EXPLICATION. Le gouvernement se dit résolu à procéder à la privatisation de la FDJ. Cette décision, qui fait suite à l’adoption de la loi « Pacte », et qui vise à mettre en œuvre le programme Entreprises et innovation, inquiète sérieusement les casinotiers. Au-delà de la démultiplication des risques d’addiction et de blanchiment d’argent, cette cession pourrait priver les villes de casino de recettes, dont elles ont grandement besoin.
Si la future privatisation du Groupe ADP fait grand bruit, celle de la Française des jeux (FDJ), est restée bien plus discrète. Pourtant la cession de cette dernière suscite des inquiétudes jusque chez certains députés de la majorité. « L’État n’a pas vocation à commercialiser les jeux de hasard », avait déclaré le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, en février dernier, au Sénat, où le projet a été largement rejeté. D’ailleurs, à Bercy, cela fait déjà quelques années que la perspective de vendre ce bijou de l’État est envisagée. L’ex-président Nicolas Sarkozy l’avait déjà évoquée, en 2009, même si l’on s’interroge sur l’intérêt qu’il y a à privatiser une cash machine, qui, en 2018, a enregistré des records de mises réalisées (15,8 Md€, dont 3,3 Md€ sont venus remplir directement les caisses de l’État). Quoi qu’il en soit, du côté du mi- nistère de l’Économie et des Finances, les arguments en faveur de la privatisation de la 2e loterie européenne sont bien affûtés. Avec les 20 % que l’État souhaite conserver au capital (contre 72 % aujourd’hui), auxquels s’ajoutent les 9,2 % historiquement détenus par l’association d’an- ciens combattants les Gueules cassées et le personnel qui monterait de 5 à 10 %, l’État garderait sa toute- puissance dans la gouvernance de l’entreprise privée.
LES JEUX SONT FAITS ?
« Même si, en mars dernier, Bruno Le Maire a voulu rassurer les députés en certifiant avoir mis des garde-fous à cette cession, il n’en reste pas moins que le terrain de jeu de la FDJ et son environnement réglementaire, reste bien flou », s’inquiète Romain Tranchant, président du groupe Tranchant, propriétaire de 17 casinos. Me Thaima Samman, avocate du cabinet Samman, enfonce le clou : « Preuve, l’article 51 de loi Pacte se borne à redéfinir la future fiscalité de l’entreprise, renvoyant à des ordonnances les autres aspects de cette privatisation. »
LES CASINOS VENT DEBOUT
Un flou réglementaire qui commence à inquiéter sérieu- sement les acteurs du jeu, les casinos en tête. « L’État va faire en sorte de rendre la mariée plus belle, c’est couru d’avance, quitte à élargir le champ d’intervention du futur acquéreur de la FDJ », anticipe Romain Tran- chant. Concrètement ? « Notre crainte est que la FDJ, une fois privatisée, cherche à maximiser ses profits en élargissant son champ d’intervention, par une main mise sur les machines à sous qu’elle installerait dans des lieux sans contrôle, comme les cafés et les bureaux de tabac », explique Philippe Sueur, maire d’Enghien- les-Bains et président de l’Association nationale des élus des territoires touristiques (Anett). « C’est d’ailleurs ce qu’ont fait l’Allemagne, l’Italie ou la Grèce qui en cédant aux sirènes de la privatisation des jeux de hasard ont libéralisé leur périmètre sous la pression des actionnaires privés », avertit Me Thaima Samman. Dans ces pays, les machines à sous ont investi les cafés, avec toutes les conséquences que cela implique. « N’oublions pas que les jeux d’argent conduisent à des comportements à risque, addictions, mise en danger des mineurs et terreau du blanchiment d’argent. Or, les cafés et bu- reaux de tabac ne sont pas soumis aux mêmes niveaux de contrôle que ceux des casinos qui, eux, sont surveillés comme le lait sur le feu par les collectivités locales dans le cadre de la délégation de service public, mais aussi par le ministère de l’Intérieur », tient à préciser Philippe Sueur. « Et c’est la raison pour laquelle le législateur a donné l’exclusivité de l’exploitation des machines à sous aux casinos », ajoute Me Thaima Samman.
UNE MANNE EN MOINS POUR LES COLLECTIVITÉS LOCALES
Cette exclusivité a permis le développement économique de nombreux territoires, autour du tourisme et du divertissement. La loi obligeant les casinos à produire des activités d’animation culturelle et de restauration. Beaucoup d’entre eux y ont ajouté des activités sportives. Sans compter les emplois créés directs et indirects (60 000) reposent bien souvent sur cette seule activité de la ville. « Car la plupart des casinos se sont implantés dans des territoires ruraux et garantissent, au-delà du développement économique, bien souvent jusqu’à 50 % des recettes locales », explique Romain Tranchant. En 2018, c’est pas moins de 262 M€ sur un total de 1,3 Md€de gains bruts, que les 200 casinos de France ont reversé aux communes qui les accueillent. « Soit de 8 à 15 % des gains bruts qui vont directement dans les caisses des communes », comptabilise Romain Tranchant. Une source de financement qui permet bien souvent aux villes d’investir. « Sans l’aide financière du casino, nous n’aurions pas pu revoir notre ambition thermale qui visait à rendre à nos eaux sulfurées tout leur potentiel économique. Un investissement de plus de 9 M€! Alors si le casino est un privilège, il est aussi un véritable outil touristique », conclut Philippe Sueur.
RCL : Comment est organisé le secteur des jeux?
Thaima Samman : Il est organisé sur la base d’une interdiction générale des jeux d’argent et de hasard (Code
de la Sécurité intérieur, CSI), sauf exception accordée par voie législative réglementaire. Aujourd’hui, la FDJ détient le monopole des jeux de loterie avec une définition extrêmement large des jeux de loterie adoptée dans l’ordonnance de 2012 et la loi de 2014. Quant aux machines à sous, l’exclusivité est donnée aux casinos physiques (article L321-5 du CSI).
L’Italie, l’Allemagne, la Grèce ont privatisé les jeux de hasard. Quel constat peut-on dresser aujourd’hui ?
T.M. : Tous les pays qui ont privatisé les jeux de hasard ont libéralisé leur périmètre sous la pression des nouveaux propriétaires privés dans la recherche de nouveaux profits. Et c’est bien là le danger. Ces pays essaient aujourd’hui de revenir en arrière.
Les opérateurs de jeux sont-ils inquiets?
T.M. : Effectivement, ce qui s’est passé chez nos voisins européens est un signal d’alarme. Mais leur inquiétude est surtout provoquée par l’attitude du ministre de l’Économie et des Finances qui a systématiquement refusé de s’engager à restreindre les activités de la FDJ à son périmètre actuel, notamment au cours des discussions sur le projet de loi Pacte. Tous les amendements visant à spécifier le périmètre de la FDJ, au cours des deux lectures devant l’Assemblée nationale, ont de même été systématiquement rejetés.
Danièle Licata
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