Marlène Schiappa vient de s’installer place Beauvau en tant que ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté. Dans un entretien accordé à RCL, l’ancienne secrétaire d’État à l’Égalité femmes-hommes dénonce les attaques contre l’unité de la République et fait de la défense de la laïcité
un combat qu’elle veut mener main dans la main avec les élus. Rencontre.
RCL : Vous venez de prendre vos fonctionsau ministère de l’Intérieur ; dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Marlène Schiappa : Déterminée. La laïcité, le droit d’asile, la prévention de la délinquance, la radi- calisation, la lutte contre les violences faites aux femmes... La feuille de route qui m’a été donnée par le président de la République et le Premier ministre comporte de nouvelles tâches et il nous reste un peu moins de 600 jours avant la fin du quinquennat. Chaque jour compte.
RCL : Cette nomination au poste de ministre de la Citoyenneté est un aboutissement ?
M.S. : Effectivement. J’avais fait savoir au moment du remaniement que je souhaitais « faire plus » en portant d’autres chantiers et d’autres dossiers et ainsi élargir mon champs d‘action. Je suis fière de porter la responsabilité des sujets qui me pas- sionnent depuis très longtemps, comme la laïcité entre autres. Les deux ouvrages que j’ai publiés sur le sujet « Une & Invisible » et la « Laïcité, point » à travers lesquels j’exprime clairement que la laïcité n’est pas un gâteau que l’on partage entre les croyants, quelle que soit la religion, et les non-croyants, mais bien un combat politique. Ce ministère qui vise à défendre et promouvoir les valeurs de la République correspond exactement à mon engagement.
RCL : Défendre la citoyenneté, les valeurs de la République et lutter contre le séparatisme... quels sont vos moyens?
M.S. : Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé un projet de loi sur la lutte contre les séparatismes que le ministre de l’Intérieur et moi-même présenterons dans les prochaines semaines. Ce texte, qui aura pour objectif de lutter contre les influences étrangères, d’éviter que certains groupes ne se referment autour d’appartenances ethniques ou religieuses, de porter la laïcité comme valeur cardinale de la République et comme fer de lance de la cohésion de la société. Aucune religion, aucun courant de pensée, aucun groupe constitué ne peut s’approprier l’espace public et s’en prendre aux lois de la République que nous défendrons avec intransigeance. Ce projet de loi était très attendu, notamment par les maires de France qui réclamaient une feuille de route clairement rédigée qui permet de mieux lutter contre les séparatismes sous toutes leurs formes.
RCL : Quelles sont les grandes lignes de ce projet de loi ?
M.S. : Pour l’heure, dès lors que nous cherchons à apporter des réponses à des problèmes concrets (dérives dans une association... ) des consultations
sont engagées sur les contours de la loi pour mieux qualifier juridiquement tout ce qui, pour l’heure, reste en zone grise. Par exemple sur l’encadrement du financement des associations cultuelles, l’État bute depuis des années sur les moyens de répondre à des initiatives appartenant, la plupart du temps, à la liberté de culte ou relevant de la sphère privée. Prenons un autre exemple : face à un imam qui décrète que les femmes qui se parfument sont des fornicatrices vouées aux flammes de l’enfer et appelle à leur lapidation, la justice peut le condamner aujourd’hui pour des appels à la haine, la future loi va nous permettre d’agir plus fermement contre ce type d’agissements. Autre chantier, le financement des lieux de culte : aujourd’hui, le gouvernement est bien déterminé à prendre à bras-le-corps un certain nombre de dérives de personnes qui se réclament de l’Islam et éclaircir le financement étranger pour mieux identifier les activités à visées séparatistes, qu’il importe de combattre avec virulence parce qu’elles sont une menace à la République.
RCL : Transmettre les valeurs de la République commence quand ? Dès la maternelle ?
M.S. : Effectivement. D’ailleurs, dans mon décret d’attribution, il est prévu que je travaille, aux côtés du ministre de l’Intérieur, main dans la main avec le mi- nistre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, pour définir ensemble des actions liées à la citoyenneté dans les établissements scolaires. Les ministères de l’Éducation et de l’Intérieur doivent mener un travail commun d’éducation de l’école maternelle au lycée à travers un parcours citoyen pour que les enfants et les adolescents prennent conscience de leurs devoirs, de leurs droits et de leurs responsabilités. Il s’agit de transmettre les valeurs et principes de la République en abordant les grands champs de l’éducation à la ci- toyenneté, comme la laïcité, l’égalité entre les femmes et les hommes et le respect mutuel, la lutte contre toutes les formes de discrimination, la prévention et la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, contre les LGBTphobies...
RCL : En matière d’immigration, quelles sont vos priorités ?
