Quelques jours seulement après sa nomination, la RCL a rencontré Julien Denormandie, le nouveau Ministre chargé de la Ville et du Logement. Sa vision ? Une approche territorialisée des politiques du logement, basée sur la confiance avec les acteurs du territoire, soutenue par des outils de pilotage innovants et des partenariats d’acteurs locaux, comme principale réponse à la crise du logement en France.
RCL : Après avoir frôlé les 500.000 logements neufs en 2017, on constate un ralentissement de la production à l’œuvre depuis la mi-2017. Doit-on croire encore à ce fameux « choc de l’offre » promis par le Président de la République ?
Julien Denormandie : Le gouvernement actuel se donne les moyens d’aider les élus locaux à construire ou à rénover là où c’est nécessaire. Oui, aujourd’hui le manque de logements est criant, mais pas sur tous les territoires. Mon action depuis dix-huit mois est totalement tournée vers l’apport de solutions qui vont permettre aux élus locaux et à l’ensemble des acteurs du secteur de construire plus et moins cher là où sont les besoins, mais aussi de rénover les logements sur les territoires le nécessitant. La loi logement (ELAN) a été adoptée à la fois à l’Assemblée et au Sénat avec deux majorités différentes. C’est un signal fort : celui d’une loi efficace partant des réalités de terrain. Cette loi apporte des solutions nouvelles et marque un véritable changement de méthode. Je pense, par exemple, aux recours abusifs dans le contentieux de l’urbanisme, auxquels les élus locaux sont si souvent confrontés et qui bloquent des projets de construction. La loi logement leur apporte une réponse concrète. Je pense aussi au Code de la construction, bien trop complexe, que nous allons totalement réécrire. Je pense également au projet partenarial d’aménagement (PPA) ou aux opérations de revitalisation du territoire (ORT) que l’on a introduits dans la loi et pour lesquelles les maires sont les pilotes au quotidien. Ces nouveaux outils reposent sur deux convictions : la première est qu’il faut laisser le permis de construire entre les mains des maires parce que ce sont eux qui font la ville. La deuxième est qu’il faut privilégier le projet à la procédure. Durant des années, les gouvernements successifs ont ajouté procédures aux procédures, autant d’empilement de textes qui découragent les initiatives locales et freinent les projets. Or, je ne crois pas qu’une politique d’aménagement du territoire efficace puisse reposer sur un millefeuille de procédures. En revanche, je crois fermement que l’on parviendra à apporter des réponses à la crise du logement si l’on développe des projets ambitieux et partenariaux mobilisant tous les acteurs du secteur, et en chef de file, les élus locaux. L’enjeu est aujourd’hui que la loi logement entre en vigueur le plus rapidement possible. J’y veille avec beaucoup de détermination et d’énergie. D’ailleurs, je me suis engagé à ce que les décrets soient finalisés dans les six mois. Pour autant, la loi logement n’est pas une finalité en soi ; elle apporte des outils et des solutions opérationnelles. Ce que je mets en œuvre avant tout, ce sont des politiques publiques qui visent à améliorer l’habitat des Français. Le programme « Action cœur de ville », que nous mettons en œuvre avec Jacqueline Gourault, est l’illustration même de la politique de rénovation des centres-villes que nous souhaitons mener avec tous les acteurs du secteur en donnant ainsi aux territoires les moyens de réaliser leurs projets. Nous avons dédié 5 milliards d’euros à ce projet. Un budget conséquent qui devrait permettre aux élus locaux qui entreprennent la revitalisation de leur centre-ville d’avoir les moyens de leurs ambitions.
RCL : Comment caractériseriez-vous la situation du logement en France ?
J. D. : La situation aujourd’hui est différente d’un territoire à l’autre. Imaginez que nous construisons en 2018 autant que dans les années 80. Reste que depuis, nous comptabilisons 10 millions de Français en plus, sans compter l’évolution de la structure des ménages (divorce, recomposition familiale,…) qui créent de nouvelles attentes. La demande de logements évolue aussi territorialement avec des zones de fortes tensions et d’autres où la vacance s’accentue et les commerces ferment. Les territoires sont contrastés et notre réponse doit le prendre en compte. Et c’est précisément pourquoi il faut faciliter la construction ou la rénovation pour permettre à l’ensemble des acteurs de lancer des programmes adaptés aux territoires plus facilement. L’autre enjeu est de construire moins cher. N’oublions pas que pour certains foyers, le logement représente jusqu’à 40 % de leurs revenus. Construire moins cher, c’est favoriser le logement abordable car je ne me résoudrai jamais à des centres-villes réservés aux plus favorisés. Enfin, il y a une attente croissante pour la qualité du logement face aux enjeux de la transition écologique, du vieillissement de la population ou encore du numérique. Là aussi, la stratégie logement met en avant un plan de rénovation énergétique de près de 14 milliards d’euros€et la mobilisation des acteurs autour du logement connecté au service d’un habitat adapté au besoin de chacun.
