« La baisse du niveau de vie de millions de citoyens s'est faite dans l'indifférence générale »

L'élu et le citoyen
07 juin 2019

Alors que le gouvernement multiplie ses gestes en faveur du pouvoir d’achat des ménages, RCL a rencontré Gilles Raveaud, auteur de Économie : on n’a pas tout essayé! (Seuil, 2018). Pour cet économiste, ces mesures sont un sparadrap sur une plaie financière et morale profonde qui s’étend à plus de 10 millions de Français. Explications.

RCL: Revenons sur la crise des « Gilets jaunes »: comment expliquez-vous l’ampleur de ce mouvement ?
Gilles Raveaud: La hausse de la fiscalité sur le gasoil a mis le feu aux poudres. En- fin, la baisse du niveau de vie de 10 mil- lions de Français, jusqu’alors ignorée par les politiques, est devenue une réa- lité. Cette baisse latente due à la sta- gnation des revenus du travail d’une part et à l’envolée, ces dernières années, des dépenses contraintes, notamment du logement, s’est faite dans l’in- différence la plus totale.
On a maintenu sous perfusion l’immobilier à grands coups de mesures fiscales, ce qui a eu un effet pervers sur les prix, tant à l’achat qu’à la location, sans anticiper les conséquences désastreuses. Alors qu’avec l’explosion du nombre de divorces, la demande devenue bien supérieure à l’offre. Ce déséquilibre a nourri davantage encore les tensions sur le marché. Résultat : les populations sont contraintes de s’éloigner toujours un peu plus de leur lieu de travail et des centres-ville, là où l’offre de transports collectifs est pauvre. Ce qui les contraint à se déplacer en voiture. Depuis longtemps, le cercle vicieux est enclenché. Voilà pourquoi les « Gilets jaunes » ne décolèrent pas.

Comment expliquez-vous cette indifférence des politiques, quel que soit le gouvernement en place ?
G.R.: D’abord, parce que les politiques sont déconnectés de la réalité du terrain. Ils sont protégés dans les tours de leur ministère, confortablement payés, mais, comme ils estiment qu’ils le sont bien moins que les dirigeants de grandes entreprises, cela les déculpabilise. Regardez la composition de l’Assemblée nationale. On y trouve essentiellement des hauts fonctionnaires, des avocats, des médecins... La classe ouvrière a totalement disparu. La seconde explication est qu’il y a eu, depuis le début des années 1980, un basculement idéologique consiste à penser qu’il faut laisser faire le marché. Or l’économie n’est pas le marché. Les travaux d’Ajout Chang (professeur à l’université de Cambridge, en Angleterre) et de Dani Rodrik (professeur à Harvard, aux États-Unis) nous rappellent qu’aucun pays n’a pu se développer grâce au libre-échange. Qu’il s’agisse du Royaume-Uni au XVIIIe siècle, des États-Unis au XIXe siècle, ou encore de la Chine aujourd’hui, c’est en menant des politiques productives, commerciales et financières contrôlées par l’État que ces pays ont réussi à se créer une base industrielle, condition sine qua non d’un véritable développement.

Bonne nouvelle, puisque même le Fonds monétaire international
(FMI) s’inquiète du trop faible niveau des salaires...
G.R.: Effectivement, le FMI remet, enfin, en question les politiques de « modération salariale » menées depuis les années 1980. La pression de la concurrence et de la finance a incité les entreprises à compresser toujours plus les salaires. Mais à qui vont-elles vendre leurs biens et services si les revenus des ménages stagnent ? Pire encore : puisque la demande est faible, les entreprises n’ont aucune raison d’investir pour produire plus, ce qui limite encore l’emploi. C’est donc la cohérence de nos économies qui est sapée à la base, à cause de croyances erronées sur les bienfaits des faibles salaires.

D’après l’Insee, les mesures annoncées, en décembre dernier, par le président Emmanuel Macron, pour répondre à la crise sociale ont un effet positif sur le pouvoir d’achat des Français, et donc sur la croissance. Est-ce une bonne nouvelle ?
G.R.: Prudence : les 10 Md€que l’État a mis sur la table ne représentent en moyenne que 300 € par an par salarié. Pourtant, l’État a les moyens de booster le pouvoir d’achat des Français. Nous sommes un pay sriche–le 6e de la planète – qui dégage une épargne record de 400 Md€ fin 2018. De l’argent qui dort et qui pourrait, intelligemment investi, créer un vrai levier de croissance. Imaginez que pour engager la transition écologique, il suffirait de 50 Md€ par an pendant dix ans. En émettant un emprunt que l’État rémunérerait à 1 %, on créerait des centaines de milliers d’emplois, et nous pourrions enclencher un véritable cercle vertueux. Au lieu de cela, Emmanuel Macron réintroduit la défiscalisation des heures supplémentaires. Cela peut sembler être une bonne idée, mais, en 2019, cela va coûter 3,5 Md€ à l’État. Et, puisque les entreprises vont demander à leurs employés de faire plus d’heures plutôt que d’embaucher, cela va réduire les créations d’emplois. On marche sur la tête.

À leur échelle, que peuvent faire les maires pour aider les populations ?
G.R.: En introduisant la garde gratuite d’enfants, les maires agiraient direc- tement sur le pouvoir d’achat des populations, et notamment des femmes. Le taux de pauvreté des parents célibataires, presque toujours des femmes, est de 35 %, contre 15 % dans l’ensemble de la population.
Avec 5 Md€, on pourrait augmenter le nombre de places en crèches d’un tiers, et ainsi permettre à des dizaines de milliers de mères célibataires pauvres de reprendre le travail, ou de travailler davantage (voir Gilles Raveaud, 5 mil-liards pour les crèches, Alternatives éco- nomiques, 3 mai 2019). Au lieu de cela, l’État préfère gaspiller ces mêmes 5 Md€en diminuant l’impôt sur le revenu versé par les classes moyennes de 1 € par jour en moyenne. Mais, évidemment, les femmes pauvres ne votent pas pour lui, contrairement à de nombreuses personnes de la classe moyenne.
Autre piste : isoler les logements, par des mesures incitatives. Ce qui aurait un effet direct sur la facture énergétique des ménages. Pour cela, il faut que les collectivités fassent un état des lieux des parcs de logements, pour agir, et vite.

Propos recueillis par Danièle Licata

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Question :
Un maire, donc OPJ, peut-il l’être en dehors de sa commune ?
Réponses :
Non, il est élu OPJ sur sa commune.
Tous les pouvoirs du Maire en tant que représentant de l'Etat ne lui sont octroyés que sur son territoire.
Non uniquement dans la commune où il est élu maire.

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