Baisse massive des impôts de production, développement de projets portés par Territoires d’industrie, simplification d’installations de sites, (re)localisations... la reconquête industrielle accélère. « Nous faisons de notre industrie le moteur de la relance sur tout le territoire national », promet Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l’Industrie lors de l’interview qu’elle a accordée à RCL. Rencontre.
RCL : Les pénuries apparues au début de la crise sanitaire sur des produits essentiels comme les masques, les respirateurs ou certains médicaments, ont révélé l’ampleur de la désindustrialisation de la France. De toutes parts, des voix se sont élevées pour appeler à relocaliser des activités stratégiques. Vous les avez entendues ?
Agnès Pannier-Runacher : Non seulement nous les avons entendues, mais nous les avons devancées. La reconquête industrielle est au cœur de la politique économique que nous menons depuis l’élection du président de la République en 2017. Et nous avons commencé à en récolter les fruits. De 2017 à 2019, pour la première fois depuis seize ans, nous avons recréé de l’emploi industriel net. Aujourd’hui, il faut aller plus loin. C’est l’objectif du plan « France Relance » présenté par le gouvernement début sep- tembre. Dans le cadre de ce plan, nous avons décidé de consacrer près de 35 milliards d’euros à l’in- dustrie, sur un total de 100 milliards d’euros. Pour accélérer le processus de réindustrialisation, nous avons lancé dès cet été des appels à projets dans cinq secteurs stratégiques : la santé, l’électronique, les intrants critiques de l’industrie (chimie, maté- riaux, métaux), l’agroalimentaire et les applications 5G. Mais il est clair que l’on ne va pas reconstruire en trois ans des pans entiers détruits au cours des dernières décennies. N’oublions pas qu’entre 2000 et 2016, la France a détruit 1 million d’emplois industriels. Nous avons réussi à inverser la tendance en 2017 grâce notamment aux réformes profondes engagées en matière de fiscalité et de droit du travail. La France est devenue en 2018 et 2019 la première destination en Europe des investissements directs étrangers pour les projets industriels et pour la R & D. Ces résultats solides sont autant d’éléments sur lesquels nous devons capitaliser aujourd’hui en déployant le plan de relance.
RCL : Quelles sont les ambitions du plan de relance ?
APR : « France Relance » a quatre ambi- tions affichées. Tout d’abord nous allons localiser ou relocaliser des productions critiques en France. En outre, nous ac- célérerons les transitions énergétique et écologique qui sont de puissants moteurs de création d’emplois à moyen terme. Par ailleurs, nous devons moderniser notre appareil productif. En effet, nous avons pris du retard en matière de numérique et de robotique alors que la technologie permet de gagner en qualité et en coût de revient, et donc en compétitivité. Enfin, nous renforçons l’innovation et l’investissement dans les technologies clés pour prendre ce quart d’heure d’avance indispensable pour se démarquer de nos concurrents étrangers.
RCL : Pourtant, cet appel à la réindustrialisation n’est pas récent : La crise de 2008-2009, puis le rapport Gallois en novembre 2012 qui avait émis une série d’alertes sur la compétitivité française et enfin les prises de paroles d’Arnaud Montebourg...
A.P.R. : Durant les décennies passées, les gouver- nements n’ont pas su empêcher la destruction systématique des emplois industriels, à la différence de l’Allemagne. Le rapport Gallois et les prises de paroles d’Arnaud Montebourg ont été des alertes, certes, mais sans action profonde pour renverser la tendance et prendre les mesures structurantes pour encourager les industriels à revenir investir en France. Un exemple éclairant est celui des impôts de production qui sont sept fois plus élevés qu’en Allemagne. La baisse de 10 milliards d’euros que nous engageons enfin va aider les entrepreneurs à jouer à armes égales avec leurs concurrents européens. On ne peut pas leur demander d’être les meilleurs et les taxer à chaque fois qu’ils investissent ou créent de l’emploi.
RCL : La désindustrialisation est-elle finalement seulement une affaire de fiscalité et de coût de production ?
