"Les politiques nationales se décident dans les territoires"

L'élu et le citoyen
04 septembre 2019

Tout juste nommée à la Transition écologique, Élisabeth Borne, qui conserve par ailleurs son poste à la tête du ministère des Transports, nous a reçu en dépit de son agenda surchargé, tant les dossiers qui l’attendent ne manquent pas : loi climat, loi mobilité, loi « pour une économie circulaire ». Rencontre avec celle qui a travaillé au cabinet de Ségolène Royal, au ministère de l’Environnement, avant de présider la RATP.

RCL : Alors que députés et sénateurs sont parvenus à un compromis sur le projet de loi énergie climat, votre premier grand chantier démarre. Comment comptez-vous répondre aux objectifs fixés par la loi ?

Élisabeth Borne : Tout d’abord, ce compromis est une bonne nouvelle pour le climat et une bonne nouvelle pour les Français, puisque cette loi va être adoptée dès la rentrée. Nous avons maintenant les moyens de répondre aux objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés, notamment la neutralité carbone d’ici à 2050. Et de ce fait, la France est le premier pays d’Europe à inscrire cet objectif dans la loi. Pour répondre à votre question, il ne suffit pas, en effet, de voter des objectifs, il faut se donner les moyens et les leviers nécessaires pour les atteindre. C’est ce que nous faisons en accélérant la réduction des énergies fossiles pour relever trois défis : celui du climat, celui de la souveraineté – car ne plus dépendre des énergies fossiles est stratégique –, mais également celui du pouvoir d’achat. Pour ce faire, nous allons accélérer le développement des énergies renouvelables et donner un nouveau cadre législatif afin de lutter contre les passoires thermiques. Car notre volonté est de trouver des solutions concrètes aux Français confrontés à des logements énergivores, qui induisent des factures d’énergie bien trop élevées. Autre point important de cette loi : nous faisons de l’énergie-climat un véritable thème de débat démocratique. Tous les cinq ans, nous débattrons au Parlement des objectifs et des moyens de cette politique. Et le Haut Conseil pour le Climat, une voix scientifique et indépendante, que le président de la République a souhaité mettre place, pourra évaluer l’efficacité de nos politiques au regard des objectifs que l’on s’est donnés.

Selon une enquête récente de l’Ifop- Primagaz, seulement quatre Français sur dix jugent crédibles l’objectif de réduction d’émissions de CO2 d’ici à 2050. Comment les rassurer ?

E. B. : Les résultats de ce sondage montrent que les Français n’attendent pas seulement des objectifs, mais bien des actes concrets. Et puis, ils attendent aussi d’être mieux associés aux mesures et aux décisions que nous prenons pour eux. Pour cela, il nous faut écouter leurs préoccupations et leurs besoins et leur apporter des réponses qui soient davantage des solutions clés en main simples au quotidien et abordables. Enfin, ne perdons pas vue que l’on peut baisser nos émissions de gaz à effet de serre, nous l’avons prouvé entre 2017 et 2018. Certes, de façon modeste, mais nous avons démontré qu’il n’y a pas de fatalité.

Il vous faudra également convaincre le Haut Conseil pour le Climat, qui a récemment épinglé la France pour ses « actions insuffisantes »…

E. B. : Le Haut Conseil pour le Climat, que nous avons voulu créer, nous éclaire de façon indépendante sur nos actions ; il est parfaitement dans son rôle. L’essentiel, c’est qu’il n’y a aucun doute sur les ambitions climatiques du gouvernement. C’est la priorité de l’acte 2 du quinquennat, comme l’ont exprimé le président de la République, et le Premier ministre dans son discours de politique générale. Notre cap est fixé, c’est celui de l’Accord de Paris, et nous avons déjà engagé des actions fortes : l’arrêt de la production d’énergie à base de charbon en 2022, la prime à la conversion pour 1 million de ménages pour rouler plus propre. Mais ma conviction profonde depuis que je suis au gouvernement, est qu’il ne suffit pas d’aligner des mesures pour réussir la transition écologique. La réussite repose sur l’engagement de toutes les parties prenantes : collectivités, entreprises, partenaires sociaux et citoyens, et à la condition de ne laisser personne sur le bord du chemin. C’est pourquoi j’attends beaucoup de la convention citoyenne, qui réunira 150 citoyens tirés au sort, et qui commencera ses travaux à la rentrée.

