Les métropoles ont-elles encore un avenir ? Serions-nous à l’aube d’un nouveau modèle ? C’est en tout cas ce à quoi aspire Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine (92), en soutenant que l’avenir est définitivement tourné vers les territoires. Rencontre.
RCL : Vous défendez la nécessité de repenser le modèle territorial français pour mieux aborder les enjeux de la mondialisation. Expliquez-nous ?
Jean-Christophe Fromantin : De nombreuses études qui interrogent les classes moyennes du monde entier, et notamment des pays émergents, sur les pays qui les fascinent, classent la France très régulièrement dans le top 3. Dès lors, la question est de savoir si notre pays est à la hauteur de ce qu’il représente en termes d’image, de savoir-faire, et de spécificités, car, finalement, c’est bien la diversité géographique, paysagère, culturelle de la France, avec ses villages, son artisanat, ses industries et son patrimoine qui attire et fait rêver, et non pas seulement quelques monuments concentrés dans la capitale. La France doit donc jouer sa place dans la mondialisation à travers cette diversité à 360 ° et non pas se limiter à une économie qui se confère autour des métropoles, de la technologie et du concept de « start-up nation ». Elle doit fertiliser ses singularités pour en faire des avantages compétitifs ; elle doit tirer parti des technologies pour faire rayonner ce qu’elle a de singulier. Or, nos politiques publiques restent désespérément focalisées sur des codes conservateurs sans vision moderne de l’aménagement du territoire et de l’économie du futur.
Certaines actions publiques comme « Action coeur de ville » ou « Terres d’industries » laissent penser qu’il y a, de la part du gouvernement, une certaine prise de conscience des bouleversements à l’oeuvre ?
J.-C. F. : Pas si sûr. Face à la désertification des centres-ville et à la désindustrialisation, les pouvoirs publics semblent pratiquer la stratégie de la dernière chance, celle qui consiste à poser un pansement sur une plaie sans vraiment chercher à la guérir. Ces actions ciblées ne sont en aucun cas le reflet d’une vision globale et programmatique de la France. Elles ne s’inscrivent, hélas, pas dans la grande politique d’aménagement mieux distribuée dont la France a cruellement besoin. Je ne vois aucune ambition de réinvestir l’ensemble de nos territoires pour les reconfigurer dans la mondialisation. La carte de France continue désespérément de se resserrer autour de quelques grandes villes. La diagonale du vide s’agrandit toujours un peu plus.
Vous plaidez pour un nouveau modèle de société. Lequel ?
J.-C. F. : Récemment, le Cevipof a interrogé les Français sur le lieu où ils souhaiteraient vivre s’ils avaient les moyens de choisir. Quelque 45 % des sondés ont répondu dans un village, 41 % dans une ville moyenne et seulement 13 % dans une métropole. C’est une révolution ! Ils pointent les limites d’un modèle de société qui consistait, jusqu’à présent, à considérer que l’avenir se jouerait dans les métropoles. Car aujourd’hui les Français souhaitent vivre dans des unités urbaines apaisées, proches de la nature, moins polluées, près du patrimoine. On a, d’un côté, des pouvoirs publics qui continuent à concentrer leurs politiques sur les métropoles et, de l’autre, des Français qui à 90 % crient stop ! Nous voulons vivre dans des villages et des villes à taille humaine. Il est temps que les pouvoirs publics réalisent que la révolution n’est pas la technologie, mais ce que nous en ferons. Nous passons d’un modèle de concentration urbaine, qui a été durant plus d’un siècle le modèle de quintessence du progrès, à un modèle où l’espace et la qualité de vie deviennent les premiers critères de choix de vie.
Mais encore…
J.-C. F. : Si la technologie n’est pas un vecteur de progrès social, elle devient une fin. Les dérives financières ou politiques des modèles américains ou chinois sont en train de le démontrer. Si notre pays ne met pas la technologie au défi de nous rendre plus heureux, il est probable, non seulement qu’elle nous conduira dans une impasse, mais qu’elle passera à côté des véritables progrès que l’on peut en attendre. C’est un débat qui a déjà été soulevé au XIXe siècle. On est tous fasciné par le progrès technique, mais à quoi sert-il ? La technologie pour quel modèle de société ? Pour quel projet de vie ? Ces questions sont hélas absentes du débat public. La « start-up nation » ne peut pas être un modèle de société. Face au désir des Français de vivre dans des villes à taille humaine, la technologie prend alors tout son sens, puisqu’elle peut permettre à chacun de vivre selon ses propres aspirations. C’est ce que je décris très précisément dans le livre que je viens de publier : Travailler là où nous voulons vivre (Éd. François Bourin). On sort de l’ère industrielle durant laquelle les populations allaient vivre où se trouvait le travail pour entrer dans une ère, où grâce au numérique, on va pouvoir travailler là où l’on souhaite vivre. Le sens va s’inverser. L’hyperconcentration urbaine est une impasse économique, sociale et environnementale. Aux acteurs politiques de comprendre et de s’adapter, car les Français sont bien décidés à vivre là où ils le souhaitent. Preuve, depuis cinq ans, l’Île-de-France perd chaque année 15 000 habitants après en avoir gagné jusqu’à 30 000 par an.
Vous déclarez qu’en matière de déploiement de la 4G et de la 5G, l’État a failli. Comment arrivez-vous à cette conclusion radicale ?
J.-C. F. : En 1960, le gouvernement élaborait le premier plan routier pour la France et, dans le même temps, il se dotait d’un véritable outil programmatique d’aménagement du territoire. Il traçait précisément la carte des points à relier ; il affichait une vision stratégique et un souci d’équilibre dans le développement du pays. Il n’était alors pas envisageable de donner aux concessionnaires d’autoroute la liberté de relier n’importe quelles villes entre elles. Or cette idée de laisser aujourd’hui les opérateurs de télécommunications choisir les villes et les territoires au sein desquels ils vont déployer de la fibre ou des antennes-relais sonne comme une forme d’abandon. À l’heure où l’avenir de nos territoires dépend de la qualité des connexions, c’est un renoncement qui en dit long sur la perte d’ambition pour nos territoires. L’aménagement du territoire doit se développer selon une armature précise avec une vision claire des enjeux, et des réponses équitables en termes d’équipement et de mobilité. Hélas, cette vision n’existe pas aujourd’hui.
Vous avez dit à propos de la Loi d’orientation des mobilités (LOM) que l’Exécutif passe à côté d’un virage stratégique ?
J.-C. F. : La LOM n’est ni une perspective stratégique ni une loi programmatique. Elle n’est qu’une boîte à outils, avec des financements qui vont dépendre de chaque loi de finances ; donc construite sur du court terme. Là encore, nous passons à côté de questions essentielles. Quelles mobilités pour quelle vision territoriale ? Quelles villes moyennes doivent être rapprochées de quelles métropoles ? Quels hinterlands pour nos ports et aéroports ?… Les élus attendent les réponses à ces questions. Cela est d’autant plus regrettable que la France vit dans ce paradoxe d’atteindre des niveaux records d’épargne et des seuils dramatiques de sous-investissement public. Pour autant, on ne pourra résoudre cette équation que si l’État retrouve sa mission d’acteur stratégique sur le long terme et s’il se décide à lancer une politique ambitieuse et moderne d’aménagement du territoire.
Propos recueillis par Danièle Licata
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