"Les actions du corps enseignant ont démontré qu'il a tenu son rang républicain"

L'élu et le citoyen
25 mai 2020

ÉDUCATION. Cet entretien a été coécrit par Béatrice Mabilon-Bonfils, Alain Jaillet et Laurent Jeannin, membres du Laboratoire BONHEURS (Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs) EA 7517 - CY Cergy Paris Université.

RCL: Quels enseignements tirés du confinement ?

Béatrice Mabilon-Bonfils-Alain Jail- let-Laurent Jeannin : Comme toute crise, les enseignements que l’on peut en tirer vont dépendre des arrières pensées que les uns et les autres vont nourrir. En s’extrayant des perspectives politiques, du point de vue de l’école et d’un système napoléonien centralisé déresponsabilisant, un nouvel horizon s’offre à la société, si elle le veut bien. D’une part, parce que bon nombre d’expériences positives pourraient irriguer des changements de pratiques de l’école maternelle à l’université. D’autre part, parce que bon nombre d’expériences négatives devraient enrichir la réflexion sur l’état de notre système éducatif et de sa gouvernance. Ce que la crise a changé, c’est une autre réorganisation de la chaîne mondiale de valeurs qui va engendrer une nouvelle régionalisation pour une plus grande appréhension du système. Cela devrait avoir un impact sur les préconisations des compétences à acquérir pour le XXIe siècle.

RCL : Un nouvel horizon éducatif, de la maternelle à l’université, s’offre-t-il à la société française ?

B.M.B.- A.J.- L.J. : Ce que l’expérience a apporté de positif, c’est d’abord que la pratique d’autres méthodes d’enseignement et d’apprentissage est possible. Des nouvelles méthodes qui, en fait, n’en sont pas, puisque le plus souvent celles qui ne cherchent qu’à pallier la présence d’un enseignant devant ses élèves sont déjà connues. Il s’agit de considérer que l’enseignant dans des cultures formelles et informelles différentes, et que cela ne pose en fait pas de problème, sauf si elles sont en opposition. C’est là, où l’on rebondit sur les approches bourdieusiennes de la reproduction. Même si ces approches ont de nombreuses limites, le propos est toujours pertinent et prend un éclairage nouveau pendant cette période de crise.

RCL : Après cette expérience inédite, quel regard portent les parents le système ?

B.M.B.- A.J.- L.J. : Sur le plan anthropologique, le fait que les parents aient dû remplir des fonctions formelles qui sont d’habitude dévolues aux enseignants, leur permet d’approcher les difficultés de l’exercice, mais aussi l’extraordinaire vivacité qu’il est nécessaire d’avoir. Pour cela tous les parents ne sont pas égaux, mais c’était déjà le cas avant. Il faut qu’ils se sentent autorisés à revêtir une veste, à défaut de blouse, pour laquelle ils considèrent qu’ils ont une légitimité formelle. En plongeant dans l’anthropologie structuraliste de l’Américain E.T. Hall, il s’agit de comprendre que des mêmes individus peuvent évoluer dans des cultures formelles et informelles différentes, et que cela ne pose en fait pas de problème, sauf si elles sont en opposition. C’est là, où l’on rebondit sur les approches bourdieusiennes de la reproduction. Même si ces approches ont de nombreuses limites, le propos est toujours pertinent et prend un éclairage nouveau pendant cette période de crise.

RCL : Quelles leçons peut tirer le corps enseignant de cette expérience ?

B.M.B.- A.J.- L.J. : L’inventaire des actions des nombreux enseignants, directrices et directeurs d’école est trop long et consistant pour montrer qu’ils ont tenu leur rang républicain. Ils ont pris contact avec les parents par téléphone de manière régulière. En réalisant ce lien de la République, et ce n’est pas rien, ils ont dit à chaque parent com- bien ils comptaient. Et de nombreux témoignages de parents vont dans ce sens. Si seulement, cet événement ne pouvait être autre chose qu’une démarche exceptionnelle. Ce n’est pas du tout pareil d’être convoqué à l’école dans les fameuses fumeuses réunions parents profs que d’être contacté par l’école pour s’entendre demander déjà, si tout va bien, puis de s’enquérir de ce que l’on peut faire avec les enfants.

RCL : Avec l’implication des parents et des élus, peut-on imaginer un enseignement plus régionalisé ?

