Christian Le Bart : "L'État pourrait en ressortir plus fort, à condition de rendre des comptes"

L'élu et le citoyen
09 avril 2020

INITIATIVE. Pour Christian Le Bart, professeur de science
politique à Sciences Po Rennes, les tragédies que traverse un pays, développent un besoin collectif de se serrer les coudes face à son chef d’État omniprésent. Mais face au coronavirus, cette horizontalité de la société débouche plutôt sur un salut individuel. Explications.

RCL: Quel regard portez-vous sur la situation inédite que nous traversons ?

Christian Le Bart : Les institutions poli- tiques et plus largement les institutions publiques sont complètement désarçonnées face à cette situation inédite. Nous sommes confrontés à ce que le politique, au sens large, redoute le plus: faire face à l’imprévu, alors que les mécanismes institutionnels, ministères, agences de santé ou collectivités locales, reposent sur des principes routiniers. Il n’existe aucun précédent sur lequel les politiques peuvent se reposer et aucune jurisprudence de pratique.

Comment jugez-vous la communication du gouvernement ?

C.L.B.: Plutôt bien dans l’ensemble. Le président de la République et l’Exécutif affirment leur présence, via les nombreux points presse, les déplacements auprès du corps médical. Une présence qui se veut plutôt rassurante et qui traduit le message: « Je suis là. » L’objectif étant d’éviter la panique collective qui aurait pu se traduire par des pillages des magasins et le non-respect des consignes sanitaires. Mais Emmanuel Macron, à mon sens, a commis une erreur, lors de sa toute première intervention, celle de marteler que « nous sommes en guerre ». Il a ainsi incité les populations à faire des réserves alimentaires et à adopter des comportements égoïstes. Dans un tel contexte, chacun cherchant à sauver sa peau. Non, nous ne sommes pas en guerre. Mais derrière cette déclaration explosive, il a voulu donner la mesure de la gravité de la situation, et prendre le risque de voir se multiplier les scènes de panique dans les supermarchés.

Que pensez-vous des mesures annoncées par l’exécutif ? Ce virage à gauche, loin des principes du « macronisme », sont-elles inévitables ?

C. L. B. : En introduisant massivement des liquidités dans l’économie, via les aides accordées aux entreprises, et en allant jusqu’à évoquer la nationalisation, clairement, nous sommes à l’opposé des grandes lignes libérales du « macronisme ». Nous sommes également bien loin de la remise en question du bien-fondé des services publics et notamment des services de santé. Le gouvernement débloque, dans ce cas d’urgence extrême, les moyens financiers sans limite. C’est pourquoi, sur le plan sanitaire, économique, social, politique, il y a aura un avant et un après la crise du coronavirus. Mais l’après-crise, le gouvernement devra la gérer sans laisser personne au bord du chemin. Et il devra vraisemblablement rendre des comptes.

La solidarité, à travers les crises incarne la République et ses valeurs. Qu’en est-il aujourd’hui?

C.L.B.: Les crises passées comme lors des attentats, ont montré plutôt une tendance à se serrer les coudes face à son chef d’État, qui incarne la République, qui rassure en adoptant souvent une posture paternaliste. Comme je disais, celle d’Emmanuel Macron traduit « je suis là et le Premier ministre veille au grain ». Il est tout à fait crédible. Il est sans nul doute un chef de tribu, rassembleur au moment des émotions collectives. Mais prudence, l’expérience montre que ces moments de consensus et de solidarité disparaissent très vite une fois les événements dramatiques passés. La politique reprendra ses droits en faveur des municipales. Et là, le chef de l’État devra, et je le répète, rendre des comptes, notamment sur cette gestion des masques et des gels.

Avec la crise liée au COVID-19, est- on passé dans un nouveau monde de la communication politique ?

C.L.B.: Oui, mais déjà avant la crise sanitaire que nous traversons. Nous sommes dans un monde où les politiques laissent paraître leurs émotions. Il y a deux ans, j’ai publié le livre Les Émotions du pouvoir - Larmes, rires, colères des politiques, aux éditions Armand Colin, et je constate que voilà une quinzaine d’an- nées que les politiques montrent de la compassion, des émotions, de la proximité, de la peur et de la colère, même lorsqu’ils se doivent d’adopter de la retenue et du sang-froid.
Le président Emmanuel Macron y participe largement, peut-être un peu moins que Nicolas Sarkozy, mais il y participe. Si je considère les attentats, la mort de grandes figures nationales et le coronavirus, nous avons une sorte de parcours sans faute dans l’incarnation et la représentation émotionnelles. C’est la nouvelle définition de la démocratie.

Que va-t-il ressortir de cette crise. Plus de solidarité ou plus d’individualisme ?

C.L.B.: Je ne sais pas encore. Dans cette lutte contre le CODIV-19, la nature humaine pousse vers une très forte individualisation dans sa forme la plus caricaturale due au confinement qui contraint à casser tout lien social. Certes, les Français applaudissent tous les soirs à 20 heures, alors que les Italiens chantent devant leurs fenêtres, mais on est très près du degré 0 du lien social. Il est intéressant de voir comment les nouvelles technologies vont permettre de créer une nouvelle forme de lien social et comment il peut se maintenir, avec l’interrogation pour les populations de zones blanches ou qui ne sont tout simplement pas équipées. Mais face à ce constat, le sentiment communautaire résiste très fort. La nation se serre les coudes autour de son président, tous logés à la même enseigne. L’égalité face au risque fait tomber les barrières. Il existe une très grande horizontalité de la société et, en même temps, cette horizontalité ne débouche pas sur des formes communautaires, mais plutôt sur des tentatives de salut individuel.

Quels enseignements tirer de cette catastrophe ?

C.L.B.: D’abord, qu’elle est possible. En- suite, le capitalisme va obligatoirement être interrogé dans sa signification. En- fin, les Français vont commencer à apprécier le service public. L’État peut en ressortir plus fort, soutenu par les élus locaux.

Propos recueillis par Danièle Licata

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