DÉCRYPTAGE. En matière d’éducation, le rôle des maires va bien au-delà de la gestion comptable. « Mais sans connaissance des projets d’établissement, nous sommes souvent condamnés à être des tiroirs-caisses », s’indigne Agnès Le Brun, maire de Morlaix (29). Rencontre avec la vice-présidente de l’AMF et rapporteur de la commission éducation, qui nous dévoile sa vision de l’école.
RCL : Quel est le rôle des maires en matière d’éducation ?
Agnès Le Brun : Selon la loi, les lycées dépendent des régions, les collèges des départements, et les écoles primaires et maternelles des communes. Plus concrètement, au-delà de la gestion et de l’entretien du patrimoine, les maires de France versent un forfait par élève de 45 fixé par décret et financent en partie les projets éducatifs des écoles au sens large. Les maires sont donc très impliqués, car l’école reste le premier indicateur de santé d’une ville ou d’un village. Pourtant, ils n’ont aucun droit de regard sur les projets éducatifs des établissements scolaires. Je m’explique. Lors des conseils d’école, émergent un certain nombre de besoins : ordinateurs, tableaux numériques… Charge à la collectivité d’acheter le matériel et de l’entretenir. Par exemple, le service informatique de ma mairie passe le quart de son temps dans les écoles pour vérifier le matériel et l’entretenir. Or ces investissements en temps ou en matériel sont souvent très lourds financièrement. C’est pourquoi, nous souhaitons être associés plus étroitement aux projets d’établissement. C’est d’ailleurs une requête que nous avons adressée au ministre de l’Éducation et de la Jeunesse, Jean-Michel Blanquer. Et puis nous souhaiterions avoir des garanties sur la pérennité des projets qui rassurerait les élus. Cet investissement dont nous faisons preuve au quotidien témoigne de notre volonté politique de garantir l’égalité républicaine. Reste que si on nous consulte, si on nous entend, on ne nous écoute pas forcément. Et n’est pas suffisamment mesuré, l’impact financier des décisions qui sont prises. Or à l’AMF [Association des maires de France, NDLR], nous avons une ligne quel que soit le champ d’intervention : celui qui paie décide et celui qui décide tient l’engagement de financer.
Défi démographique, contraintes budgétaires : les maires se voient contraints de se réorganiser pour cette rentrée scolaire…
A. L. B. : Effectivement et avec toute l’implication qu’on leur connaît. Si le chef de l’État a rassuré les élus à l’issue du « Grand Débat », en déclarant qu’aucune école ne fermerait sans l’accord du maire, force est de constater que l’on ne peut pas nier la loi des chiffres. La désertification rurale est une réalité pour bon nombre de communes. Mais sur tout le territoire, les maires se mobilisent pour une réorganisation intelligente.
Comment réagissez-vous au plan pauvreté ?
A. L. B. : On nous a parlé de restauration à 1 € et de petit-déjeuner gratuit. Ce sont des mesures qui nous intéressent, évidemment. Mais nous sommes nombreux à avoir déjà mis en place de telles mesures d’accompagnement « aux ventres vides ». Force est de constater que l’État prend des décisions sans regarder de près ce qui se passe dans ses écoles et sans nous concerter. Or, ce serait plus productif que l’on agisse de concert. Notre président de la République n’a pas en-core bien compris que la commune incarne le ciment démocratique.
Quel est l’enjeu majeur en matière d’éducation ?
A. L. B. : De mon point de vue, les mobilités physique et dématérialisée. Dans notre ville, par exemple, on a adhéré au réseau Micro-Folie, qui permet le désenclavement culturel par le numérique. Tous les publics, et donc les groupes scolaires, peuvent faire une visite du musée du Louvre ou assister à un concert philharmonique. En d’autres termes, l’élève de Morlaix, pourra dire en rentrant le soir chez lui : « Aujourd’hui, avec l’école, nous sommes allés au Louvre. » Ou bien : « J’ai assisté à un concert. » On parle depuis quelques années de l’ascenseur social en panne.
Quelles explications, pour quelles solutions ?
A. L. B. : Le sujet est vaste. Tout d’abord, on a confondu information et connaissance. D’avoir accès à l’information, cela ne veut pas dire avoir accès à la connaissance. Par analogie, désormais nous sommes dans la parataxe et non plus dans la syntaxe. Auparavant, on comprenait ce qu’était le système hypothéticodéductif. On savait qu’il y avait la cause, la conséquence, le but, l’hypothèse… Aujourd’hui, avec la parataxe, il y a une chose, une virgule, une autre chose, une virgule. Il n’y a plus cette relation construite qui permet de forger sa pensée et son esprit critique. Et de fait, on n’apprend plus convenablement la langue française.
Face à ce constat, quel est le rôle des maires ?
A. L. B. : Un exemple : dans ma ville, la bibliothèque est gratuite pour les enfants. Ils n’auront pas forcément envie d’y aller mais lorsqu’un service est gratuit, il est plus accessible. En d’autres termes, il faut impérativement introduire la culture dans les écoles et plus largement dans la ville et faciliter son accès. Il faut remettre le savoir au centre. On est dans un siècle obscurantiste. Il est impératif de mettre en oeuvre tous les moyens pour lutter contre. Et dans ce sens, l’internat est une solution qui fait ses preuves.
Propos recueillis par Danièle Licata
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