B.M.B.- A.J.- L.J. : La crise du Covid peut-elle autoriser la République à dis- cuter d’une réelle régionalisation des responsabilités de l’éducation, avec ses avantages et ses inconvénients plutôt qu’ancestralement en appeler à Jules Ferry pour que jamais rien ne bouge ? L’éducation est la justification politique la plus importante de tous les politiques, mais jamais, aucun élu ne sera sanctionné par ses actions ou inaction dans ce domaine. Cela participe du champ idéologique neutre, on peut dialoguer sans fin, il n’aura pas d’influence sur les votes. Il faudrait au contraire sortir les élus des régions, si leurs politiques éducatives étaient désastreuses, ou au contraire les conforter si elles permettent les réductions des inégalités que le niveau national ne permet jamais, non jamais, d’éradiquer.

RCL : Le confinement a mis au grand jour les fractures sociales : comment les réduire ?

B.M.B.- A.J.- L.J. : Sur le même registre des inégalités, la question du droit au numérique, l’inclusion numérique, a été posée. L’étude des connexions aux différents environnements numériques de travail lourdement payés par l’impôt, montre que les lycées professionnels sont ceux qui ont été le moins usagers des possibilités technologiques. De très nombreuses études indiquent que les élèves des lycées professionnels sont ceux dont les familles sont les plus en difficultés, souvent en précarité professionnelle, sociale et spatiale en termes d’espaces de vie. On ne pourra pas pousser les murs, mais quel sera le syndicat, quel sera le parti politique qui osera dire qu’il n’est pas acceptable de laisser une frange importante de la société aux portes du numérique. Un grand plan d’équipement des plus démunis, de ceux qui sont le plus en difficulté ou en souffrance dans le système éducatif est une nécessité républicaine à laquelle l’État dans ses formes centralisées ne sait pas répondre efficacement. Bien sûr, on ne compte plus les plans numériques dont on valorise les dépenses comptables, mais dont on omet de vérifier l’impact et surtout l’animation de terrain, tou- jours dans cet exercice d’irresponsabilité nationale. Personne ne sera battu à une élection parce que son action éducative est au mieux médiocre.

RCL : Les politiques ont une responsabilité dans les carences en matière numérique, mais quid de la formation des professeurs dans ce domaine ?

B.M.B.- A.J.- L.J. : Il existe bel et bien des faiblesses quant à la compétence de l’école en matière de technologies. Ne pourrait-on enfin traiter sérieuse- ment cette question ? Il y a quelques années, pour devenir enseignant, il fallait disposer d’un certificat de compétences en langues et en utilisation des technologies (C2I2E). Pour l’écrasante majorité, cela a été perçu comme un pensum insupportable et inutile. À moins que cela n’ait posé des questions bassement technocratiques : comment fait-on pour titulariser des enseignants qui ne peuvent ou veulent faire recon- naître leurs compétences ? La solution est simple, on change la loi. Car même si on prétend que les questions liées aux compétences d’usage des technologies soient importantes, on les ra- mène si ce n’est à rien, en tout cas, à pas grand-chose. Alors l’effet positif secondaire attendu de cet épisode épidémique est sans doute encore la question de la formation initiale et continue des enseignants.

RCL : Quelle réforme pour demain ?

B.M.B.- A.J.- L.J. : En mettant en perspective des enjeux et des idéaux de société, des politiques éducatives et de développements économiques de plusieurs pays, Joynes & al. (2019) démontrent que du point de vue des compétences nécessaires pour l’enseignement et l’apprentissage au XXIe siècle, les prescriptions divergent. Alors qu’elles doivent permettre d’augmenter la performance de production en Chine, en Europe il s’agit de valoriser l’enseignement et l’apprentissage. Nous pouvons supposer que l’après crise va rebattre les cartes de la dépendance à la mondialisation des marchandises de première nécessité et du savoir. Une nouvelle régionalisation sur le territoire va s’opérer dans la perspective d’une plus grande maîtrise de la chaîne de valeur. Quels seront alors les choix des pays au regard des travaux de Joynes & al. (2019) ? L’augmentation de la performance marchande et productive du pays, et peut-être aussi désormais de son indépendance industrielle vis-à-vis de la mondialisation ; ou bien l’augmentation de la qualité et de la valeur du processus d’enseignement et d’apprentissage pour faire mieux coïncider la société avec un monde contemporain ? Quoi qu’il en soit, les compétences du XXIe siècle et leurs applications au sein des systèmes éducatifs seront à redéfinir ainsi que la question de la capacité à s’adapter, à évoluer et à vivre dans un certain déséquilibre. Elles seront centrales.

Béatrice Mabilon-Bonfils, Alain Jaillet et Laurent Jeannin

Paroles de maires

RCL
Question :
Un maire, donc OPJ, peut-il l’être en dehors de sa commune ?
Réponses :
Non, il est élu OPJ sur sa commune.
Tous les pouvoirs du Maire en tant que représentant de l'Etat ne lui sont octroyés que sur son territoire.
Non uniquement dans la commune où il est élu maire.

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