RCL : Tous les enjeux que vous décrivez, sont-ils réalisables sans normes supplémentaires ?
J. D. : Oui et c’est absolument essentiel. Nous en avons pris l’engagement. Avec la loi logement, nous changeons totalement d’état d’esprit. Le Code de la construction est aujourd’hui excessivement prescriptif de solutions techniques. Les textes réglementaires spécifient parfois le diamètre des câbles ou l’épaisseur des couches insonorisantes.! Bilan, les solutions novatrices ne peuvent pas accéder au marché de l’habitat alors même que les défis de la transition écologique et de l’habitat connecté demandent de regarder la question autrement. Ce que je veux, c’est passer d’une posture d’un Etat qui prescrit dans les moindres détails à une posture d’un Etat qui fixe la qualité et fait confiance au marché pour atteindre cette qualité.: le code de la construction fixera des objectifs de résultats et les acteurs du marché pourront mettre en œuvre les solutions techniques adaptées aux projets. C’est une façon de passer d’une économie de rattrapage à une économie d’innovation en promouvant les nouveaux matériaux pour faciliter la construction avec un prisme écologique très fort. C’est pour toutes ces raisons que j’ai demandé la réécriture complète du code de la construction qui sera terminé en 2020. Le travail a déjà débuté et il est mené avec les professionnels.
RCL : Le président Macron a promis la fin des
« vaines » dépenses budgétaires, ces fameux 42 milliards d’euros d’aides au logement. Quelles sont les grandes lignes budgétaires de la politique du logement « made in Macron » ?
J. D. : Fondamentalement, la question revient à se demander comment nous pouvons faire mieux sans dépenser plus et réussir à relever le double défi que nous nous sommes lancés : construire et rénover. Ces 42 milliards d’euros que vous évoquez, tiennent compte des dispositifs fiscaux comme le prêt à taux zéro et le Pinel. Nous avons revu l’an dernier toutes ces mesures qui étaient censées s’interrompre fin 2017, et j’ai alors pris l’engagement de les reconduire, en grande majorité, pour quatre ans pour faciliter la construction neuve en zones tendues et la rénovation ailleurs. Car il est important de donner de la visibilité aux acteurs : la visibilité, c’est la confiance et donc des projets de territoire. Sur les autres types de dépenses, nous sommes convaincus qu’il est possible de les rendre plus justes et plus efficaces. Prenons les APL : en fixant le mode de calcul sur les revenus de l’année en cours et non plus sur les revenus d’il y a deux ans, nous mettons un place un mécanisme plus juste qui donne à chacun ce dont il a besoin en fonction de ses revenus actuels. C’est aussi un mécanisme plus efficace qui permet de faire des économies. Dans le même temps, nous menons de vraies politiques publiques afin d’accompagner les acteurs du secteur. Je pense aux mesures de soutien de la Caisse des Dépôts pour accompagner la réforme ambitieuse portée avec les bailleurs sociaux. Je pense à « Action cœur de ville » mais aussi à la rénovation urbaine, où pas moins de 10 milliards d’euros sont engagés avec nos partenaires. Quant au plan « Initiative Copropriétés » lancé à Marseille, il témoigne de la grande mobilisation nationale en faveur du renforcement de la lutte contre les copropriétés dégradées et pour l’amélioration de la qualité de vie de leurs habitants. Cette politique inédite et ambitieuse coûtera 3 milliards d’euros. Toutes ces nouvelles politiques, nous les menons main dans la main avec les élus locaux. C’est cela, notre méthode : faire confiance aux hommes de terrain.
RCL : Revenons sur le plan « Action cœur de ville »?
J. D. : C’est d’abord un choix de politique fort de nous focaliser sur les villes de taille moyenne, ces parentes pauvres des politiques du logement depuis 40 ans. L’opération est le reflet de notre nouvel état d’esprit. En effet, ce sont les élus locaux qui, à travers ces opérations, vont faire émerger des projets qui seront financièrement soutenus par l’Etat et ses partenaires dont Action Logement, la Caisse des Dépôts et l’ANAH. Comme je disais, c’est un plan ambitieux de 5 milliards d’euros. Habitat, commerces, transport et mobilité, offre éducative, culturelle, outils numériques… Il vise à redonner de l’attractivité et du dynamisme aux centres de ces villes. En moins de six mois, 182 conventions ont déjà été signées sur les 222 villes associées au projet. Pour les autres villes, qui ont elles aussi des besoins, nous avons mis en place des nouveaux outils dans la loi logement, comme l’opération de revitalisation du territoire.
RCL : La transition numérique, pilier du plan « action publique 2022 » du gouvernement : comment lever les freins opérationnels et garantir un déploiement massif du haut débit ?