Vous avez piloté la loi d’orientation des mobilités (LOM). Comment peut-elle répondre aux inégalités territoriales en matière de mobilité ?

E. B. : Ce projet de loi marque une remise à plat complète de notre politique de transport avec un objectif majeur : faciliter les transports du quotidien et de tous. Ce qui implique qu’ils doivent être à la fois plus faciles, moins coûteux et plus propres. Cette loi est une réponse concrète aux fractures et au sentiment d’injustice qui dominent dans notre pays qui avance à deux vitesses et dans lequel nous avons construit des TGV pour les métropoles, mais nous avons laissé depuis des décennies les réseaux ferroviaires et les routes se dégrader. Cela a rendu les transports du quotidien de plus en plus difficiles pour des Français qui habitent de plus en plus loin de leur lieu de travail. La crise des « Gilets jaunes » a confirmé ce diagnostic, que nous avions posé dès le début du quinquennat. Par ailleurs, cette loi répond également à l’urgence environnementale puisqu’elle engage le transport, premier secteur à émetteur de gaz à effet de serre, dans la transition écologique. Enfin j’insiste sur le fait que cette loi marque un véritable changement de méthode puisque nous sommes partis des besoins exprimés par les territoires. C’était tous le sens des Assises nationales de la mobilité qui ont été un moment de débats riches entre tous les acteurs.

Comment sortir de la dépendance automobile quand dans les territoires les populations sont souvent condamnées à résidence ?

E. B. : En changeant de modèle, c’est vital à double titre. Tout d’abord parce que le tout-voiture est une impasse qui écarte bon nombre de Français de la mobilité, car elle coûte cher. Elle est aussi une impasse écologique, puisqu’elle pèse lourdement sur nos émissions de gaz à effet de serre. L’objectif de la loi LOM est d’offrir à tous les territoires des alternatives à l’usage individuel de la voiture. Et lorsque c’est impossible, de développer le covoiturage ou de permettre de passer à une voiture plus propre grâce à la prime de conversion. Je refuse le discours fataliste selon lequel il n’y aurait pas de solutions dans les territoires ruraux. Les élus nous prouvent tous les jours l’inverse.

Avec 13,4 Md prévus pour les investissements dans les infrastructures de transports, puis 14,3 Md supplémentaires à moyen terme. Quelles sont vos priorités ?

E. B. : L’investissement est un des piliers de la loi LOM et de nos actions. Car ces dernières décennies, la politique d’investissement s’est résumée au tout-TGV au détriment des investissements du quotidien, conduisant ainsi au sentiment d’abandon dans bon nombre de territoires. Changement de paradigme : nous allons investir 13,4 Md sur les cinq années. C’est 4 Md de plus que lors du précédent quinquennat. Une enveloppe consacrée en priorité aux transports du quotidien, notamment en remettant en état nos réseaux ferré et routier. C’est inédit par les montants et les priorités que nous fixons. Nous allons consacrer 30 % de plus sur dix ans à la remise en état de nos routes et 50 % de plus sur le transport ferroviaire. Nous allons également renouveler tous les trains Intercités ce qui représente un investissement de 3,7 Md et investir pour mettre beaucoup plus de trains du quotidien autour des grandes métropoles, à l’image des RER autour de Paris. Ce ne sont pas moins de 2,6 Md qui y seront alloués. Autre priorité : un plan de désenclavement du monde rural d’environ 1 Md . Il était temps de recréer la confiance que les élus ont perdue à force de promesses non tenues et non financées. Aujourd’hui, avec cette programmation, nous avons une feuille de route claire sur le quinquennat, financée, et qui aura été débattue au Parlement, ce qui est là aussi une première.

Pour certains, la loi LOM est une boîte à outils, ce qui sous-entend que la mobilité reste à construire. Vous leur répondez quoi ?

