À une quarantaine de kilomètres de Rennes, la ville de Vitré peut se féliciter d’avoir l’un des taux de chômage les plus faibles de France. Rencontre avec Pierre Méhaignerie, son maire depuis quarante ans, qui nous explique comment cette commune bretonne a réussi ce tour de force.
RCL : Racontez-nous la ville de Vitré (35)…
Pierre Méhaignerie : Longtemps animé par les seules entreprises de l’agroalimentaire, encore très présentes, ce territoire s’est beaucoup diversifié au cours des trois décennies écoulées. Une stratégie payante, puisque, selon la Direction régionale du travail (Direccte Bretagne), le taux de chômage de Vitré Communauté est de 4,6 % au deuxième trimestre de 2019, le plus bas de Bretagne et le quatrième plus bas des zones d’emploi de France métropolitaine. Aujourd’hui, 40 % des emplois sont industriels, quand la moyenne française n’est que de 13 %.
Quel est votre secret, pour avoir réussi à faire chuter le taux de chômage ?
P. M. : Plusieurs éléments ont été déterminants. Le premier, a été la construction de 31 bâtiments pour le tertiaire et pour l’industrie, avant même que les entreprises ne posent leurs valises. Cette anticipation a été très vite gagnante. Je prends un exemple parmi d’autres. Un jeune ingénieur qui travaillait à Rennes (35), voulait monter sa propre entreprise mais il ne disposait d’aucun moyen financier. Il vient me voir ; le soir même je lui proposais un local. Cette entreprise est devenue Thalès qui emploie 700 personnes aujourd’hui. Autre élément déterminant : nous avons mis en place une fiscalité incitative de 25 % inférieure à la moyenne des villes de même strate pour aider les entreprises à se développer et à se frotter à la concurrence internationale. Troisième élément : les entreprises n’appliquent pas de « versement transport ». Nous allégeons ainsi au maximum le coût des charges pesant sur l’emploi. Enfin, nous avons construit une maison de l’Emploi, de l’entreprise et de la formation qui regroupe une dizaine de structures qui gèrent l’emploi en France (Pôle Emploi, la mission locale, ou encore la Chambre de commerce et d’industrie) sous un même toit, avec un seul directeur. Ce qui permet aux acteurs de l’emploi de se parler et de traiter des problèmes plus rapidement. Outre la maison de l’Emploi, de l’entreprise et de la formation, pour aider ses entreprises à trouver les compétences dont elles ont besoin, la collectivité a créé une trentaine de structures de formation de proximité. Dernière initiative, le lancement d’un campus des métiers pour attirer et former plus de jeunes. Notre objectif a toujours été de valoriser la formation professionnelle, face au conservatisme de l’Université. Nous avons sur le territoire 200 artisans, en « échanges métiers », de 60 à 85 ans qui transmettent à des jeunes leur savoir-faire. Et parmi ces jeunes, on ne compte aucun décrocheur scolaire. En résumé, notre réussite repose sur une série d’initiatives, d’anticipations et de réactions qui nous ont permis d’afficher un taux de chômage de 4,6 % et de revendiquer 76 % d’actifs grâce, entre-autre, à 14 entreprises de plus de 500 salariés implantées dans un rayon de 20 km autour de Vitré.
On travaille, mais on vit aussi à Vitré…
P. M. : Oui, et dans les environs. Sur la communauté de Vitré, on dénombre quelque 35 000 emplois et 34 000 actifs. Donc les emplois sont sur le territoire, ce qui limite le temps de transport et offre aux habitants une vie harmonieuse. Sans compter, que calculette en main, le pouvoir d’achat de nos habitants est de 700 à 800 € supérieur au Français en moyenne. Entre le dynamisme des services publics qui offre la culture, la formation à des prix abordables et les frais de garde qui en moyenne ne représentent que 13 % des budgets des familles, la vie est plutôt facile à Vitré.
Finalement, au-delà des initiatives, la clé de la réussite, c’est la création de richesse importante à Vitré…
P. M. : Effectivement. Car la richesse créée diminue le taux de chômage, améliore le pouvoir d’achat et facilite le vivre ensemble. Le chiffre que je répète en cette période où l’on attend du ciel ce qu’il ne peut pas donner, c’est le nombre d’heures de travail par habitant en France. Nous sommes aujourd’hui à 630 heures par an. La moyenne des pays scandinaves, qui ont le même État providence que nous, est de 720 heures. Autre chiffre qui me surprend toujours : entre 2003 et 2018, le différentiel de création de richesses par habitant entre la France et l’Allemagne était de 220 €. En 2018, cette différence est de 5 400 €. Nous ne créons plus suffisamment de richesses en France pour donner à tous un emploi et pour favoriser l’égalité des chances. C’est notre combat à Vitré et nous en récoltons tous les jours les fruits.
Quelle philosophie tirez-vous de cette réussite ?
P. M. : Nous seuls détenons les clés de la réussite. C’est l’esprit de responsabilité des citoyens. Je me souviens d’une phrase de Xavier Fontanet qui dirigeait jusqu’en 2010 le groupe Essilor : « Donnez des responsabilités aux gens et vous les changez. » Or, aujourd’hui, nous vivons dans un pays bien trop bureaucratique, bien trop réglementé, dont le modèle engendre des assistés.
Est-ce que votre recette peut s’appliquer partout en France ?
P. M. : Oui, mais à des degrés divers. Car je reconnais avoir bénéficié de quatre atouts que tous les territoires n’ont pas la chance d’avoir. Le premier, un peu spécifique à la Bretagne et aux Pays de Loire, l’éthique du fait des traditions rurales qui aide beaucoup à la compétition des entreprises. Notre deuxième atout, est le christianisme social, avec ce sentiment de l’autre qui reste fort. Notre troisième chance, est sans nul doute, les nombreux moyens de communication (autoroutes lignes de trains). Enfin notre quatrième force est notre capacité d’organisation, de travailler ensemble et de trouver ensemble une solution.
Allez-vous vous représenter aux prochaines municipales ?
P. M. : J’ai décidé de ne pas me représenter. Je resterai, cependant, actif à Vitré. Mais pour le quotidien, je ferai confiance aux équipes qui prendront la relève.
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