J. D. : Ce Gouvernement est tout entier tourné vers la lutte contre les inégalités territoriales. C’est le sens même de ce grand ministère des territoires piloté par Jacqueline Gourault, Sébastien Lecornu et moi-même. En matière de numérique, il y a en effet urgence à agir. Car contrairement aux idées reçues, le développement du numérique aujourd’hui accentue les inégalités. Il existe encore sur notre territoire des centaines de zones blanches où la téléphonie mobile ne passe pas. Pour y mettre fin, nous avons révolutionné le système d’octroi de fréquences aux opérateurs, dont ils ont besoin pour fonctionner. Jusqu’ici, l’Etat les attribuait sur une base d’enchères budgétaires. Désormais, cette attribution se fait sur la base des engagements des opérateurs à développer la téléphonie mobile sur nos territoires et en particulier sur les territoires les plus ruraux, là, où ils sont cruellement absents. Et cela fonctionne ! Depuis le 1er janvier date de signature de cet accord, ce sont plus de 2000 sites qui sont passés de la 2G /3G à la 4G. D’ici fin 2020, ce sont 10 000 zones qui basculeront en 4G. Par ailleurs, chaque année, des centaines de zones blanches identifiées par les élus locaux, et j’insiste là-dessus, seront traitées par les opérateurs à notre demande. Nous avons créé pour ce faire une mission France Mobile qui est à la disposition de tous les élus locaux.. Notre autre ambition est de couvrir aussi les zones de transports (lignes de train, autoroutes, etc.). Autant d’engagements des opérateurs qui seront surveillés de près par L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Et par moi également.
RCL : Le foncier : la bête noire des constructeurs, promoteurs, aménageurs : l’inversion de la fiscalité prévue dans la loi ELAN va t-elle finir par libérer le foncier ?
J. D. : Jusqu’ici, la fiscalité en place incitait les propriétaires à conserver le foncier plutôt qu’à le libérer. Une aberration. Le gouvernement a fait le choix d’inverser la tendance dès le collectif budgétaire de fin 2017 avec un abattement exceptionnel et temporaire sur les plus-values de cession de foncier en vue de réaliser des logements. C’est une des mesures de notre stratégie logement. J’ai par ailleurs mis en place une cellule d’identification des fonciers qui permettra d’accompagner les élus dans l’identification de terrains. Je souhaite en particulier que les préfets se mobilisent sur la libération du foncier public afin d’accélérer les opérations d’aménagement : l’Etat doit être localement apporteur de solutions auprès des maires. Dans le même temps, je crois profondément aux innovations pour libérer les terrains, déjà à l’œuvre sur les territoires et je les favorise. Je pense par exemple aux organismes fonciers solidaires (OFS), qui permettent un accès au logement moins cher par une dissociation de la propriété du terrain et du bâtiment. De nombreuses collectivités s’y mobilisent et je souhaite les y accompagner. L’innovation n’est pas que technique, elle est d’abord dans l’imagination de nouvelles solutions locales. Nous avons prévu que les logements construits dans le cadre de ces OFS rentreraient dans les quotas SRU, afin de donner un coup de pouce aux collectivités.
RCL : Quel message aimeriez-vous adresser aux maires ?
J. D. : Je souhaiterais avant tout leur transmettre ma reconnaissance et ma profonde gratitude, parce qu’ils sont les représentants de la République au quotidien. Je ne sous-estime pas les difficultés qu’ils rencontrent sur le terrain, en particulier dans certains territoires ou dans certains quartiers. Je suis à leur côté et ils peuvent compter sur mon entière détermination. Le deuxième message que je leur adresse est que le travail d’un gouvernement et notamment d’un ministre du logement et de la ville se fait main dans la main avec les élus locaux quelles que soient les divergences de couleur politique. Mon rôle est celui d’un facilitateur et d’un accompagnateur dans ce qu’ils font au jour le jour. Vous m’avez interrogé aujourd’hui sur la politique que je mène en faveur du logement, mais je fais de même dans mon action en faveur des quartiers. L’enjeu est immense.: il est au cœur du pacte républicain : redonner à chacun les mêmes chances de réussite partout sur le territoire. Mon troisième message, est que je suis profondément convaincu qu’il ne faut pas opposer les territoires les uns aux autres mais qu’il faut mener des politiques le plus territorialisées possible. Aujourd’hui notre politique doit tenir compte de cette multitude de spécificités, même si la tâche est compliquée. Mais l’ambition que nous partageons tous, gouvernement, élus, acteurs économiques, associations, acteurs du secteur est avant tout d’améliorer le quotidien des Français. C’est l’état d’esprit qui nous anime avec Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu. Et c’est ainsi que je conçois l’action de mon ministère.
BIO EXPRESS
2012 : Conseiller auprès de Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des Finances, puis de Nicole Bricq, ministre déléguée au Commerce extérieur
2014 : Directeur adjoint de cabinet d’Emmanuel Macron, ministre de l’Économie
2016 : Secrétaire général adjoint d’En Marche !
21 juin 2017 : Secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires
16 Octobre 2018 : Ministre auprès de la ministre de la Cohésion des territoires chargé de la Ville et du Logement
Propos recueillis par Danièle Licata
Inscrivez-vous dès maintenant sur le groupe Facebook Paroles de Maires pour obtenir des informations quotidiennes sur l'actualité de vos missions.