A.P.R. : Non bien sûr. Nous souffrons également de la complexité administrative qui décourage les investis- seurs étrangers et ils nous le font savoir. Nous nous sommes attaqués à ce chantier. La loi Asap (accélé- ration et simplification de l’action publique) qui vient d’être adoptée par le Sénat et l’Assemblée nationale va ainsi faciliter l’installation et l’extension de sites industriels en France. Mais au-delà des mesures de simplification, nous avons un plan d’actions avec Bu- siness France et la Direction générale des entreprises pour rencontrer les investisseurs, leur expliquer nos réformes et les moyens financiers et d’accompagne- ment qui peuvent aider à leur installation. C’est un véritable travail de dentelle. Avec « France Relance », nous allons pouvoir renforcer notre action en accom- pagnant un grand nombre de projets de création ou d’extension de chaines de production. Nous aidons également les industriels à monter en compétences et à prendre le risque d’investir dans un contexte incertain. Nous avons ainsi confirmé plusieurs centaines de projets, notamment dans les secteurs durement touchés par la crise sanitaire, comme l’automobile et l’aéronautique.
RCL : Le risque de fermeture de l’usine Bridgestone implantée à Béthune, dont son maire, Olivier Gacquerre était l’invité du numéro précédent, reflète la situation de l’industrie française... De quelle arme disposez-vous pour éviter les drames sociaux ?
A.P.R. : Sur le site de Bridgestone, aucun inves- tissement n’a été fait depuis le début des années 2010. Aujourd’hui, nous en faisons les frais, alors que l’usine était un des fleurons européens du pneu dans les années 2010. À Béthune comme dans les autres villes de France frappées par la fermeture d’usines, il faut, pour éviter un drame social, construire des projets industriels solides en investissant dans l’équipement et les compétences des salariés, non pas par idéologie, mais parce que la France a de vrais atouts : la qualité de sa main- d’œuvre, sa logistique, ses capacités d’innovation. Il s’agit de trouver les leviers pour être les meilleurs pour décrocher des commandes à l’international. L’investissement dans la numérisation des chaînes de production en est un. Il peut nous faire gagner jusqu’à 30 % de gains de compétitivité et il est adapté à un pays qui dispose de bons opérateurs, de bons techniciens et de bons ingénieurs. C’est grâce à cet avantage comparatif que nous pourrons prétendre à des coûts de production compétitifs par rapport à ceux d’entreprises qui produisent dans des pays à bas coûts.
RCL : Concernant l’usine Bridgestone, où en est, à ce stade, le dossier ?
APR : Nous avons recruté un cabinet de conseil indépendant qui a mené une contre-expertise qui a, sans surprise, pointé les difficultés du marché
du pneu en Europe, mais surtout du pneu à faible valeur ajoutée produit à Béthune. Nous avons bâti un scénario viable pour maintenir une activité de production de pneus. Bridgestone a fermé la porte à ce scénario et confirmé son intention de quitter le site en 2021. Cette décision est indigne mais notre combat ne s’arrête pas là. Pour les salariés, pour leurs familles et pour le territoire béthunois, nous allons nous battre pour trouver des repreneurs pour maintenir une activité industrielle sur le site et nous rechercherons des postes pour les Bridgestone. Nous examinerons tous les scénarii industriels possibles. Notre responsabilité, ma responsabilité, est de maintenir l’emploi industriel et d’offrir des perspectives à chacun des salariés qui y travaillent.
RCL : Est-ce que la réponse à la mondialisation pourrait être la décentralisation ?
APR : La réponse à la mondialisation, c’est la concurrence équitable. Le commerce mondial est un facteur de richesse, mais lorsque les entreprises européennes font des efforts importants en matière sociale et environnementale, il n’est pas illégitime de contrôler les marchandises étrangères qui sont vendues sur notre marché européen. On ne peut pas demander aux entreprises européennes de réduire leur empreinte carbone et dans le même temps laisser entrer sur le marché européen des marchan- dises dont la production a nécessité dix fois plus de carbone et s’avèrent de ce fait moins coûteuses. C’est tout le sens de la politique industrielle ambitieuse que nous prônons avec le président de la République et Bruno Le Maire, notamment en défendant un mécanisme de taxation carbone aux frontières. En matière de décentralisation, l’enjeu est d’embarquer les élus locaux qui sont des mail- lons indispensables de la relance. Derrière chacun des objectifs du plan que j’ai énoncés, il y a des en- treprises, des territoires et des élus mobilisés. Nous avons besoin de leur connaissance du terrain, indis- pensable à l’implantation d’usines, au recrutement de la main-d’œuvre, à sa formation et à l’insertion des salariés dans la vie locale.
RCL : Quel message avez-vous envie d’adresser aux maires de France ?
APR : Nous avons besoin de vous ! Vous êtes des acteurs centraux du plan de relance. Vous êtes les entrepreneurs du quotidien et la reconquête indus- trielle passera par vous.
■ Propos recueillis par Danièle Licata ■
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