M.S. : La première, réduire les délais de réponse aux demandeurs d’asile car aujourd’hui, il leur faut attendre en moyenne 20 mois pour savoir si oui ou non ils ont le droit de résider en France. L’engagement du Président est de réduire ce délai à six mois. Avec l’aide de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), nous nous y attelons. Le recrutement de 200 agents supplémentaires qui travaillent précisément sur ces questions de droit d’asile va dans le bon sens. Et au-delà, l’intégration est un parcours long qui démarre dès l’école maternelle. À la rentrée scolaire, je me suis rendue dans une école qui a mis en place la méthode « école ouverte aux parents » qui a pour but de faciliter l’apprentissage du français pour les parents migrants dont les enfants sont scolarisés en France et de favoriser une meilleure intégration des parents dans la société et de leurs enfants dans le milieu scolaire. Elle les aide à renforcer la communication avec l’équipe pédagogique et son environnement, et leur apporte des clés pour s’adapter à leur rôle de parents d’élèves dans le contexte français, en leur rappelant ce qu’est l’école, les droits et les devoirs et la chance d’avoir accès à l’école de la République qui est gratuite. Ce qui n’est pas le cas dans tous les pays.
RCL : Certaines fractures culturelles ne menacent-elles pas l’égalité entre les hommes et les femmes ?
M.S. : Je rappelle, inlassablement, qu’aucune coutume n’est supérieure à la loi de la République. Nous avons lancé, dans le cadre de mes anciennes fonctions, un grand plan national d’action pour lutter contre l’excision et les mutilations sexuelles féminines, axé sur le repérage des risques, la prévention et le soutien aux femmes victimes. On dénombre en France pas moins de 125 000 femmes et filles excisées. Or les mutilations sexuelles féminines sont des atteintes inadmissibles à l’intégrité et aux droits fondamentaux des femmes et des petites filles qui en sont victimes. C’est un combat que nous menons avec les élus locaux à travers des campagnes d’information et de prévention.
RCL : À la lutte contre les violences conjugales ou encore l’épuisement silencieux des femmes, s’est greffé un autre combat que vous menez depuis la crise sanitaire, celui de l’émancipation économique des femmes...
M.S. : Nous avons tous constaté, en pleine crise de la Covid-19, à quel point les femmes étaient majoritairement en première ligne. Christiane Taubira avait alors déclaré : « C’est une bande de femmes qui tient le pays. » L’historienne, Michelle Perrot, ajoutait alors : « On voit à quel point la crise a révélé l’utilité des femmes dans le travail mal rémunéré. » J’ai moi aussi fait ce constat, dans une note pour la Fondation Jean-Jaurès intitulée « Covid-19 : menaces sur les femmes dans le monde ». Il est temps aujourd’hui de saluer et de valoriser ces métiers majoritairement féminins, des aides soignantes aux caissières en passant par les femmes de ménage. C’est ce que nous avons commencé à faire avec le Ségur de la Santé en annonçant des revalorisations de salaires. Mais au-delà des femmes, la Covid nous a montré à quel point, en France, nous avons besoin de travailleurs émigrés qui ont tenu, eux aussi, des emplois indispensables : je pense aux éboueurs, agents de sécurité, livreurs, qui ont tous été en première ligne durant cette période de crise.
RCL : Quel bilan tiré des violences faites aux femmes durant le confinement ?
M.S. : Un bilan complet sera dressé en septembre suite à un rapport que j’ai demandé dans le cadre de mes fonctions précédentes à Élisabeth Moi- ron-Braud, magistrate et secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF). La mission de la MIPROF consistait à suivre les évolutions des vio- lences conjugales ainsi que des mesures de protection durant le confinement. Mais d’ores et déjà, on peut affirmer que les violences ont redoublé durant cette période. Le 3919, numéro de téléphone gratuit et anonyme pour les femmes victimes de violence, a reçu près de 45 000 appels avec un pic au mois d’avril avec plus de 29 000 appels, soit trois fois plus que la moyenne des mois précédents.
RCL : Quel message souhaitez-vous adresser aux maires de France ?
M.S. : Avant tout, qu’ils peuvent compter sur ma présence indéfectible pour tous les combats qu’elles et ils mènent pour défendre les valeurs de la Ré- publique. À chaque fois, qu’un maire voudra agir pour défendre la laïcité dans sa commune, pour protéger la fraternité et l’égalité, à chaque fois, le ministère de l’Intérieur sera à ses côtés. Car sur les questions de lutte contre le séparatisme, mais aussi d’intégration des étrangers et de défense de la citoyenneté, le rôle des maires est fondamental. Et quelle que soit leur couleur politique, je souhaite travailler davantage encore avec eux. Ce travail a déjà commencé l’an dernier avec l’AMF, puisque
j’ai signé une convention avec François Baroin, son président, pour que les municipalités qui s’installent s’engagent à faire de la protection des femmes face aux violences, la grande cause de leur mandat.
Propos recueillis par Danièle Licata
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