E. B. : Je revendique qu’elle soit une boîte à outils. Le sens de la loi, c’est de reconnaître que les problèmes et les solutions ne sont pas les mêmes partout, et qu’il faut donner des outils aux élus adaptés à la réalité de leur territoire. Ma volonté, c’est que l’on encourage partout le développement de nouvelles solutions à la fois plus simples, mieux adaptées et moins coûteuses, notamment dans le monde rural : le covoiturage, le transport à la demande, les véhicules électriques en libre-service, le vélo ou encore les navettes autonomes. La loi va offrir aux élus un cadre législatif et des moyens financiers adaptés à leurs besoins. Nous consacrons, par exemple, une enveloppe de 500 M sur le quinquennat de soutien à l’investissement local pour accompagner les collectivités dans leurs projets ; nous déployons aussi des appels à projets et à expérimentations. Et j’y crois parce que les territoires débordent d’énergies et d’imagination. Dans le cadre de la démarche que j’ai lancée, « France Mobilités », nous accompagnons aujourd’hui déjà 80 territoires qui déploient de nouvelles solutions, que nous avons recensées sur une plate-forme en ligne pour que les porteurs de projets rencontrent les territoires et que les bonnes idées se diffusent, et soient source d’inspiration pour d’autres élus.

Vous avez également en charge le projet de loi « pour une économie circulaire ». Comment comptez-vous impliquer les maires dans l’objectif qui est de promouvoir davantage le recyclage dont le plus médiatique est le rétablissement de la consigne pour les bouteilles plastiques ?

E. B. : Le recyclage est une attente forte de nos concitoyens puisque sur les 150 000 contributions autour de la transition écologique lors du grand débat, 70 000 mentionnaient la question des déchets : pas assez triés, pas assez collectés, pas assez recyclés ou revalorisés. Le président de la République a annoncé la volonté de tendre vers 100 % de plastique recyclé d’ici 2025. Une fois de plus, les élus auront un rôle central pour relever ce défi. Un comité de pilotage a été lancé par Brune Poirson qui définira les conditions et les modalités d’un dispositif de consignes. Et, évidemment, dans ce comité de pilotage, les collectivités jouent un rôle majeur tout comme les fabricants, les associations et les entreprises de recyclage. Les élus seront associés à toutes les étapes, de la construction et de la mise en oeuvre de la consigne pour les bouteilles plastiques. Là encore, il existe des bonnes idées à aller chercher dans les territoires à la fois sur la gestion des déchets, mais aussi sur la meilleure façon de sensibiliser les habitants.

Face à la canicule, comment rassurer les Français ?

E. B. : Ces épisodes de canicule nous rappellent que le réchauffement climatique n’est pas une théorie, mais bien une réalité. La prise de conscience a énormément progressé ces derniers mois. Ces épisodes nous confirment qu’il faut agir durant les pics de chaleur en organisant notre pays pour y faire face, mais, surtout, qu’il ne faut plus relâcher nos efforts tout au long de l’année. C’est de notre responsabilité collective de rendre les transports plus propres, de réduire la consommation d’énergies fossiles, d’augmenter les énergies renouvelables. En un mot, il nous faut à la fois nous adapter aux conséquences du changement climatique, mais il nous faut aussi agir pour limiter son ampleur.

Quel message souhaitez-vous adresser aux maires impliqués plus que jamais dans tous vos chantiers ?

E. B. : J’ai la conviction que les solutions ne s’inventent pas à Paris, mais dans l’écoute et le dialogue avec les territoires, et leurs élus. C’est ma méthode depuis toujours. Je veux que nous puissions accompagner les collectivités en apportant les bonnes réponses, les bons outils, qui répondent vraiment à leurs besoins, dans toute leur diversité.

Propos recueillis par Danièle Licata

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Question :
Un maire, donc OPJ, peut-il l’être en dehors de sa commune ?
Réponses :
Non, il est élu OPJ sur sa commune.
Tous les pouvoirs du Maire en tant que représentant de l'Etat ne lui sont octroyés que sur son territoire.
Non uniquement dans la commune où il est élu maire.

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