtrisée? Avec quels moyens? Quel va être le rôle la Chine dans ce monde d’après? Comment vont réagir les États-Unis? Comment vont fonctionner, ou pas, les institutions européennes dans ce contexte? Ne va-t-on pas voir ces institutions se réduire au Conseil européen, c’est-à-dire aux relations entre États, au concert des nations? Ce qui est certain, c’est que l’Union européenne ne pourra plus considérer l’État comme une survivance du passé. Qu’on le veuille ou non, les frontières existent. Ainsi, dans une très grande majorité de pays de l’Union, à l’exclusion de la France, ces dernières se sont fermées naturellement lors de cette crise sanitaire sans que l’on oppose à cela la liberté de circulation des biens et des personnes. Personne ne conteste aujourd’hui la fermeture des frontières, alors même que c’était perçu, il y a de cela quelques jours encore, par le président de la République comme une dérive nationaliste. La crise permet de restituer les priorités qui doivent être les nôtres au niveau du pays comme au niveau du continent: protection des Français, long terme, solidarité locale, proximité.

Propos recueillis par Danièle Licata

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Question :
Un maire, donc OPJ, peut-il l’être en dehors de sa commune ?
Réponses :
Non, il est élu OPJ sur sa commune.
Tous les pouvoirs du Maire en tant que représentant de l'Etat ne lui sont octroyés que sur son territoire.
Non uniquement dans la commune où il est élu maire.

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